Ce roman génial et singulier, sans doute le chef-d'œuvre de Hoffmann, a influencé pratiquement toute la littérature européenne de la deuxième moitié du XIXe siècle.
C'est l'histoire du moine Médard, écartelé entre le Ciel et l'Enfer, également avide du salut de son âme et des plaisirs charnels, également doué pour les aspirations mystiques et pour l'excès de la luxure. Après avoir vécu au monastère dans la prière et l'abstinence, il cède au Tentateur et absorbe un élixir qui lui permet de réaliser tous ses désirs de débauche, d'ambition, de violence et de sacrilège.
Le démon entre en lui et le chasse de son âme.
Dès qu'il a avalé le breuvage diabolique, Médard commet, sans en être conscient, une suite de meurtres et d'actes abominables. En fait, il se dédouble et le vrai sujet du livre, c'est la lutte contre la folie, contre les puissances du mal, contre le destin.
Hoffmann qui était hanté lui-même par la terreur de devenir fou, a voulu, malgré tout, donner une fin sinon heureuse, du moins apaisée à son livre : le Bien triomphera du Mal, après que Médard aura subi quantités d'épreuves et accepté le châtiment.
Hoffmann disait volontiers que son roman avait « jailli » de lui, inspiré par Oneiros, le dieu des rêves. Et c'est comme un rêve fou et merveilleux qu'il faut le lire aujourd'hui.
Ernst Theodor Amadeus Hoffmann est né en 1776 à Königsberg. Compositeur et chef d'orchestre, il se consacrait autant à la littérature qu'à la musique. Il est mort à Berlin en 1822.
Décidément, le fantastique se porte bien ; dont des maîtres reviennent en force. Ces derniers mois ont vu se multiplier des (ré)éditions fondamentales, comme les Morts violentes d'Ambrose Bierce (« Les Cahiers rouges », Grasset), de Gustav Meyrink 1, les transfigurations historiques de Léo Perutz 2 et d'Heimito von Doderer (Sursis, 10/18 n° 1837), et même Les Mystères d'Udolfo, d'Ann Radcliffe la gothique (NEO/Plus).
Et pour l'heure, voici les célébrissimes Elixirs du Diable, du non moins illustre Ernst-Théodor Amadeus Hoffmann (1776-1822). Chez lui, tout est ambivalence, hésitations : entre un métier « conforme » (magistrat) et celui d'artiste ; entre musique et littérature ; entre exaltation et morosité. La nature indécise d'Hoffmann se retrouve entièrement dans la vie de ce moine Médard (The Monk de Lewis n'est pas loin), divisé par l'envie du Ciel et les séductions infernales, victime de puissances qui décident pour lui et luttent contre elles. Peut-on dominer les dédoublements que l'hérédité inscrit en nous ?, saura-t-on maîtriser le destin ?, y a-t-il une issue hors de la démence ?, sont les questions-clés de ce roman touffu, dont la rédaction même fut cyclothymique : une première .partie écrite en moins de deux mois, comme sous la dictée d'un rêve frénétique ; la seconde plus lente à venir, et forte d'une charge de réflexions métaphysiques. Ainsi que le relève l'excellente préface de Marcel Schneider, chacune des parties, et leurs composantes, sont en outre agencées par contrastes successifs, en un grand mouvement symphonique. Hoffmann — ses Nouvelles musicales sont également disponibles chez Stock — satisfaisait ainsi, plus qu'en sourdine, son aller ego. Un beau roman, témoin des folies romantiques, qui véhicule un enjeu littéraire toujours actif : refléter la vie jusque dans ses moindres contradictions, concilier ses totalités objective et mentale.
Notes :
1. Aux Editions du Rocher. Voir le compte rendu de L'Ange à la fenêtre d'Occident, Fiction n° 385. 2. Le Marquis de Bolivar (Albin Michel), Turlupin (Fayard), Le Judas de Léonard (Ed. Phébus).