Ce grand roman fantastique était, aux yeux d'Hoffmann lui-même, le pivot secret autour duquel devait s'orienter toute son œuvre de conteur.
Freud notait qu'on y retrouve, dans une sorte de symphonie frénétique, tous les thèmes chers au grand «fantastiqueur», et d'abord celui
du double, «dans toutes ses nuances, tous ses développements».
Texte déconcertant à coup sur, où viennent se fondre, comme en un creuset, toutes les intuitions du Romantisme allemand.
«E.T.A. Hoffmann est le maître inégalé de l'Unheimliche, de l'inquiétante étrangeté en littérature.»
Sigmund Freud à propos des Elixirs du Diable
Décidément, le fantastique se porte bien ; dont des maîtres reviennent en force. Ces derniers mois ont vu se multiplier des (ré)éditions fondamentales, comme les Morts violentes d'Ambrose Bierce (« Les Cahiers rouges », Grasset), de Gustav Meyrink 1, les transfigurations historiques de Léo Perutz 2 et d'Heimito von Doderer (Sursis, 10/18 n° 1837), et même Les Mystères d'Udolfo, d'Ann Radcliffe la gothique (NEO/Plus).
Et pour l'heure, voici les célébrissimes Elixirs du Diable, du non moins illustre Ernst-Théodor Amadeus Hoffmann (1776-1822). Chez lui, tout est ambivalence, hésitations : entre un métier « conforme » (magistrat) et celui d'artiste ; entre musique et littérature ; entre exaltation et morosité. La nature indécise d'Hoffmann se retrouve entièrement dans la vie de ce moine Médard (The Monk de Lewis n'est pas loin), divisé par l'envie du Ciel et les séductions infernales, victime de puissances qui décident pour lui et luttent contre elles. Peut-on dominer les dédoublements que l'hérédité inscrit en nous ?, saura-t-on maîtriser le destin ?, y a-t-il une issue hors de la démence ?, sont les questions-clés de ce roman touffu, dont la rédaction même fut cyclothymique : une première .partie écrite en moins de deux mois, comme sous la dictée d'un rêve frénétique ; la seconde plus lente à venir, et forte d'une charge de réflexions métaphysiques. Ainsi que le relève l'excellente préface de Marcel Schneider, chacune des parties, et leurs composantes, sont en outre agencées par contrastes successifs, en un grand mouvement symphonique. Hoffmann — ses Nouvelles musicales sont également disponibles chez Stock — satisfaisait ainsi, plus qu'en sourdine, son aller ego. Un beau roman, témoin des folies romantiques, qui véhicule un enjeu littéraire toujours actif : refléter la vie jusque dans ses moindres contradictions, concilier ses totalités objective et mentale.
Notes :
1. Aux Editions du Rocher. Voir le compte rendu de L'Ange à la fenêtre d'Occident, Fiction n° 385. 2. Le Marquis de Bolivar (Albin Michel), Turlupin (Fayard), Le Judas de Léonard (Ed. Phébus).