Site clair (Changer
 
    Fiche livre     Connexion adhérent
La Fabrique d'absolu

Karel CAPEK

Titre original : Továrna na absolutno, 1922   ISFDB
Traduction de Jean DANÈS & Jirina DANÈS
Illustration de Bohumil KUBISTA

IBOLYA VIRÁG (Paris, France), coll. Domaine tchèque précédent dans la collection
Dépôt légal : octobre 1998
Roman, 224 pages, catégorie / prix : 100 FF
ISBN : 2-911581-09-1
Format : 14,0 x 20,5 cm x 20,5 cm
Genre : Science-Fiction

Jirina Danès n'est pas créditée comme traductrice dans ce livre.


Quatrième de couverture

    L'industriel Bondy apprend qu'une importante découverte a été faite par un de ses amis d'enfance. Il s'agit d'un "carburateur" capable de briser les atomes du charbon et de multiplier à peu de frais la production d'énergie. Mais ce procédé inédit libère l'essence divine jusqu'alors enfermée dans la matière. Commercialisés à travers le monde entier par Bondy, les carburateurs provoquent d'étranges phénomènes : les athées deviennent croyants, les riches donnent leurs biens aux pauvres, d'autres encore font des miracles...Bientôt un conflit mondial paraît inévitable...

    Comme dans La Guerre des salamandres, Karel Capek (1890-1938) se révèle, à travers ce texte, écrit en 1922, un représentant original du roman utopique en même temps qu'un maître novateur de la prose tchèque moderne.

    "On chercherait peut-être en vain dans la grande littérature d'aujourd'hui une œuvre de ce calibre, qui fasse à la fois réfléchir et rire à propos de problèmes cruciaux comme, les nationalismes abusifs et meurtriers, les lois perverties de l'économie moderne, la terreur politique, tout en abordant au passage d'autres thèmes comme le racisme, le fanatisme, l'information, et bien d'autres qui sont pour nous, hommes de la fin du XXe siècle, des sujets d'interrogation quotidienne."
Alain van Crugten, Transcultures.
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition La BACONNIÈRE, Ibolya Virag (2015)

            1er janvier 1943. L’industriel Bondy lit dans le journal une étrange annonce : « Découverte très lucrative, intéressant toute usine, à céder de suite pour motifs personnels. » Curieux, l’homme d’affaires se rend à l’adresse indiquée et y retrouve un ami depuis longtemps perdu de vue, l’ingénieur Ruda Marek. Celui-ci, à la fois exalté et abattu, a mis au point le Carburateur, un appareil révolutionnaire qui tire le maximum d’énergie d’un minimum de matière. En désagrégeant l’atome, il libère une formidable puissance du moindre électron. Une livre de charbons peut ainsi alimenter une usine durant des semaines.

            Seulement il y a un hic. La matière ainsi pulvérisée met au jour le divin qui y est enfermé puisque, comme chacun sait, Dieu est présent jusque dans la plus infime partie de sa création. Dieu devient un « sous-produit (…) sous une forme chimique parfaitement pure. » L’Absolu va bientôt se répandre. À son contact, toute personne est touchée par la grâce, se livre à un altruisme universel qui lui fait donner tous ses biens aux pauvres. La mystique plonge dans l’extase l’esprit sain. Au fur et à mesure l’effet augmente, occasionnant des prophéties qui se révèlent toutes exactes. Suivent très vite des miracles. L’Absolu est-il une force aveugle, ou Dieu voulant détruire sa création afin de retrouver le calme du commencement ?

            Karel Capek avoine large dans cette satire à la fois drôle et implacable. Chacun en prend pour son grade. Ainsi des athées qui n’adhèrent qu’à des valeurs matérielles. Suivent les différentes religions, bien embêtées que leur pouvoir terrestre soit confronté à la puissance céleste : « Ni les croyants, ni les athées, ne peuvent avoir besoin d’un Dieu existant et agissant réellement. » Particulièrement visée, l’église catholique convoque le divin devant une « commission de déification » qui a tout l’air d’un procès : « Messieurs, ne croyez pas, je vous en conjure, que l’Église fait pénétrer Dieu dans le monde. L’Église ne fait que le contenir et le canaliser. » La science n’est pas non plus épargnée, qui s’échine à rendre l’Absolu compatible avec la théorie de la relativité. Sans parler du communisme qui par un tour de passe-passe dialectique s’approprie « L’Ouvrier infini ». Capek s’en prend à tous, jusqu’au paysan tchèque dont l’âpreté au gain et l’individualisme terre à terre assure sa sur vie et celle des gens qui sont prêts à le payer.

            Cela, en première lecture. Plus étrange est l’adéquation entre la forme et le fond qui aboutit à une dimension pour le coup prophétique. Sachant que l’ouvrage date de 1922, et que Capek est mort en 1938, on ne peut qu’être admiratif de ses trouvailles, tel le nouvel évangile transmis par radio-télégraphe permettant sa discussion instantanée, qui a des airs d’Internet. Quant au monde décrit, il est semblable au nôtre d’une manière inquiétante : attaque des États-Unis par la flotte japonaise, effondrement bancaire, troubles sociaux, crise mondiale, déchirement de la communauté musulmane entre sunnites et chiites à propos du nouveau Califat (!)…

            La Fabrique d’Absolu assure le lien entre R.U.R. (1920) et La Guerre des salamandres (1936). Le récit adopte la même structure ternaire : 1) nouveauté qui apparaît tout d’abord comme bénéfique ; 2) conséquences inattendues entraînant une prolifération et un embrasement total ; 3) effondrement. De même que dans R.U.R, le salut d’une minorité viendra par le choix de l’isolement, du retour à la nature, à ceci près que R.U.R offrait l’espoir d’un nouveau commencement, tandis que La Fabrique d’Absolu s’achève sur un monde à bout de souffle et frappé de bêtise.

            Dans son traitement, le récit offre une sorte de régionalisme à valeur universelle, un peu comme Marcel Aymé, et rappelle souvent dans sa note humoristique un autre ouvrage de Capek : L’Année du jardinier (1929). Relevons enfin l’étonnante audace narrative du chapitre 13, qui voit Capek s’adresser au lecteur et congédier tous ses personnages pour s’intéresser au devenir collectif.

            Le volume, un joli format poche, reprend l’édition de 1999 déjà dirigée par Ibolya Virag. Un avertissement en fin de volume justifie la révision de traduction, puisque l’originale de 1945 avait francisé les noms afin de centrer l’action chez nous. Enfin, le texte de Karel Capek est tel que dans sa parution initiale, illustré par son frère Josef. Un apport sans doublon mais au contraire complémentaire. Preuve une nouvelle fois de la complicité qui existait entre eux, en témoigne l’anecdote maintenant historique : c’est bien Josef qui, pour R.U.R, avait suggéré à Karel l’emploi du terme « robot », à la fortune qu’on sait…

Xavier MAUMÉJEAN
Première parution : 1/4/2015
Bifrost 78
Mise en ligne le : 17/5/2020

retour en haut de page

Dans la nooSFere : 87251 livres, 112067 photos de couvertures, 83685 quatrièmes.
10815 critiques, 47149 intervenant·e·s, 1982 photographies, 3915 adaptations.
 
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes. Trouver une librairie !
A propos de l'association  -   Vie privée et cookies/RGPD