Robert A. HEINLEIN Titre original : Starship Troopers, 1959 Première parution : The Magazine of Fantasy and Science Fiction, octobre et novembre 1959. En volume : États-Unis, New York : G. P. Putnam's Sons, 28 octobre 1959ISFDB Traduction de Patrick IMBERT
J'AI LU
(Paris, France), coll. Nouveaux Millénaires Date de parution : 6 novembre 2019 Dépôt légal : novembre 2019, Achevé d'imprimer : 6 octobre 2019 Réédition Roman, 352 pages, catégorie / prix : 20,00 € ISBN : 978-2-290-21419-0 Format : 13,0 x 20,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Pour impressionner une fille et contrarier son père, le jeune Juan Rico s’engage dans l’Infanterie mobile, le corps d’armée réputé le plus dangereux. Après tout, il n’en a que pour deux ans, et la guerre est loin, aux confins de la galaxie. Mais tandis qu’il effectue ses classes et découvre la discipline sévère d’un bataillon d’élite, le conflit prend une nouvelle dimension, et le voilà embarqué dans une série de batailles mortelles qui le transformeront à jamais.
Robert A. Heinlein (1907-1988) a servi dans la Navy et atteint le grade de lieutenant avant d'être réformé pour maladie. La science-fiction y a gagné l'un de ses plus grands auteurs, dont les nombreux romans et nouvelles (En terre étrangère, Double étoile, Marionnettes humaines, Histoire du Futur...) ont inspiré plusieurs générations d'écrivains. Récompensé par le prix Hugo en 1960, Starship Troopers est moins une réflexion sur la guerre que sur le sens de l'engagement, militaire ou civil, selon Heinlein indispensable au fonctionnement d'une démocratie.
1 - Ugo BELLAGAMBA & Éric PICHOLLE, Engagez-vous ! [… mais pas dans l'Infanterie Mobile], pages 9 à 14, préface
Critiques
Il est, je pense, aussi difficile en 2019 de vendre que de chroniquer Starship Troopers. Le roman est ancien (VO en 1959, Prix Hugo en 1960, VF en 1974, sous le titre Étoiles, garde-à-vous !) ; un film en a été tiré en 1997, qui, pour beaucoup, constitue une connaissance suffisante de l’œuvre. Et pourtant, il est bien utile aujourd’hui de se replonger dans Starship Troopers, ceci pour deux raisons. D’abord car le film de Paul Verhoeven, en dépit de ses qualités propres, adopte un ton ironique – qui rend dérisoires les accusations de cryptofascisme dont certains l’ont affublé – alors que le texte de Heinlein est grave. Ensuite car ce dont parle l’auteur – et là, il faut rendre aux préfaciers Ugo Bellagamba et Éric Picholle ce qui leur est dû en terme d’analyse – c’est de l’engagement et de son prix, quelles que soient les formes que prennent celui-ci et celui-là.
L’histoire est assez connue pour qu’on puisse n’en dire que quelques mots. Futur, espace humain. La Terre et ses colonies spatiales sont gouvernées par un système – que Heinlein développe peu – dans lequel la citoyenneté est subordonnée à la réalisation d’un service fédéral, souvent militaire. Les non citoyens, majoritaires, y sont comme les métèques des cités grecques, libres de vivre et d’agir mais dépourvus de pouvoir politique.
Le roman, à la première personne, est l’histoire de Juan Rico, un jeune diplômé qui s’engage un peu par hasard et contre l’avis de ses parents, et se trouve affecté dans l’Infanterie Mobile, le corps des fantassins d’élite de l’armée fédérale. Rico, qui s’engage en temps de « paix », fait ses classes – très dures – puis se trouve plongé dans une guerre chaude déclarée vers la fin de sa période d’instruction par une race d’insectes lancés – ni plus ni moins que les humains – à la conquête de l’espace connu et des ressources vitales qu’il renferme. Instruction, épreuves et expérience feront grandir Rico jusqu’à lui faire comprendre quel doit être l’engagement du citoyen ; qu’il ne s’agit pas pour lui et les autres engagés de simplement gagner un droit de vote dont beaucoup (jusqu’aux parents de Rico) se passent fort bien, mais de vivre en plein accord avec la communauté politique dont ils se réclament – jusqu’à lui sacrifier temps, santé ou vie.
Certes, Starship Troopers accuse parfois son âge – dans les rapports de genre par exemple. Certes, encore, il est un vrai roman de guerre, avec ses passages obligés, du sergent sévère mais juste aux rivalités viriles entre armes. Certes, enfin, on y trouve un usage aussi immodéré qu’irréaliste des munitions nucléaires tactiques (même si l’utilisation tactique de ces armes fut envisagée durant la Guerre de Corée). Mais le roman reste essentiel car il aborde des questions intemporelles. En effet, par-delà le récit très SF militaire (si on y est allergique, mieux vaut passer son chemin), le roman développe deux thèmes principaux. D’une part, la fusion dans une communauté de frères d’armes (on peut penser à la première partie de Full Metal Jacket) qui serait tout aussi soudée si elle était une communauté de citoyens engagés dans une action autre que militaire – les travaux du politiste D. Gaxie, entre autres, disent assez les liens qui naissent dans l’action militante ; ces liens de fraternité nés de l’adversité partagée, dont manquent trop souvent les sociétés individualistes. D’autre part, l’importance et la valeur de l’engagement civique, quelle que soit la forme que prend cet engagement — militaire ici, écologique peut-être aujourd’hui, par exemple. En 1959, Heinlein invitait à s’engager, ce qui signifie accepter d’en payer le prix si nécessaire. Notre époque utilise le mot citoyen comme un mantra dépourvu de sens. Il faut alors laisser la parole à Rousseau : « Dans un État vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent. Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes… Dans une cité bien conduite chacun vole aux assemblées ». Que nous en sommes loin ! C’est alors une piqûre de rappel qu’administre Heinlein, lui qui fait dire à ses personnages : « le destin le plus noble d’un homme est de placer son corps mortel entre son foyer et les ravages de la guerre » ou « Il n’y a pas de plus grand amour qu’une chatte qui meurt en défendant ses petits ». Il voulait rappeler qu’il n’y a pas de droit sans devoir, ni de liberté sans responsabilité. Et si nul ne souhaite ni mourir ni souffrir, il importe d’être prêt à le faire lorsqu’est en jeu la survie même de la communauté politique. Un message dont notre époque a, semble-t-il, grand besoin.
Ceux qui se pencheront sur ce livre après avoir vu le film de Paul Verhoeven (Starship Troopers) risquent d'être surpris, déçus, choqués mais aussi admiratifs et intéressés... à titre documentaire.
Surpris, car le roman est somme toute assez différent du film : l'intrigue est resserrée autour de la formation militaire du fantassin Juan Rico et l'agressive civilisation arachnide n'apparaît que bien après ses armes. Ce n'est pas pour les combattre que Rico s'est engagé, mais bien par idéal !
Déçus, car les clins d'oeil au second degré dont Verhoeven a truffé son film sont absents de cette ode au soldat (le roman est dédié « à tous les adjudants de tous les temps qui ont oeuvré pour faire de jeunes garçons des hommes »).
Choqués, car ce roman initialement écrit pour la jeunesse distille au premier degré une idéologie suspecte et controversée, militariste voire fascisante. Les citoyens ordinaires ne sont pas vraiment des hommes, seuls les soldats, individus responsables pour qui l'idée de nation est prédominante, ont le droit de vote. L'éducation, pour être réussie, doit forcément être sévère, à condition qu'elle soit juste et que les châtiments soient appliqués sans état d'âme. Une idéologie qui ne détonne pas dans les années 50 (le livre est de 1959) mais qui dut surprendre les lecteurs français quand il fut traduit, en pleine période contestataire et antimilitariste, en 1974 (la presse spécialisée reste très silencieuse à son sujet alors que les critiques parleront plus tard de roman très contesté à sa sortie ! Dans les manifestations ! peut-être ?).
Admiratifs, car tout rétif et allergique qu'on puisse être devant les thèses défendues, on ne peut qu'apprécier l'étendue de la culture d'Heinlein, sa grande connaissance de l'art militaire et son art consommé de la narration qui sait rendre agréable cette lecture. Il n'en, est que plus dangereux car il lui est facile de communiquer ses convictions.
Intéressés, on l'est à ce titre. Heinlein n'affaiblit pas ses idées par des idées secondaires, ce qui lui permet de les mener jusqu'au bout et de faire parfois œuvre de visionnaire. En témoigne sa critique de la société de la fin du XXe siècle : « Les citoyens normaux (...) couraient le risque d'être attaqués par des bandes d'enfants armés de couteaux, de chaînes, de pistolets fabriqués à la maison. Le meurtre, la drogue, le viol et le vandalisme faisaient partie de la vie quotidienne. Dans les écoles, dans la rue aussi bien que dans les parcs. » Voilà une description assez précise de l'Amérique, bien avant les mouvements de contestation et le flower-power ! On cesse évidemment d'approuver l'auteur quand il préconise de remédier à cet état de fait par un châtiment juste, impliquant donc la souffrance (s'il n'y a pas souffrance, le châtiment n'est pas perçu comme tel), avant que les fautes ne deviennent trop graves, par une éducation à l'ancienne ensuite, sans « ces pseudo-scientifiques qui se donnaient le titre de »psychopédiatres« ou d »'assistants sociaux« ».
Une bien curieuse vision quand on sait qu'Henlein n'est pas seulement réductible à cette idéologie et qu'il a aussi écrit des livres généreux prêchant la tolérance et l'humanisme. Cette apparente contradiction est expliquée depuis longtemps : Heinlein est avant tout américain ! D'ailleurs, chassez la volonté de puissance, elle revient au galop ! On peut parier sans risque qu'il ne faudra pas attendre longtemps pour que sorte un jeu informatique adapté du film, un shoot them up d'enfer d'où sera absent tout second degré.
Avant d'être une mauvaise action, Starship troopers, dédié « à tous les adjudants de tous les temps, qui ont œuvré pour faire de jeunes garçons des hommes », est tout simplement un bien mauvais roman. L'instruction et les combats des « cadets de l'espace » ne fonctionnent que comme plate analogie avec ce qui est supposé être ceux des marines américains, les astronefs remplaçant les bateaux, les planètes, les îles ennemies, les lance-rayon, le bon vieux M-1 Garrand. Comme Heinlein n'a jamais fait la guerre mais en a seulement entendu causer, il ne peut qu'être approximatif et poussiéreux, travers littéraire bien plus redoutable que son travers idéologique de vouloir la glorifier. La douteuse expansion militaire de l'homme dans le cosmos cherche encore son A l'ouest, rien de nouveau ou son Soldats inconnus. En attendant, elle possède au mieux ses Gordon Dickson et autres Beam Piper — au pire cet Heinlein qu'il eut mieux valu laisser au grenier, à moins de considérer cette traduction comme une curiosité et la ranger au rayon information, ce qui est évidemment un point de vue honorable.