Kerth Gersen n'était pas lui-même un Prince des étoiles, mais il avait voué son existence à la recherche de l'un d'entre eux. Un Prince des étoiles tout à fait spécial qui avait tué, il y a des nombreuses années, les parents de Gersen et emmené le reste de sa famille en esclavage. Tout ce que Gersen savait de lui, c'est qu'il s'appelait Attel Malagate. Une extraordinaire chasse à l'homme à travers la Galaxie qui rebondira dans les deux prochains épisodes de la « Geste des Princes Démons » à paraître dans cette collection : la Machine à tuer et le Palais de l'amour.

 

     Jack Vance est né en 1916. Après le succès de son premier roman The Dying Earth, publié en 1950, il aborde avec une égale maîtrise l'heroic fantasy et le space opera, où son imagination baroque, son sens du dépaysement et de l'épopée se donnent libre cours. Au premier de ces deux genres appartiennent les Maîtres des Dragons (1962) et le cycle de Cugel l'Astucieux (1965-1966). Le second est illustré notamment par la Planète géante (1957), le cycle de Kerth Gersen (le Prince des étoiles, la Machine à tuer, le Palais de l'amour) et celui de Tschaï.

     Kirth Gersen est un aventurier galactique qui a juré de se venger des cinq pirates sanguinaires qui ont pillé son village et massacré les siens alors qu'il était encore enfant. Ces cinq super-criminels de l'espace (appelés les princes-démons) appartiennent à une espèce humanoïde, les princes des étoiles, dont nul ne connaît l'origine avec certitude, et qui se confond à l'espèce humaine de manière presque parfaite, ce qui leur permet le cas échéant de dissimuler leurs exactions derrière une existence banale et sans histoire. Le premier d'entre eux dont notre héros retrouve la piste est Attel Malagate, dit « le Monstre » : il aurait engagé un explorateur free-lance pour découvrir une planète à son usage exclusif. Gersen fait fortuitement la connaissance de l'explorateur en question, Lugo Teehalt, qui lui confesse le succès total de sa mission, peu avant que son commanditaire ne le fasse assassiner. Mais Kirth prend tout le monde de vitesse en récupérant dans l'astronef de Teehalt les coordonnées informatisées de la planète, qu'il compte bien utiliser comme appât pour forcer Malagate à de dévoiler.

     Nous voici donc en présence du premier tome de l'un des cycles les plus connus de Jack Vance, La Geste des princes-démons. Cinq tomes, cinq princes-démons : on imagine sans peine que l'intrépide Kirth Gersen se fait fort d'expédier ad patres un de ses ennemis à chaque épisode. Le thème du héros s'étant donné pour but de se venger impitoyablement de ceux qui ont causé son malheur n'a en fait rien de spécialement original, mais cela n'en donne pas moins des œuvres souvent palpitantes (Le Comte de Monte-Cristo, La Mariée était en noir, Tchao Pantin, Kill Bill...). Pourquoi le lecteur ou le spectateur se délecte-t-il de ces récits ? Peut-être parce qu'il ne peut s'empêcher de ressentir une sympathie un brin sadique pour celui qui se fait justice lui-même. Et ce coupable sentiment joue bien entendu dans le plaisir qu'on peut prendre à lire La Geste des princes-démons. Kirth Gersen est un héros charismatique, résolu et à peu près infaillible (c'est à peine s'il se fait estourbir au coin d'une ruelle par un homme de main, comme le premier Sam Spade venu) ; de fait, après avoir refermé le premier tome, on est plutôt confiants dans l'aboutissement de son dessein vindicatif.

     L'action de cette première étape peut se décomposer en deux parties : tout d'abord, Gersen remonte la filière de l'explorateur pour tenter de localiser son commanditaire. Dans la seconde phase du récit, il a arrêté son choix sur trois suspects, trois inoffensifs universitaires dont l'un est à coup sûr le monstrueux prince-démon s'étant dissimulé sous une couverture des plus académiques. Mais lequel des trois ? L'ambiance de cette deuxième moitié de récit, faite de suspicion sur l'identité réelle du criminel, n'est d'ailleurs pas sans rappeler certains romans policiers de S.-A. Steeman, tels que L'assassin habite au 21 ou Poker d'enfer).

     À chaque fois qu'il aborde le premier volume d'un cycle , le chroniqueur ne peut s'empêcher de se poser une question rituelle : le texte n'aurait-il pas été plus efficace s'il avait été condensé davantage ? Jack Vance a choisi d'étoffer son intrigue au moyen de nombreux passages descriptifs des planètes exotiques où il développe son action, et des peuplades indigènes qu'il y met en scène ¹, un choix qui emportera l'adhésion de ceux des lecteurs qui apprécient avant tout le dépaysement dans la science-fiction. Mais il en est aussi qui considèrent que cela ne s'intègre pas toujours parfaitement à l'intrigue, voire que cela freine inutilement celle-ci — l'ensemble du roman demeurant néanmoins parfaitement digeste, et beaucoup moins pesant que bien des cycles de la science-fiction.

     Par le classicisme de ses thèmes et le caractère très typé de ses personnages, Jack Vance s'inscrit donc, plutôt efficacement, dans la frange de la science-fiction puisant directement aux sources du roman d'aventures populaire, ce qui, bien entendu, est loin d'être une appréciation péjorative ! Mais cela n'en constituera pas moins une forme de mise en garde pour tous les inconditionnels d'une SF plus réflexive, voire cérébrale.