Caillou Philosophal

Sur une route de Judée, Jésus marche en silence, Judas à ses côtés. Il se baisse, ramasse un caillou perdu parmi d'autres près d'un fossé, le frotte sur l'une de ses manches, puis le glisse dans la poche de sa chemise.
« Seigneur, pourquoi as-tu choisi cette pierre noire et sale plutôt que certaines autres qui semblaient plus attrayantes et bien plus précieuses ? », dit l'apôtre, le front soucieux.
« Parce que, mon ami, c'est une parcelle du Ciel de Vérité », répond Jésus.
L'un de ses suppôts à ses basques, non loin de la chemine le Diable, la fumée lu sortant du nez comme d'une cheminée. Passant au même endroit, il se baisse et ramasse lui aussi un caillou mêlé à d'autres près du même fossé. Il le frotte sur ses bras velus, sur les deux petites cornes pointues qui percent son front boucané, puis il le glisse dans sa bouche et l'avale.
« Maître du Feu, pourquoi te baisses-tu pour un bris de caillasse ? Profondément prodigue, toi l'Antéchrist hanté qui aime tant tenter ! Lapideur universel, toi qui, sur tous, jette la pierre ! Pourquoi, de la sorte, t'abaisser pour une vulgaire météorite ignée ? Et pourquoi , de surcroît, la gober ? À l'aise en ta fournaise, en ton royaume, tu en as des milliers ! Qu'as-tu donc à faire avec un morceau de la Vérité ? », persifle, madré et fielleux, l'aigrefin.
« Confrère d'iniquité, cher frère corrupteur ! Je m'en occupe aussi ! Oui, oui ! En vérité, je te le dis – dans ce ce monde, comme en bien d'autres –, de la Vérité je me préoccupe et m'occupe aussi ! », siffle l'ange déchu en crachant des naseaux moult flammes rouges et postillons noirs.