Destination : vide et L'incident Jésus, les deux premiers tomes de cette trilogie (affirmation hasardeuse de nos jours, les trilogies se transformant facilement en tétra, voire pire...), sont parus chez Laffont en 1981. Le premier volume jouait quelque peu de l'apprenti sorcier, traitant de la création d'une intelligence artificielle qui (inévitablement ?) échappe à ses concepteurs. Le vaisseau-ordinateur Nef s'attribuait aussitôt un caractère divin. Le deuxième tome, signé Herbert/Ransom, était le lieu d'une réflexion intelligente sur la divinité et l'esprit religieux. Nef abandonnait les hommes sur une terre hostile, Pandore, en leur permettant ainsi (s'ils le désiraient vraiment) de couper le cordon ombilical qui va du dieu à ses créatures. Livrés à eux-mêmes, les humains ont aussitôt rejoué le premier mythe, en créant cette fois une floraison de mutations génétiques.
Lorsque s'ouvre L'effet Lazare, Pandore n'est plus qu'un océan. Les descendants des clones qui peuplaient Nef ont formé deux peuples antagonistes : les Siréniens proches du type humain originel, réfugiés sous l'océan et détenteurs de la technologie de pointe, et les Iliens majoritairement mutants, vivant sur des îles organiques dans la plus extrême pauvreté.
Le récit extrêmement fragmenté (certains chapitres font à peine deux pages) sera celui d'un affrontement, Herbert et Ransom ont posé une situation de crise : les Siréniens prêts à reconquérir Pandore (création de nouveaux continents, manipulation du varech reconstitué qui peuplait jadis la planète) ne désirent nullement se laisser contaminer par les tares génétiques des Iliens. Les plus extrémistes envisagent même quelque chose comme un génocide. Et autour de Pandore gravitent les caissons d'hibernation qui contiennent sans doute toutes les richesses de Nef en connaissances comme en « matériel » génétique pur.
La description des enjeux, des forces en présence et des moyens mis en œuvre pour s'approprier le pouvoir est menée avec une justesse remarquable : loin d'un récit d'aventures (ce qu'il est pourtant, et captivant) L'effet Lazare fait toucher du doigt les réels mécanismes (souvent économiques) d'un conflit politique. L'un des protagonistes affirme cyniquement que le maître des chaînes d'alimentation sera le maître de ce monde, et nous voilà bien loin de la banale histoire d'ambition. La description des liens de dépendance commerciale des Iliens vis-à-vis des Siréniens est des plus précise La lucidité semble une caractéristique première de cet ouvrage.
Au-delà de l'intrigue première, deux motifs courent d'un bout à l'autre du roman : le racisme et le statut de la conscience. Le varech reconstitué par les Siréniens va peu à peu recouvrer également son état ancien de conscience collective, grâce aux humains porteurs de ses gênes. L'océan de Pandore redevient vivant et conscient. Mais le varech a appris et veut tenter de vivre en harmonie avec les hommes. Une harmonie qui transcende la vie et la conscience, puisque les organismes défunts donnés au varech transfèrent en lui leur esprit.
Ce livre est également un grand plaidoyer anti-raciste. Pandore et ses habitants ne peuvent survivre qu'unis, dans une dépendance qui nécessite la plus grande tolérance envers les différences des uns et des autres. Admirable symbole : les Siréniens, qui se croient les dépositaires du patrimoine humain originel, seront perçus par les clones sortis de leurs caissons sur un plan de totale égalité avec les Iliens — égalité dans la déformation génétique ! On est toujours l'étranger de quelqu'un !
L'effet Lazare est également une galerie de personnages savamment campés, dont les rapports personnels vont évidemment nouer révolution des affrontements généraux. Ainsi de l'amour entre la Sirénienne Scudi et l'Ilien Brett, comme de l'ambassadrice Kareen et du poète Panille (projection de Bill Ransom ?). La construction du récit, multipliant les points de vue. offrant des réflexions intérieures et scandant le tout d'exergues parfois subtilement choisies (ainsi de La poétique de la rêverie de Bachelard figurant dans l'imaginaire Manuel du psychiatre-aumônier), achève de donner à ce livre une efficacité romanesque totale. On ne s'ennuie pas, et ce qui est mieux, cette écriture habile donne à lire des réflexions importantes sur l'homme, la connaissance et la tolérance. Tous les gros romans US ne sont hélas pas de ce calibre.