Ils étaient prêts aux pires atrocités pour conserver l’éternelle jeunesse. Un portrait de douze personnages au visage en décomposition… La toile est l’œuvre d’un certain Waldegrave, ami d’Oscar Wilde et passionné d’occultisme, mais elle est sans valeur et plutôt médiocre. Alors pourquoi la mystérieuse Cordelia Gray veut-elle à tout prix s’en emparer ? Quel est le secret du portrait ? Qui sont ces douze personnages ? Vincent Pearson, l’actuel propriétaire du tableau, découvre un lien entre cette œuvre démoniaque et une série de meurtres particulièrement abominables qui secouent la Nouvelle-Angleterre depuis quelques mois.
La page 80 de ce récent roman de Masterton (fin du ch. 7) contient les phrases les plus terrifiantes qu'on puisse trouver dans un roman fantastique. Un jeune homme, Edward, a été séduit par une femme mystérieuse à qui il ne peut donner d'âge. Il parvient à l'emmener chez lui. Ils font l'amour. Gagné par une étrange torpeur, Edward s'endort d'un sommeil troublé, tandis que Cordelia s'en va. Mais « ...elle lui avait laissé quatre ou cinq souvenirs. Tandis qu'Edward dormait, un petit ver blanchâtre émergea des gerçures chaudes et humides autour de ses testicules et chemina lentement le long de sa cuisse poilue (...) Edward dormait toujours. La pendulette sur sa table de chevet sonna sept heures. Le dernier ver se dressa finalement sur la lèvre inférieure d'Edward et tomba silencieusement dans sa bouche. »
Etonnant, non ? Effrayant surtout. Et terriblement efficace dans la terreur et l'horreur, parce qu'en quelques phrases en apparence anodines, terminant un chapitre doucereusement romantique, Masterton nous communique, de manière réaliste, visuelle, et en même tant très sentie, le travail de la mort dans ce qu'il a de plus révulsant : sur un corps encore vivant (et accessoirement, en liaison directe avec l'amour, toujours ce bon vieux couple Eros-Thanatos). Dans sa préface, François Truchaud écrit : « Jamais Masterton n'a abordé avec une telle fascination le thème de la Mort ( ... ) et ses thèmes annexes : l'immortalité, ou la vie hideusement prolongée ». Et c'est bien vrai que Le portrait du mal traite des morts vivants, pas à la manière Zombies, mais d'une façon plus souterraine, à travers les efforts certes malfaisants mais à la limite touchants parce que dérisoire, d'une famille qui lutte pied à pied pour conserver l'immortalité que semble lui promettre une occulte magie.
Véritablement : une lutte de tous les instants, avec comme ingrédient la chair fraîche, contre la décomposition qui guette. L'adresse de l'auteur a été de nous resservir la thématique du vampire (on pense aussi à Les prédateurs de Whitley Strieber), alliée de manière très organique (si l'on peut dire !) à celle inventée par Oscar Wilde (qui est d'ailleurs cité dans le roman à l'occasion d'un flash-back) pour Le portrait de Dorian Gray — le tableau qui vieillit à la place des gens qu'il représente. C'est au demeurant à l'occasion de la plongée terminale dans une suite d'oeuvres peintes que Masterton a quelque mal à conclure, le rigoureux réalisme des neuf dixièmes du roman chutant trop abruptement dans une fantasmagorie un rien artificielle et pas très convaincante. Mais on ne va pas faire la fine bouche à cause d'une trentaine de pages : Le portrait du mal, roman de terreur froide (il se déroule dans une région isolée du Connecticut, en plein hiver), au style « acéré » (écrit encore Truchaud), au suspense constant, aux caractères vigoureux, est le meilleur livre de son auteur.
Loin de la naïveté, ou au mieux des gros sabots de ses premiers récits, débarrassé des scories de ses débuts (humour pataud, effets faciles à la Lovecraft), Masterton atteint ici à la grande qualité du fantastique moderne, quelque part entre Straub (pour sa finesse de touche) et King (pour son punch réaliste et son ancrage quotidien).