« Si vous aimez les allers et retours, les voyages qui vous transportent loin des conforts du Monde occidental, passé la frontière de la Sauvagerie, et qui vous ramènent à la maison ; si vous savez vous intéresser à un héros modeste (doté d'un peu de sagesse, d'un peu de courage et de beaucoup de chance), voici le récit d'un tel voyage et d'un tel voyageur. Il se passe aux temps anciens entre l'âge de Faerie et la domination des hommes, à l'époque où la célèbre forêt de Grand'Peur se dressait encore, et où les montagnes fourmillaient de dangers. En suivant le parcours de cet humble aventurier, vous apprendrez en chemin (comme lui) — si vous ne savez pas déjà tout de ces créatures — bien des choses sur les trolls, les gobelins, les nains et les elfes ; vous aurez aussi un aperçu de l'histoire et de la politique d'une période négligée, mais non moins importante. Car M. Bilbo Bessac a rendu visite à divers personnages éminents ; il s'est entretenu avec le dragon, Smaug le Magnifique ; et il était présent, bien contre son gré, lors de la Bataille des Cinq Armées. Tout cela est d'autant plus remarquable que M. Bessac était un hobbit. Car jusqu'ici, l'histoire et les légendes n'ont tenu aucun compte des hobbits, peut-être parce qu'ils préféraient, en règle générale, le confort à l'agitation et aux émotions fortes. Mais ce récit — tiré de ses mémoires personnels — de la seule année excitante dans la vie de M. Bessac permettra de vous familiariser avec ces gens fort estimables, qui de nos jours (dit-on) se font plutôt rares. Le bruit les dérange. » J.R.R. Tolkien
« Dans un trou vivait un hobbit. » L’ouverture de ce roman fait partie des phrases les plus célèbres de la littérature, et les hobbits de Tolkien sont les plus connues de ses créations. Ils sont pourtant apparus dans un roman pour enfants (un récit que Tolkien avait élaboré pour les siens) qui n’était au départ rattaché qu’assez lâchement au reste de la grande œuvre légendaire.
Rappelons-en le propos : dans une agréable maison creusée dans une colline, un petit homme tranquille nommé Bilbo vit de ses rentes. Passe un magicien nommé Gandalf qui lui adresse des paroles mystérieuses et donne rendez-vous chez lui à une compagnie de treize nains barbus… Ceux-ci veulent reprendre le trésor volé à leurs pères par le dragon Smaug. Par fierté, par erreur, notre hobbit va se joindre à la compagnie en tant que « cambrioleur » (les hobbits savent être très discrets) et vivre au milieu d’une bande de bras cassés plutôt incompétents (à l’exception de leur chef, le noble Thorin Ecudechêne) des aventures folles qui lui feront mille fois regretter son confortable cottage campagnard.
L’auteur de ces lignes a découvert ce roman enfant et en gardait un formidable souvenir. Pour la première fois, un livre se révélait trop court ! Puis le temps a passé et il a pu le lire à ses propres enfants. La redécouverte n’a provoqué aucune déception : au-delà des péripéties du récit (qui comprennent nombre de grands moments, comme la traversée des souterrains des gobelins ou l’évasion du palais du roi des Elfes de la forêt, sans compter la rencontre avec Smaug, formidable créature), le style fait tout le charme du récit. Écrit d’une façon légère et humoristique, prenant souvent le lecteur à partie, Bilbo le hobbit, loin du terrible pudding de Peter Jackson, est un roman gracieux et amusant alternant scènes comiques et aventures épiques. Les grands thèmes de Tolkien sont pourtant bien présents, notamment celui de la corruption – corruption de l’or, auquel presque aucun personnage n’échappe. La tonalité se fait d’ailleurs plus grave dans les derniers chapitres, une fois les Nains en possession de l’objet de leurs désirs… La fin du roman est épique et belle, le petit homme a mûri et personne n’est sorti inchangé de l’aventure.
Et c’est au cœur des ténèbres du chapitre 5 qu’apparaît le plus beau personnage de tout l’univers de la Terre du Milieu. Faible, sournois et visqueux, Gollum, hobbit déformé par le Mal, affronte Bilbo dans un jeu d’énigmes rappelant les scènes similaires des légendes nordiques. Ce passage pivot existait sous une forme différente – moins ambiguë – dans la première édition de 1937 du roman. Bloqué dans l’écriture du « Seigneur des Anneaux », Tolkien l’a réécrite et la scène modifiée que nous connaissons mieux est parue dans l’édition de 1951 – sur une initiative de l’éditeur ! Le roman n’étant autre que le récit qu’a écrit Bilbo à son retour de voyage, Tolkien a fini par indiquer que l’édition initiale correspondait à la première version du récit où Bilbo se donnait le beau rôle !
Bilbo le hobbit, ou la part d’enfance, d’humour et de fantaisie du légendaire tolkienien. Un moment de grâce.
Laurent KLOETZER (site web) Première parution : 1/10/2014 Bifrost 76 Mise en ligne le : 21/4/2020