2019, un signal musical est capté par la Terre. Pendant que l’ONU palabre sans fin, la Compagnie de Jésus a déjà trouvé les financements et mis sur pied son expédition. À son bord, des athées et des jésuites, dont Emilio Sandoz, jeune prêtre et brillant linguiste, pour un voyage d’exploration vers la planète Rakhat et ses habitants.
2059, Emilio Sandoz, mutique, les mains mutilées et marqué du sceau de l’infamie, est le seul rescapé de la mission. Sur Rakhat, il aurait tué et se serait prostitué. Qu’a-t-il donc pu se passer pour que la mission tourne si mal ?
« Non content d’être un parfait chef-d’oeuvre, Le Moineau de Dieu est aussi une belle porte d’entrée pour quiconque chercherait à faire ses premiers pas dans la science-fiction. » Simon Krug – Les Inrockuptibles
Critiques
Suite à la réception par le programme SETI d’un mystérieux chant en provenance d’Alpha de Centaure, la compagnie de Jésus double le reste du monde en y envoyant une première mission habitée. De cette mission ne revient quarante ans plus tard qu’un seul prêtre, le père Sandoz, mutilé et en état catatonique, accusé de s’être livré sur place au meurtre et à la prostitution.
Elevée dans la foi catholique, biologiste et anthropologue, Maria Doria Russell est une autrice à part dans la science-fiction : Le moineau de Dieu et sa suite non traduite, Children of God (de qualité inférieure semble-t-il) sont ses seules incursions dans le genre. Bien qu’ayant quitté le catholicisme à quinze ans, ces deux livres sont entièrement centrés sur cette foi et sur sa mise à l’épreuve lors d’un fait inouï, le contact extraterrestre. Mais que le lecteur peu enclin à la religiosité ne se détourne pas du livre : si effectivement on assiste à beaucoup de discussions théologiques, elles ne sont ni absconses ni abstraites : on y parle assez par exemple assez ouvertement de sexualité avec une langue assez vive.
Pour autant, l’autrice n’oublie pas l’action : déroulant deux récits en parallèle (la découverte du signal ET et le voyage d’une part, l’accueil du survivant mutique et les tentatives menées par les jésuites de la faire parler d’autre part), Russell rend le récit suffisamment énergique et haletant pour que l’on ne s’arrête pas sur les détails peu crédible (la composition de l’équipage par exemple). D’abord récit scientifique de découverte, puis de voyage spatial et d’exploration d’un autre planète, le roman gagne en profondeur au fur et à mesure que l’on découvre ce qu’il s’est réellement passé. Alors certes, le roman n’est pas parfait : il est parfois trop long et s’appesantit inutilement sur certaines scènes, sa traduction aurait peut-être méritée une légère révision (on passe de l’exclamation « les boules » d’un jésuite à un imparfait du subjonctif qui ne se justifiait pas en quelques pages), il évite aussi quelques sujets pourtant évident comme le rôle missionnaire passé des jésuites, mais le Moineau de Dieu est un récit réussi, mêlant aventure et théologie jusqu’à un final bouleversant.
Tout commence comme dans Contact (l'excellent roman de Carl Sagan, pas le film hypocrite) : un message d'origine extraterrestre est reçu par un radiotéléscope affilié au programme SETI — en l'occurrence, Arecibo.
Nous sommes en 2019 et le monde commence à s'interroger sur la portée d'un tel événement. Les USA imposent le black-out aux chercheurs impliqués dans la découverte du message. Les Nations Unies débattent à n'en plus finir. Mais un groupement nongouvernemental est déjà au courant, et n'a pas tardé à mettre en branle l'ensemble de ses ressources : la Société de Jésus.
En effet, Jimmy Quinn, le radio-astronome qui a découvert le message, a comme ami un prêtre jésuite, Emillo Sandoz. Passionné par l'idée qu'il existe dans l'univers d'autres créatures de Dieu, le jésuite a prévenu sa hiérarchie et... Imaginez ce que pourrait donner la puissance intellectuelle et financiére des jésuites si elle était concentrée sur la construction d'un vaisseau spatial. C'est exactement ce qui se passe au début du Moineau de Dieu.
L'auteur s'attache avec une humanité et une minutie admirable à nous faire rencontrer ses personnages, qui prennent rapidement de l'étoffe, deviennent véritablement vivants. Mais le lecteur sait que les choses ne se sont pas bien passées durant l'expédition : des chapitres en flash-forward émaillent le livre, relatant en 2060 la difficile convalescence d'Emilio Sandoz et son témoignage douloureux.
Cette double ligne de narration, impliquant une constante tension dramatique (attaché aux personnages, le lecteur demande forcément ce qu'ils vont devenir) n'est pas la moindre des réussites de roman exemplaire. La tendresse mise dans la peinture des héros, l'intelligence déployée dans la description de la préparation de la mission, la beauté et la douleur du séjour des humains sur Rakhat, la crédibilité des peuples extraterrestres. . . Tout concourt à tisser une oeuvre magistrale. Oserai-je dire ? Oui : un chef-d'oeuvre, un vrai.
Originellement publié chez Black Swan en Grande-Bretagne (un éditeur cultivant à la fois l'originalité littéraire et l'accessibilité populaire — un cocktail difficile) Le moineau de Dieu (The Sparrow) aura eu une histoire exceptionnelle : premier roman écrit par une femme dans la quarantaine, anthropologue et biologiste de formation (mais au chômage), d'éducation catholique et de conviction juive, il aura demandé à son auteur rien moins que soixante versions différentes et un travail titanesque pour être achevé. Tout cela pour se voir rejeté par trente-et-un agents littéraires et la plupart des éditeurs... Enfin publié chez Black Swan, le roman s'envole immédiatement dans les listes des meilleures ventes, et récolte coup sur coup les prix Arthur C. Clarke et James Tiptree jr. !
En France, c'est également un éditeur mainstream qui a traduit ce livre surprenant — en s'abstenant bien de marquer « science-fiction » sur la couverture. je ne sais ce qu'il faut penser d'une telle politique — les libraires et les lecteurs n'ont pas été dupes, et on a vite retrouvé Le moineau de Dieu sur les étalages de S-F. On ne regrettera qu'une chose : qu'Albin Michel n'ait pas répondu à notre demande de service de presse, ce qui a empêché toute vérification du niveau de qualité de la traduction. Vous devrez donc y aller voir vous-même : il serait regrettable de passer à côté d'une oeuvre aussi puissante, aussi bouleversante, aussi... Ah, les mots me manquent !
Que les jésuites conquièrent l'espace, ce n'est pas tout à fait original. On évoquera Clarke, les « sapientistes placides » des Maîtres cartographes, BD de Scotch Arleston, ou évidemment Un cas de conscience de James Blish. Mais on n'est pas dans un plagiat. Parce qu'il ne s'agit pas de la création, du salut, de « l'histoire sainte », mais du problème du mal. Tout simplement.
À vrai dire, on y arrive lentement. On est vers 2060, dans un monde prudemment fort peu décrit, et on sait qu'il s'est passé quelque chose d'horrible. On sait qu'on a affaire au seul survivant d'une expédition vers la première planète extra-solaire habitée. Que la chair de ses mains a été détruite, mais qu'il a connu d'autres horreurs, et en a commis. On s'énerve d'ailleurs d'un faux suspense, quand ce que tous semblent savoir n'est pas expliqué, même si en fait le seul qui en sache vraiment plus ne veut pas, ou ne peut pas parler. Et que tous essaient de le comprendre. On peut s'irriter aussi des ficelles du thriller, avec une série de retours en arrière qui forment le gros du récit, une longue exposition des personnages avant et pendant l'expédition, avec leur passé, leurs angoisses et leurs relations, et avec des traits d'humour dans le genre des gags supposés clore certains épisodes de séries américaines, et qui ne font s'esbaudir que les personnages. Mais à ce dernier point près, ces personnages sont vraiment attachants, et leur monde, celui de 2019, nous parle directement, avec ses traits fort inquiétants, entre contrats de servage et obligation de collaborer avec un spécialiste venu étudier votre travail pour vous remplacer par un programme d'ordinateur. Et puis, après un peu de hard science élémentaire à base d'astéroïde évidé et de paradoxe de Langevin, on en arrive à l'exploration de la planète. Rien de neuf en SF, sans doute, mais un ton, un enthousiasme, une authentique fraîcheur, qu'il s'agisse de la description de la nature ou de celle des habitants. Un bonheur. Et la catastrophe, dont on sait qu'elle est inévitable, semble indéfiniment retardable. Jusqu'à ce qu'elle intervienne. Que les signes s'inversent. Que le magnifique devienne le symbole de l'horreur. Que l'atavisme l'emporte, d'une certaine façon, et que le mammifère omnivore que nous sommes soit obligé de regarder en face les deux moitiés de lui-même, la proie et le prédateur. Et on achève de pardonner au thriller ses ficelles pour savourer cette science-fiction à la fois naïve et remarquablement intelligente.
Une suite est parue, en anglais. Il faut espérer qu'elle soit rapidement traduite, même si on a appris à se méfier des « séquelles ».
Publié en France pour la première fois en 1998 sans l’étiquette SF, le premier roman de Mary Doria Russell (publication originale : 1996) a fait grand bruit à l’époque et récolté plusieurs prix prestigieux (British SF Award et prix Arthur C. Clarke pour en citer deux) mérités. Un classique mineur qui, après un passage en poche chez Presses Pocket, se voit réédité par les éditions ActuSF dans un grand format agrémenté d’une postface rédigée par l’auteure pour le vingtième anniversaire du livre ainsi qu’un entretien avec Russell réservé aux lecteurs français.
2019 : Arecibo. Un radioastronome affilié au programme de recherche extraterrestre SETI capte de la musique créée par des créatures intelligentes sur une planète de la région d’Alpha du Centaure. Un endroit éloigné, certes, mais qu’une équipe bien préparée et soutenue par des moyens financiers adéquats pourrait atteindre. Entrent alors en scène les Jésuites de la Compagnie de Jésus, dont un des membres, Emilio Sandoz, est ami avec le découvreur des mystérieux chants extraterrestres. L’idée d’une expédition, lancée d’abord comme une blague, devient de plus en plus sérieuse, jusqu’à ce qu’elle prenne corps et qu’un groupe de Jésuites accompagnés d’experts civils parte, à bord d’un astéroïde modifié, en direction de la planète Rakhat.
2060 : Emilio Sandoz revient sur Terre. Seul survivant de l’expédition, il a été récupéré par un deuxième groupe d’humains parti à la suite des Jésuites et n’est plus que l’ombre de lui-même. Traumatisé, les mains déformés par une torture vicieuse, il a été retrouvé mal en point dans un bordel appartenant à la race autochtone de la planète et a apparemment tué une petite femelle extraterrestre. Que lui est-il vraiment arrivé ?
Mary Doria Russell déroule son récit sur deux temporalités et l’histoire principale est racontée, ou plutôt extirpée peu à peu, à un survivant qui a apparemment trop souffert. Nous suivons donc la longue convalescence de Sandoz chez les Jésuites et découvrons par sa bouche les circonstances qui l’ont conduit là où il se trouve : le voyage spatial, l’arrivée sur une planète presque idyllique, le premier contact avec une race autochtone de cueilleurs pacifiques… Dans un autre flash-back, l’autrice narre le passé et la rencontre entre les différents personnages de l’expédition : Emilio Sandoz, ce Jésuite qui cherche Dieu, Sofia Mendez et sa force de caractère, George et Anne, couple plus âgé, qui servent de parents au groupe, etc. Russell prend le temps de tisser des relations complexes entre ces protagonistes, de plonger le lecteur dans des scènes quotidiennes qui, loin d’être inutiles, permettent de donner à la toute fin de son roman une profondeur inédite. Si l’exposition proprement dite s’étire sur un tiers du texte, elle n’est en rien superflue. Le lecteur pressé verra son effort récompensé s’il parvient jusqu’au moment de la réception du signal extraterrestre. Une fois ses pions en place, l’auteure déroule un récit d’une grande richesse. Au-delà de la psychologie des personnages, c’est sur la gestion de la dynamique de groupe que le texte est magistral. Au-delà de leur background, tous les protagonistes de l’expédition se révèlent dans leurs rapports aux autres membres du groupe et la résolution finale touche d’autant plus le lecteur qu’il aura passé du temps à découvrir Emilio et ses camarades. Si le passionné de hard SF n’en aura sûrement pas pour son argent, les thématiques qui parsèment Le Moineau de Dieu – spiritualité, amour, amitié, altérité, etc. – en font un grand roman universel, une œuvre de SF qui ne propose aucune idée révolutionnaire, mais qui utilise le genre à plein pour offrir un texte fort et émouvant.
Mary Doria Russell a écrit une suite au Moineau de Dieu, Children of God, toujours inédite en français, ainsi que deux romans consacrés à Doc Holiday et à la tuerie de Tombstone, qui, après la découverte d’un texte aussi bon, paraissent bien alléchants.