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Un feu sur l'abîme

Vernor VINGE

Titre original : A Fire Upon the Deep, 1992
Première parution : États-Unis, New York : Tor, Avril 1992   ISFDB
Cycle : Zones of Thought vol. 1 

Traduction de Guy ABADIA

Robert LAFFONT (Paris, France), coll. Ailleurs et demain précédent dans la collection suivant dans la collection
Dépôt légal : mars 2011, Achevé d'imprimer : avril 2011
Réédition
Roman, 696 pages, catégorie / prix : 25 €
ISBN : 978-2-221-12577-9
Format : 13,0 x 21,8 cm
Genre : Science-Fiction

Le Bernard Boulier qui, selon le texte de quatrième de couverture, signe la critique parue dans Bifrost, est bien entendu Philippe Boulier.
La carte intérieure n'est pas créditée, mais il s'agit vraisemblablement de celle de l'édition originale, dessinée par Ellisa Mitchell (qui signe Ellisa Martin).


Ressources externes sur cette œuvre : quarante-deux.org
Ressources externes sur cette édition de l'œuvre : quarante-deux.org

Quatrième de couverture
Une expédition Straumli, explorant une Archive dans la presque Transcendance, a déchaîné une Perversion sur la Galaxie entière. Un unique navire est parvenu à fuir dans la nuit épouvantable. À travers l'espace, il fonce vers le centre de la Galaxie, vers la Lenteur où l'on ne peut pas dépasser la vitesse de la lumière, où les systèmes informatiques les plus performants, et même les si lentes intelligences biologiques, subissent une perte de leurs facultés. Il cherche un monde où se poser. Joanna et Jeffri, les deux seuls survivants de l'expédition Straumli, portent sans le savoir la responsabilité du salut de millions de civilisations. Dont certaines sont bien plus anciennes que l'humanité. Joanna et Jeffri sont des enfants, abandonnés à eux-mêmes sur un monde médiéval dont les conflits et les cruautés ne le cèdent en rien à ceux de la Galaxie. Et ceux qui voudraient les aider, et sauver du même coup la Galaxie civilisée, Ravna l'humaine, le Cavalier des Skrodes, et Pham, qui n'est peut-être qu'une extension d'une Puissance, se trouvent encore à des milliers d'années-lumière...
 
Un feu sur l'abîme a obtenu le prix Hugo. Sa suite, Les Enfants du ciel, paraîtra prochainement dans la même collection.
 
« Vernor Vinge à son tour réinvente le genre. Son message : le space-opera n'a d'autre but que de divertir le lecteur. On ne peut que rester béat d'admiration devant le résultat. »
Bernard Boulier, Bifrost
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition Robert LAFFONT, Ailleurs et demain (1995)

     Commençons par un détour. Le nom de Vinge est bien connu des lecteurs francophones : une quinzaine de romans traduits dont dix volumes aux Éditions J'ai Lu, ces derniers régulièrement réimprimés ; par contre le prénom Vernor est nettement moins familier à ces mêmes lecteurs que celui de Joan. Et pour cause : si son ex-épouse Joan Vinge 1 écrit à plein temps et bénéficie des faveurs d'un lectorat fidèle et important, Vernor Vinge consacre l'essentiel de son temps à l'enseignement des mathématiques et de l'informatique à l'Université de San Diego, l'écriture n'étant pour lui qu'une activité secondaire.
     Né en 1944, Vernor Vinge commence à publier en 1965 dans New Worlds, avant de rejoindre l'équipe des collaborateurs réguliers de la revue Analog, alors dirigée par John W. Campbell. Il publie en 1966 son premier roman, Grimm's World, dans l'anthologie Orbit de Damon Knight ; ce roman connaîtra trois versions, la dernière (et définitive) en 1987, sous le titre Tatja Grimm's World. Second roman en 1976 : The Witling. Troisième et quatrième romans coup sur coup en 1984 et 1986 : The Peace War suivi de Marooned in Realtime ; accompagnés d'une nouvelle, « The Ungoverned », ces deux livres seront repris en 1991, sous forme d'un omnibus titré Accross Realtime. Voilà pour situer rapidement l'œuvre romanesque. Notons par ailleurs que l'essentiel des nouvelles de Vernor Vinge a été réuni dans deux excellents recueils : True Names and Other Dangers (1987) et Threats... and Other Promises (1988).
     Côté francophonie, seul le second roman de l'auteur, The Witling, a fait en 1981 l'objet d'une traduction peu mémorable, sous le titre Les traquenards de Giri, dans la collection Galaxie-Bis des défuntes éditions Opta.
     Proposé aujourd'hui sous le titre Un feu sur l'abîme, dans une traduction de Guy Abadia, A Fire upon the Deep est donc le cinquième roman de Vernor Vinge 2 ; récompensé par le Prix Hugo 1993, présenté par ses divers éditeurs comme un chef-d'œuvre, cet énorme pavé est considéré par l'ensemble de la critique comme l'œuvre la plus ambitieuse et la plus achevée de son auteur.
     Il est vrai qu'il ne faut pas manquer d'ambition pour rédiger un tel opus. Ni de courage pour en entamer la lecture. En résumé (ultra rapide des 600 pages en petits caractères) : une intelligence artificielle a été libérée par des archéologues imprudents ; elle se propage dans toute la galaxie, anéantissant au passage des milliers de civilisations ; la seule « arme » qui pourrait sauver l'univers serait en possession de deux enfants, uniques survivants du contingent humain responsable de la situation, et présentement naufragés sur un monde médiéval ; d'où une course contre la montre pour « récupérer » les enfants et l'arme (si elle existe). Présenté ainsi, l'intrigue a l'air un peu simpliste — elle est loin de l'être !  3
     Côté narration, le livre oscille en permanence entre les deux décors de l'action : quelques dizaines de pages font avancer celle-ci sur la planète médiévale, puis le lecteur se retrouve dans la « civilisation », où l'auteur l'informe des derniers ravages commis par la Perversion lâchée sur la galaxie et de l'avancement des contre-mesures.
     Autant le dire tout de suite : ces deux sous romans imbriqués l'un dans l'autre n'ont pas grand chose en commun. La partie « médiévale » est assez ridicule — et en dépit de plusieurs idées dignes d'intérêt, n'a rien à voir globalement avec les conceptions de la Science-Fiction défendues dans les pages de ce magazine.
     Cette planète arriérée est peuplée de créatures dont la morphologie rappelle fortement celle des chiens : individuellement, chaque « chien » a un comportement parfaitement animal, collectivement — c'est-à-dire réunis en meutes — ces créatures forment des entités douées de raison. L'espèce dominante de la planète n'est donc pas celle des chiens, mais celles des meutes. L'idée est originale et intéressante. Ses corollaires le sont tout autant. D'abord si l'individu « de base » est mortel, l'être collectif est immortel : sa mémoire étant constituée par l'ensemble des mémoires des individus faisant ou ayant fait partie de la meute. Ensuite chaque gestalt — chaque meute — possède comme « organes » de perception du réel, l'ensemble des organes individuels : la meute a, au sens strict, le don de triple, de quadruple, de quintuple... vue. Imaginons ce qu'un auteur littérairement ambitieux aurait pu tirer d'une telle conséquence : considérée comme « personnage », chaque entité collective aurait pu participer à la ligne narrative et descriptive en tant qu'un être capable d'adopter plusieurs points de vue en même temps. Imaginons également le désarroi du lecteur peu attentif ! Pour une fois que la Science-Fiction aurait pu — grâce à un motif spécifiquement SF — dépasser en invention et en recherche la littérature générale ! 4 Vernor Vinge passe à côté de l'exploit et se contente d'une ligne narrative banale — preuve s'il en était besoin que la SF des années 80 /90 a résolument tourné le dos à la Spéculative Fiction genre New Worlds, pour renouer avec la tradition Campbellienne. 5
     Mais revenons à nos canidés. Ils portent de jolis habits et manient des armes — le premier saisit l'arc dans sa gueule, le second pose la flèche, le troisième agrippe la corde et la tend... Ils ont érigé des cités et explorent les océans à bord de voiliers. « Rien dans les mains, tout dans la gueule » serait-on tenté de dire ; car nos toutous ne possèdent rien qui ressemble, de près ou de loin, à une main — la notion de « pouce opposable » étant visiblement inconnue de l'auteur. Et s'ils peuvent certes saisir, ils sont incapables de d'unir deux objets en les rapprochant, et donc de construire — c'est pour cette même raison que l'éléphant, avec sa trompe dont l'extrémité est pourtant aussi performante qu'une main humaine, avec son intelligence remarquable, son organisation sociale d'une extrême complexité, son embryon de culture (l'éléphant a conscience de la mort, il connaît le jeu et le langage), sa capacité surprenante de s'adapter à peu près à n'importe quel environnement, n'est pas et n'a jamais été un concurrent pour l'homme : il eut fallu pour ce faire qu'il possédât deux trompes.
     Tels qu'ils sont décrits, les chiens de Vernor Vinge sont incapables de construire une civilisation anthropomorphique de type moyenâgeux. Le laisser entendre relève de l'escroquerie intellectuelle — ou alors qu'on nous demande de pratiquer ce que les anglo-saxons nomment « suspension of disbelief » et que l'on pourrait traduire par une mise entre parenthèses de l'incrédulité ; mais dans ces conditions, qu'on nous précise qu'il s'agit de fantasy et non de Science-Fiction, et que l'on n'écrive pas « Ailleurs et Demain » sur la couverture mais « Presses Pocket ».
     Il est d'autant plus irritant de perdre son temps à survoler toutes les parties tolkiennisantes de ce pavé, que les passages authentiquement sciencefictifs sont le plus souvent remarquables. Les spéculations scientifiques de Vinge sur la nature de la galaxie sont très excitantes sur le plan intellectuel ; la plupart des personnages sont d'une totale crédibilité et possèdent une indéniable profondeur psychologique : certains tels les Cavaliers sont particulièrement attachants ; l'organisation sociale, économique, politique, de la galaxie est complexe et Vinge évite avec talent le piège de l'exposition fastidieuse : les informations sont fournies au lecteur au fur et à mesure de ses besoins. Tout lecteur exigent se délectera de la partie authentiquement SF de cet ouvrage — et en faisant l'effort « d'y croire », il suivra avec le même intérêt la partie fantaisiste ; car Vernor Vinge est un remarquable conteur : les aventures canines ne sont pas ennuyeuses un seul instant, elles sont seulement parfaitement imbéciles.
     Ouvrons une parenthèse pour nous demander quel est le public concerné par Un feu sur l'abîme ? La moitié de l'ouvrage est consacrée aux (més) aventures de deux enfants sur une planète de fantasy peuplée de chiens intelligents : voilà qui est typique d'un roman pour adolescent façon Heinlein teinté de Simak, s'adressant aux 12 /15 ans. L'autre moitié fourmille de considérations intellectuelles de haut niveau : seul un lecteur adulte cultivé peut y trouver son compte ; par ailleurs le produit final, vu son ampleur et sa démesure, ne saurait convenir à un adolescent. Une réponse pourrait être de considérer cet ouvrage comme s'adressant à des adultes cultivés ayant conservé une âme d'enfant, capables d'apprécier à la fois Edgar Morin ou Stephen Hawkins, et les dessins animés de Walt Disney ou les romans d'Elisabeth Goudge. A l'heure où la critique confond livre de Science-Fiction et livre sur la Science-Fiction, où les éditeurs jouent à fond la carte du mélange des genres, publiant sous le label « SF » tout et n'importe quoi, où le public de la SF est, surtout aux USA, plongé en pleine confusion si ce n'est engagé dans un processus de régression mentale, il n'y a rien d'étonnant à ce que ce Feu sur l'abîme soit présenté et perçu comme un chef-d'œuvre. A mon humble avis, il n'en relève que pour moitié...


Notes :

1. Joan Vinge a commencé à publier dans les années 70, alors qu'elle était l'épouse de Vernor Vinge. Après son remariage en 1980 avec l'éditeur Jim Frenkel, elle a continué d'utiliser le nom de son premier mari dans son activité littéraire.
2. Et non le quatrième comme l'affirme la quatrième de couverture...
3. Et elle n'est pas sans rappeler le roman de Wildy Petoud chroniqué dans notre précédente livraison (Route des soleils) ; ce qui est normal, Wildy Petoud n'étant pas la seule à avoir lu Robert Heinlein. Notons que Vernor Vinge a également lu Simak et Sturgeon. Nous y reviendrons.
4. Ce qu'elle n'a jamais fait, à l'exception notable d'Alfred Bester — n'en déplaise aux tenants de la thèse selon laquelle la SF serait à l'avant-garde de l'avant-garde. Tout ce que la « spéculative fiction » ou la SF à la française a cru inventer depuis les années soixante, avait été essayé et abandonné par la littérature générale des décennies auparavant ! Mais il est bien connu que les auteurs de SF ne sortent guère de leur ghetto et n'ont généralement pas la moindre culture littéraire.
5. On peut à la fois se féliciter de ce retour à un minimum de lisibilité, tout en déplorant le manque d'ambition de nombre d'auteurs. Il est évident qu'une voie médiane reste à être inventée, exploitant des motifs spécifiquement SF d'une plume littérairement ambitieuse. S'il ne se contentait pas, le plus souvent, d'écrire des romans de littérature générale dans un contexte SF, Kim Stanley Robinson fournirait un bon exemple de cette possible troisième voie, de cette mouvance équatoriale entre l'aridité d'une partie de la hard SF et certains errements pseudo-littéraires.
6. Le lecteur français de BD pensera probablement à l'univers haut en couleurs de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières ! Œuvre d'ailleurs partiellement traduite aux USA depuis au moins une dizaine d'années...

Francis VALÉRY
Première parution : 1/4/1995
dans Cyberdreams 2
Mise en ligne le : 13/9/2003


Edition Robert LAFFONT, Ailleurs et demain (2025)

Ce sont presque deux récits indépendants qui se cachent dans Un feu sur l'abîme. Deux récits entremêlés dont la source et la conclusion sont intriquées. Le premier est l'histoire de deux enfants jetés sur une planète isolée et étrangère au milieu d'une guerre larvée. Vernor Vinge décrit alors en détail une société médiévale dont les habitants, les Dards, présentent la particularité de partager un esprit pour plusieurs corps ; des sortes de chiens au cou extensible, liés en meutes par une communication psychique, équipés de griffes métalliques pour la guerre. Orphelins, Jeffri et Joanna se retrouvent malgré eux chacun dans une faction distincte d'un conflit qui couve depuis des années et menace d'exploser à nouveau grâce au contact de ces humains venus d'ailleurs et à leur technologie. Si Joanna bénéficie d'une encyclopédie numérique pour aider son entourage à s'armer, c'est avec une aide distante, par radio, que Jeffri va quant à lui apporter un soutien au parti qui l'a recueilli, à la manière de Claudi dans l'Orphelin de Perdide de Stefan Wul, (ou Les Maîtres du Temps dans la mise en images de René Laloux).

La seconde trame narrative, à l'opposé de ce huis-clos planétaire, est la fuite effrénée d'un petit groupe de personnages au travers de la Galaxie pour tenter de trouver une parade à l'attaque d'une Intelligence Artificielle surpuissante. Les aventures de Ravna et de ses compagnons proposent tous les tropes du récit de space opera le plus échevelé : communications intersidérales instantanées, destruction éclair de mondes entiers, poursuites et batailles spatiales, races extra-terrestres variées... Les péripéties peuvent parfois paraître simplistes, certaines situations un peu ridicules. Mais Vernor Vinge invente et développe aussi des décors et des idées qui amènent l'esprit à se perdre très loin. Comme la Transcendance, un concept cher aux auteurs de hard-SF depuis 2001 l'Odyssée de l'espace de Arthur C. Clarke jusqu'au Diaspora de Greg Egan, qui constitue l'apogée de l'évolution d'une Humanité débarrassée des contingences matérielles. Ou encore l'En-delà qui se trouve aux franges et en dehors de la Voie Lactée, dans lequel les lois altérées de la physique permettent tous les miracles techniques de l'imaginaire SF, au contraire des Lenteurs, ces zones intérieures de la galaxie où se trouve notre propre système solaire.

Dans certains chapitres, Vernor Vinge réussit le tour de force de rendre particulièrement prégnants voire angoissants des caractères qui, pour être au centre de l'histoire et des enjeux, ne sont jamais réellement visibles. À la manière de Sauron, qui n'est jamais incarné que par un œil dans Le Seigneur des anneaux, la Perversion, cette Intelligence Artificielle menaçante dont le déploiement paraît être incoercible, n'est ainsi jamais représentée que par les artefacts ou les personnes qu'elle contrôle. Également, le Vieux, vieille entité parvenue à la transcendance, ne communique et n'apparaît aux autres qu'au travers des réseaux ou par l'intermédiaire de poupées qu'elle manipule.

Superposition de récits, de thèmes... Et de genres. Le roman se pare successivement, comme dans la Ballade de Pern de Anne McCaffrey, des atours de la fantasy ou de la science-fiction. Il alterne aussi des scènes d'action qui semblent destinées à un lectorat jeune avec des tableaux complexes de dimensions galactiques et difficilement perceptibles dans leur ensemble. À plus d'un titre, il est possible d'y voir un patchwork assez décousu ou au contraire de considérer cette variété de sujets et de tons, mais aussi les vastes échelles d'espace et de temps mises en jeu, comme les éléments d'un roman de grande ampleur. Un roman couronné par le prix Hugo en 1993, dans lequel il n'est peut-être pas facile de rentrer, mais qui récompense le lecteur curieux et persévérant.

Pour celui tenté par l'aventure, il est à noter que la traduction du texte a été révisée pour cette réédition en grand format joliment illustrée par Aurélien Police. La révision, présentée avant le récit, s'avère particulièrement pertinente à la relecture de cette notice avant de fermer l'ouvrage.

 

David SOULAYROL
Première parution : 18/1/2025
nooSFere


Edition LIVRE DE POCHE, SF (2ème série, 1987-) (1998)

     Est-il encore possible, en cette fin de siècle, d'écrire un space-opera tel que le concevaient E. E. “ Doc ” Smith ou Edmond Hamilton il y a plus d'un demi-siècle, c'est-à-dire un roman d'aventure démesuré, frénétique, ne laissant jamais à son lecteur le temps de respirer, et n'ayant en définitive d'autre but que de distraire' ?
     Et surtout, un tel livre peut-il être autre chose que parfaitement ringard ? A ces questions, Vernor Vinge répond oui sans hésiter et nous en donne la meilleure démonstration possible
     A première vue Un feu sur l'abîme accu­mule tous les clichés propres au space-opera : intrigue prétexte (les héros doivent partir à la recherche d'un mystérieux artefact, seul capable de sauver l'univers du péril qui le menace), extraterrestres improbables (les Cavaliers des Slrodes, sortes de caoutchoucs en pot pensants), anthropocentrisme (la race des Dards, sur la planète desquels se déroule une grande partie du roman, a bâti une civili­sation étonnamment semblable à notre propre moyen-âge, ce qui est d'autant plus étrange que leur morphologie est plus proche de celle du chien que de l'humain), combats spa­tiaux à vitesse supraluminique, sans parler de l'inévitable détour par quelques haut-lieux du genre, bar et marché galactiques en tête. Avec un tel matériau, l'approche parodique, telle que la pratique Red Deff par exemple, semble être le seul moyen pour l'auteur de ne pas sombrer dans 1e grotesque.
     Pourtant, Vernor Vinge infirme ce point de vue. Pince sans rire de génie, il parvient à nous faire avaler les invraisemblances les plus énormes sans se départir d'un sérieux imperturbable. Les personnages, humains comme extraterrestres, révèlent rapidement des personnalités et des motivations com­plexes. Le souci du détail de l'auteur lorsqu'il décrit la civilisation des Dards et l'originalité de leur mode de pensée (la base de 1a socié­té n est pas l'individu mais la meute, les Dards n'accédant à l'intelligence que lorsqu'au moins quatre individus mettent leur psyché en commun) en font l'un des éléments les plus fascinants de ce roman. Et surtout, le récit est mené sans temps morts, ce qui, sur une telle longueur, relève de l'exploit.
     Loin du souci de la rigueur scientifique chère à un Gregory Benford ou des préoccu­pations socio-politiques d'un Iain M. Banks, Vernor Vinge à son tour réinvente le genre. Son message : le space-opera n'a d'autre but que de divertir le lecteur. C'est pourquoi il doit être pris avec le plus grand sérieux. On ne peut que rester béat d'admiration devant le résultat.

Philippe BOULIER
Première parution : 1/10/1998
dans Bifrost 10
Mise en ligne le : 4/11/2002

Prix obtenus
Hugo, Roman, 1993
Cosmos 2000, [sans catégorie], 1995
Science Fiction Chronicle, Roman, 1993


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