Villa Vortex est un roman noir. Philosophique. Politique. Un roman de science-fiction. Voire : de la
hard science qui entrelacerait Kabbale et génétique. Mais une fois n'est pas coutume, intéressons-nous au cas Dantec avant de nous pencher sur les soubassements du roman.
Maurice G. Dantec effraie en effet le monde de la SF française au point que lors de sa sortie en grand format l'an dernier,
Villa Vortex avait été ignoré par une critique spécialisée — y compris
Galaxies... — épouvantée par les interventions médiatiques de l'exilé québécois. Il convient néanmoins d'accepter que son œuvre de fiction se sustente avantageusement de ses peurs, de sa paranoïa et de son exécration du bien-pensant. Surtout, concomitamment à l'incohérence de ses pamphlets — subsannités et invectives logorrhéiques dont la véhémence relève plus du syndrome de Tourette que du génie bloyen — se dessine un cheminement
littéraire hors du commun. Ainsi que le suggère le « stalker » Juan Asensio, auquel nous devons les bribes d'interprétation qui vont suivre, le sujet de
Villa Vortex n'est rien moins que le langage lui-même en tant que rayonnement divin, le roman assumant alors le rôle d'une violente mise en abyme, tentative désespérée — mais de ce désespoir propre à soulever des montagnes — de sauver le Verbe corrompu par la société technicienne moderne.
L'ennui, et finissons-en une fois pour toutes avec les polémiques qui parasitent tout discours critique sur son oeuvre, est que Dantec, comme nombre de contempteurs de la modernité, juge le monde contemporain selon des présupposés antiques, archaïques, dont la légitimité est d'abord fantasmatique. Autrement dit, cette volonté de sauver le langage (sauver le monde) — de l'arracher des mains profanes des incultes et des vaniteux — est plus un moteur de fiction ou d'accomplissement individuel qu'un authentique — et utopique — idéal philosophique. Faut-il rappeler que dès lors qu'ils investissent les contingences terrestres, les idéaux ainsi subvertis,
idéologisés, drossent la société vers les extrêmes ? Et quel incroyable revirement réactionnaire, du post-humanisme enfiévré de
Babylon Babies à l'apostasie dont Dantec, gagné à la posture prophétique et techno-phobe du Bernanos de
La France contre les robots — il serait certes mieux inspiré de relire
L'Antéchrist de
Nietzsche, antidote redoutable à ces pieuses vaticinations — , frappe désormais les biotechnologies !
Mais si vous le permettez, quittons ces brûlants chemins de traverse pour revenir au roman. Le flic Kernal explore les contrées du Mal, sur la piste d'un tueur en série qui remplace certains organes de ses victimes par des composants électroniques, comme pour animer leurs cadavres d'un grotesque simulacre de vie — par cette dérisoire tentative d'accorder la Parole aux morts, il métaphorise la désagrégation du langage évoquée plus haut ; non sans ironie, son absence physique insistante stigmatise l'indigence des écrivains coupables de prostitution du Verbe. Sous l'influence de deux figures tutélaires (Wolfmann et sa bibliothèque de combat, Nitzos et son manuscrit d'outremonde), Kernal est touché par la grâce d'une révélation : notre monde serait
écrit, de même que l'écrivain, à son tour,
créerait littéralement de nouveaux mondes — ce qui, chez Dantec, lecteur éclairé de
Dick comme de
Borges, prend la forme d'un univers transcendantal tapi dans l'ombre de notre encodage génétique. Mais de Dick ou de
Raymond Abellio (génial auteur des
Yeux d'Ezechiel sont ouverts, dont l'influence sur la genèse de
Villa Vortex fut décisive), Dantec aurait également dû retenir une certaine épure stylistique, une
transparence qui seule lui aurait permis d'amorcer sa quête de pureté (purification ?..) du langage. La faible dernière partie du roman, où Dantec, coupable du péché d'orgueil, oublie de montrer pour se contenter de tout dire, et où Kernal visite un inframonde futuriste pourri par la gangrène bien-pensante, aurait moins perdu à être injectée dans l'univers plus dense et enténébré qui la précède, à être non pas diluée, mais à son tour encodée. Ce résultat imparfait, monstrueux, aussi frustre au regard de son ambition que le pitoyable artifice mis en scène par le
serial killer, n'empêche nullement le visionnaire
Villa Vortex de s'imposer comme un livre d'exception dont les aberrations mêmes témoignent d'une saine — d'aucuns diraient : prétentieuse — envie d'en découdre avec la médiocrité.