Est-ce qu'il se fout du monde ? Bien sûr ! Mais son humour secret nous prend au dépourvu. Raphael Aloysius Lafferty a passé l'âge de faire le clown : il est né en 1914 ; il a attendu longtemps avant de publier ; il s'est décidé en 1960, et du coup il s'est retrouvé doyen de la Nouvelle Vague ; en même temps, il en est paradoxalement devenu le rigolo. Mais on ne s'en aperçoit pas toujours, parce qu'il adore mystifier son monde. D'un côté, il pousse l'art de la conversation de bistro à des hauteurs inégalées ; d'autre part, il fait la nique à Borges, à Boris Vian, à Beckett. Il a publié des grands romans comme Tous à Estrevin (où une machine raconte ses mémoires) ou le Maître du passé, mais c'est dans l'art de la nouvelle qu'il est inégalé — ce qui est logique pour un humoriste. Quand on a lu trop de S.F., il garde toute sa saveur. C'est le nectar des toxicomanes.
1 - Patrice DUVIC, Une patte de fer dans une mitaine de velours, pages 7 à 23, préface 2 - Les Six doigts du temps (The Six Fingers of Time, 1960), pages 25 à 57, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 3 - Aloys (Aloys, 1961), pages 58 à 67, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 4 - La Terreur de sept jours (Seven-Day Terror, 1962), pages 68 à 76, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 5 - Comment elle s'appelle, déjà, cette ville ? (What's the Name of That Town?, 1964), pages 77 à 91, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 6 - La Planète des Pani (The Pani Planet, 1965), pages 92 à 110, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 7 - Un mardi soir bien calme (Slow Tuesday Night, 1965), pages 111 à 119, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 8 - Le Temps des invités (Guesting Time, 1965), pages 120 à 129, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 9 - Voyage dans une boîte de conserve (Ride a Tin Can, 1970), pages 130 à 145, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 10 - Histoire d'un crocodile secret (About a secret crocodile, 1970), pages 146 à 16, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 11 - Prisonniers d'une pelure ancienne (Encased in Ancient Rind, 1971), pages 161 à 178, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 12 - Tout sauf les mots (All But the Words, 1971), pages 179 à 191, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 13 - Le Jour où toutes les terres rejailliront (When All the Lands Pour Out Again, 1971), pages 192 à 207, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 14 - Il était une fois sur Aranéa (Once on Aranea, 1972), pages 208 à 221, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 15 - Rangle Dang Kaloof (Rang Dang Kaloof, 1972), pages 222 à 231, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 16 - La Mère d'Euréma (Eurema's Dam, 1972), pages 232 à 246, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 17 - Dorg (Dorg, 1972), pages 247 à 259, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 18 - La Saison de la fièvre cérébrale (Brain Fever Season, 1977), pages 260 à 280, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 19 - Les Fantômes de Sélénium des années soixante-dix (Selenium Ghosts of the Eighteen Seventies, 1978), pages 281 à 316, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 20 - Et tous les cieux sont remplis de poissons (And All the Skies Are Full of Fish, 1980), pages 317 à 333, nouvelle, trad. Élisabeth VONARBURG 21 - ANONYME, Bibliographie de R.A. Lafferty, pages 335 à 344, bibliographie
Critiques
Quel auteur de science-fiction contemporain peut pousser l'anthologiste occupé à préfacer son Livre d'Or à discourir tout à coup de St-Augustin, du Baroque ou de l'humour anglais ? Avant même la parution de l'opuscule qui nous intéresse, une seule réponse eût déjà été possible : Raphaël Aloysius Lafferty ! Un cas. Né en 1914 dans l'Iowa, se met à écrire en 1959 (donc à quarante-cinq ans), et devient quelque chose comme l'anti-pape de la SF expérimentale des années 65-75.
Lafferty convoque sur lui-même et toute son oeuvre le qualificatif traditionnellement galvaudé à chaque rentrée littéraire : unique. Incomparable au sens premier : qui ne peut à nul autre être comparé. Etrange, déroutant, parfois inaccessible. Lafferty donne à lire des textes qui laissent ses lecteurs en déroute, pantelants, au bord d'un chemin qui croise la raison sans jamais s'y amarrer. Entrer dans l'univers de Lafferty signifie laisser au vestiaire de la lecture tout ce que l'on croit connaître. Les lois scientifiques n'existent plus ou se modifient : Duvic nous montre la logique du postulat chez quelqu'un qui épouse la vision augustinienne. Si Dieu seul existe et décide de tout, « la réalité que nous proposent les sciences et à tout instant sujette à modification ». Tiens, tiens... La réalité comme apparence, le réel mouvant, n'est-ce pas un peu dickien ? Dick qui, à la fin de sa vie, était devenu gnostique... Il est tout aussi normal dès lors que Lafferty s'affirme joyeusement (et iconoclastement, bien sûr) créationniste. (Une parenthèse : Lafferty, catholique augustinien et créationniste, est d'évidence conservateur. Ce qui a peu d'intérêt en soi : seules comptent les œuvres. Mais il ne faudrait pas oublier cependant que les tenants de cette pensée aux USA vont jusqu'à exiger la disparition du darwinisme des programmes scolaires. Beau paradoxe entre un esprit baroque et porté sur l'humour, et ce type manifeste d'intolérance). Lafferty est donc quelqu'un qui sait (dit-il) quand il est d'un côté et non de l'autre. Autre paradoxe : montrer la variabilité du réel et posséder des certitudes.
Mais tout Lafferty (et pourquoi pas, également, ce qu'il dit de lui-même ?) participe d'un délire organisé. Comme l'humour. Comme le baroque. Comme la SF. La fausse naïveté des protagonistes et des narrateurs, l'absurde des situations paroxystiques montrent bien que l'auteur rit sous cape et n'est jamais dupe de lui-même.
Les dix-neuf textes rassemblés par Patrice Duvic invitent à découvrir un panorama particulièrement révélateur de l'art de Lafferty. Comme toujours, la sélection comporte ses lois, et on pourrait regretter telle ou telle absence (ainsi de Chameauxet dromadaires, Clem ou de Comment refaire Charlemagne).Critique vaine : le Livre d'Orinvite à relire tout Lafferty.
« Lafferty, seul auteur de SF réellement borgésien, sans pour autant devoir quoi que ce soit à Borges », dit Duvic. Comment elle s'appelle, déjà, cette ville ? peut se lire comme une réponse à Tlôn Uqbar Orbis Tertius.Elle peut aussi se lire comme un bon résumé de la littérature selon Lafferty.
Si tous les réactionnaires pouvaient créer de tels univers, l'avenir serait sombre pour la littérature « progressiste » !