Ce roman appartient bien à la collection "Rendez-vous ailleurs", même si la maquette est différente (elle reprend en fait celle du précédent tome de la série, "Mars", publié hors "Rendez-vous ailleurs").
MARS racontait l’histoire du premier vol habité vers la planète rouge...
Aujourd’hui une équipe internationale soigneusement sélectionnée d’astronautes, d’ingénieurs et de chercheurs tente à nouveau l’aventure. A leur tête, Jamie Waterman, l’homme qui avait défié les idées reçues de la communauté scientifique tout comme les ordres de ses supérieurs directs, pour prouver qu’il y avait bien une forme de vue rudimentaire sur Mars. Mais cette fois, la mission est financée par le privé. S’agit-il toujours d’une expédition scientifique ? Ou d’une gigantesque opération commerciale ?
Alors à qui Jamie peut-il se fier ? Il y a ceux qui jalousent son succès, ceux qui voient en lui un dangereux idéaliste, ceux qui peut-être le flattent pour le manipuler. Sans oublier cette succession de petits accidents qui laissent supposer qu’il y aussi parmi les membres de l’équipage quelqu’un qui est en train de craquer et dont la folie risque de les entraîner tous à la catastrophe...
Critiques
On ne change pas une recette qui gagne : c'est ce qu'a parfaitement compris Ben Bova en donnant une suite à son roman Mars. Il y reprend ce qui en avait fait le succès en 2001 : son héros Jamie, et un mode narratif qui fait alterner différents plans de récit. On navigue, comme dans le premier opus, entre la vie des explorateurs martiens, les événements de la Terre, et la « voix off » d'un narrateur omniscient.
Pourtant on est loin de la sequel basique, dans le genre du « Service de Surveillance des Planètes Primitives », volume 42... Bova modifie légèrement son angle d'approche et sa conception de l'intrigue : aux questions politiques et psychologiques du premier volume, il substitue dans ce nouvel ouvrage une thématique plus commerciale et un suspense plus « policier ». En effet, alors que la « voix off » de Mars nous donnait des extraits des dossiers des membres de l'expédition et reprenait certaines anecdotes de leur passé, nous découvrons maintenant des fragments du journal intime d'un des explorateurs qui, sombrant dans la névrose anti-martienne, menace la sécurité de toute la Seconde Expédition. Retour sur Mars est mené comme un véritable thriller, dans lequel la sécurité des explorateurs est mise en péril autant que l'avenir de la planète Mars comme lieu de recherches scientifiques.
La Seconde Expédition martienne a en effet été mise sur pied grâce à des investissements privés, en particulier ceux du milliardaire Donald Trumball, dont le fils a obtenu une place dans le groupe d'exploration.Six ans se sont écoulés depuis la précédente aventure, et seul Jamie y reprend part, tous les autres membres ayant fait une carrière administrative. S'il veut tellement être sur les rangs de ce second départ, c'est qu'il tient toujours à l'idée qu'ont existé des Martiens intelligents, et qu'il veut éclaircir le mystère qui plane encore sur les constructions qu'il a cru voir au fond du canyon avant de quitter Mars, au moment de la découverte des lichens. On lui reproche d'occuper une place chère et enviée qui devrait revenir à une personne plus jeune et scientifiquement plus compétente : seule l'expérience qu'il a déjà de la planète rouge lui permettra de justifier sa présence dans le petit groupe des « élus ». Il devra donc à la fois s'imposer en tant que « Chef » de l'équipe, mais aussi faire valoir son point de vue face aux requins du commerce qui, représentés par Dex, le fils de Trumball, veulent transformer Mars en une station touristique rentable.
Si les personnages sont tous nouveaux, ils s'inspirent largement de ceux qui constituaient la Première Expédition : même tensions interraciales et intersexuelles, même lot de préjugés, même conflits entre les différentes branches de la recherche... Bref, il arrive un moment où l'on se dit qu'il faut le talent de Ben Bova pour que le lecteur échappe à l'ennui mortel d'une vulgaire resucée de Mars. Le suspense grandissant qui règne sur l'avenir de l'expédition à mesure que se précise la menace du « fou » contribue heureusement à nous maintenir en haleine, et l'auteur parvient à inventer des péripéties toujours nouvelles, qui ne lassent jamais, en y mettant ce qu'il faut d'humour pour conquérir entièrement son lecteur.
Par ailleurs, il n'y a pas de temps mort dans le récit : il faut rendre cet hommage à Bova qu'il conserve tout au long de son roman une écriture fluide, sans longueurs ni digressions, à la fois riche et concise. C'était une qualité qui frappait déjà dans Mars, et faisait qu'on le lisait d'une seule traite : il a su la reproduire ici.
L'auteur a conservé également ce que l'on pourrait appeler un « penchant philosophique bradburyen ». On se souvient que l'épilogue de Mars donnait déjà dans le style d'écriture des Chroniques martiennes, et en reprenait des thématiques. Bova persiste et signe dans ce nouveau roman : il y a bien eu des Martiens intelligents ; ils ont laissé des traces de leur culture, qu'on risque d'ignorer si l'on se plie aux lois du capitalisme, des médias et de la société de consommation. L'imaginaire bradburyen se manifeste entre autres dans le tableau final de la « lune de miel martienne » entre Jamie et Vijay, qui confine au pastiche des Chroniques. On verse même dans une certaine naïveté touchante lorsque l'on voit la nation Navajo revendiquer Mars en faisant jouer le Traité d'Utilisation de l'Espace pour la protéger des menaces de l'exploitation touristique... et surtout quant on voit l'Autorité Astronautique Internationale ratifier cette demande. Disons que l'auteur fait le choix délibéré de quitter la hard-SF pour un certain idéalisme teinté d'ironie que n'aurait pas renié l'auteur de Fahrenheit 451. On ne peut cependant le lui reprocher, car il s'inscrit dans la perspective militante inaugurée par Mars : défendre l'idéal de la connaissance scientifique pure contre ceux qui veulent la soumettre aux pressions commerciales et politiques, tout en restant lucide quant à ses chances de victoire.
Au final donc, un livre qui se lit de bout en bout avec autant de plaisir que Mars, même s'il en semble parfois un peu trop proche dans l'intrigue. Autant la fin du premier volume donnait envie d'un prolongement, autant la fin de celui-ci, pourtant relevée par la révélation de l'identité du maniaque, ne suscite guère d'enthousiasme pour une éventuelle « Troisième Expédition ». On aurait aimé se donner l'espoir que l'aventure durerait plus longtemps. C'est tout le paradoxe : Bova conserve des proportions romanesques raisonnables, qualité bien rare actuellement, mène son intrigue avec brio... et on réclamerait presque du délayage ! Il reste espérer que son inspiration lui fournira un vaste choix de sujets au service desquels il pourra mettre ses talents d'écriture, pour notre plus grand plaisir.
Si la conquête de l'espace semble aujourd'hui hors de portée, ce n'est pas une question de moyens techniques mais de prix. Jamie Waterman, l'Indien qui a participé à la première expédition sur Mars, au cours de laquelle il lui semble avoir aperçu des vestiges de civilisation rudimentaire, ne peut retourner sur la planète rouge poursuivre ses recherches que grâce au financement du puissant Trumball qui prévoit de rentabiliser l'opération, sur les conseils de son fils Dex participant à l'expédition, en rendant Mars accessible aux touristes. Jamie s'y oppose mais d'autres voient en lui un dangereux idéaliste qu'il convient d'écarter. Dex, quant à lui, tient à prouver qu'il peut exister sans son père.
Outre ces querelles et les dangers naturels que les cinq hommes et les trois femmes affrontent sur Mars, se profile un péril bien plus insidieux, celui de la dépression nerveuse. Un des membres de l'équipage a craqué et multiplie les sabotages menaçant la poursuite de la mission et la survie du groupe. Un journal intime dont on délivre de maigres extraits entre deux chapitres permet au lecteur d'exercer sa sagacité pour démasquer l'auteur des accidents.
Ben Bova, qui a travaillé pour la NASA, décrit très fidèlement Mars et parvient à faire sentir la fragilité de l'homme dans l'espace et le côté bricolage des équipements technologiques : par souci d'économie, les astronautes descendent sur la planète en combinaison spatiale, accrochés à un engin de navigation réduit à sa plus simple expression.
Les divers aspects du récit sont bien traités et racontés avec suffisamment de métier pour soutenir l'attention et entretenir le suspense, quand bien même le scénario manque de consistance : afin de demeurer dans une optique réaliste, l'auteur n'a pas tenu à privilégier une intrigue plutôt qu'une autre, qui aurait fait office de charpente. Tout suscite l'intérêt mais rien n'émerge : cette absence de squelette est le seul point faible de ce roman.