Chimiste de génie à l'ego surdimensionné, Bostonien au look grunge assumé, Sangamon Taylor est le cauchemar des industriels pollueurs du Massachusetts. Ce n'est pas sur une autruche, armé d'une mitrailleuse M 60, qu'il lutte contre la pollution, mais à bord de son Zodiac et dans son bureau où il utilise à bon escient un chromatographe à 5 000 dollars ainsi qu'un ordinateur dont les émanations sont un million de fois moins nocives que celles d'un appartement dont on vient de refaire la peinture. Depuis quelques mois Sangamon est sur un gros coup, le « projet Homard », une affaire de crustacés empoisonnés. En bref, une enquête pour le moins nauséabonde qui va lui valoir d'être victime, entre autres, de la mafia locale, de coliques frénétiques et d'adeptes de heavy metal satanistes défoncés au PCP...
Neal Stephenson est l'auteur du monumental Cryptonomicon, de L'Age de diamant et du Samouraï virtuel. Avec Zodiac, il signe un thriller écologique hilarant qui ravira autant ses fans que ceux de Carl Hiaasen.
Critiques
Sangamon Taylor est né sous le signe du Zodiac. Non pas le signe astrologique, mais l'embarcation rapide et manœuvrable utilisée par les militants écologistes pour leurs actions anti-pollueurs. Car Sangamon, brillant chimiste travaillant pour le GIE — Groupe d'Intervention Environnementaliste — est la bête noire des industries chimiques du Nord-Est des États-Unis. Aussi à l'aise devant un chromatographe ou un ordinateur qu'aux commandes d'un Zodiac ou vêtu d'une tenue de plongée, il n'a pas son pareil pour effectuer des prélèvements dans le port de Boston, remonter les pollutions jusqu'à leur source, colmater les déversoirs illégaux et provoquer une grand-messe médiatique pour pointer du doigt les coupables.
Une vie bien mouvementée, donc, qui le devient encore davantage lorsqu'il se penche sur la contamination des homards de la région : Sangamon tombe sur une catastrophe écologique majeure, due à une bactérie génétiquement modifiée. Et les responsables sont prêts à tout, y compris au pire, pour l'empêcher de révéler le scandale.
Dès les premières pages, Zodiac s'avère un roman fouillé et documenté, tant en ce qui concerne la pollution chimique que les méthodes d'investigation et d'action du GIE. Stephenson n'hésite pas à s'attarder longuement sur celles-ci, enrôlant quasiment le lecteur dans les équipées nocturnes de ses commandos écolos. Campant ses personnages dans Boston et ses environs, il sait également nous rendre familier le lieu principal de l'action et sa faune humaine.
À la fois passionnant polar d'investigation scientifique et thriller trépidant mené à cent à l'heure (la course poursuite nocturne entre Zodiac et vedette constitue une scène magistrale), le récit tient également par son personnage principal, par ailleurs un bien excentrique narrateur. Chimiste professionnel minutieux et maniaque, Sangamon s'avère être aussi bien un subversif paranoïaque (quand il pédale la nuit, il ne porte pas de brassard réfléchissant pour mieux échapper aux chauffards), un environnementaliste intraitable (les moindres gestes de la vie quotidienne sont pensés et calculés en fonction des risques écologiques qu'ils impliquent), qu'un sacré vicelard (il joue à ses adversaires des tours pendables fort jouissifs). Au lieu de mettre en scène un James Bond de l'action écologiste, Stephenson a fait de son personnage un être humain, certes haut en couleur (c'est le moins qu'on puisse dire !), mais un être humain quand même : loin d'être un saint, et parfois insupportable.
Connu en France pour L'Âge de diamant, Le Samouraï virtuelet Cryptonomicon, Neal Stephenson nous livre ici un « thriller écologique » de haute volée, qui sait nous parler de notre monde en plus de nous amuser, et qui ne dépare ni l'éclectisme assumé ni la qualité de la collection Lunes d'Encre.
Sangamon Taylor est un mauvais coucheur, cynique, empêcheur de tourner en rond, écologiste convaincu aux méthodes parfois douteuses. Taylor reste cependant un non-violent qui récuse les actions de Boone, considéré comme un terroriste écologique pour avoir coulé des baleinières. Son enquête dans le port de Boston, autour de crustacés empoisonnés, fait apparaître une pollution aux PCB d'autant plus curieuse qu'elle disparaît mystérieusement ou se raréfie à sa source. Poursuivi par la mafia locale ainsi que par les membres d'une secte satanique accro au heavy metal et polluée au PCP, manipulée par le groupe industriel responsable de ces empoisonnements, lequel dispose en outre d'appuis politiques solides, Taylor a tout du musclé redresseur de torts en phase avec son époque. Ce James Bond qui se déplace en VTT et en Zodiac, s'il demeure lucide sur la portée de ses actions, « parce que c'est dégueulasse partout. Parce que les idéaux ont fichu le camp et que tout le monde s'en fiche quand vous dénoncez un empoisonneur de la planète », a encore beaucoup à apprendre sur la duplicité des riches et des puissants...
Certes, les impressionnantes connaissances écologiques développées dans Zodiac (le lecteur n'ignorera plus rien de la chimie du chlore et du sodium) engendrent effroi et pessimisme quand sont évoquées les conséquences de certaines pollutions bien actuelles, ou celles, à venir, résultantes de manipulations génétiques inconséquentes. Mais cela n'empêche en rien le Zodiac d'être un excellent bouquin d'action doublé d'une solide intrigue, qui plus est traversé par un humour noir ravageur.
Ce premier roman de Neal Stephenson n'a pas encore la richesse et la texture de L'Age de diamantou du Samouraï virtuel (tous deux au Livre de Poche), mais tout ce qui fait les qualités de l'auteur est déjà à l'œuvre, au point qu'on se demande pourquoi il a fallu attendre près de quinze ans pour le traduire. Il était grand temps.
Ceci n'est pas de la SF, mais un « thriller écologique ». Du réalisme à l'état brut. Et un roman déjà ancien, datant de 1988 en VO, et exhumé sur la lancée des précédents, dont Cryptonomicon, mais aussi de ses propres capacités hilarantes. Avec un narrateur à l'ego des plus transcendants, au point d'ailleurs d'éteindre tout personnage secondaire (même le restaurateur vietnamien) sous une logorrhée digne d'un critique de SF. Ce mégalo, zonard grunge et scientifique de haut vol, travaille pour une ONG écolo. Pas par conviction verte, ce qu'il dit des « menthes à l'eau » n'est pas toujours amical. Pas non plus pour amour de l'humanité. Mais pour le plaisir de pourrir l'existence de certains de ses contemporains, principalement les responsables des grandes entreprises polluantes. Dont on peut toujours boucher les égouts clandestins et démontrer les turpitudes sous forme de show télégénique. Jusqu'à la faillite au besoin.
La couverture, avec moa et mitrailleuse, est métaphorique : ça se passe plutôt sur un zodiac, dans le port de Boston, ou dans un labo d'analyses. Avec des bricolages macgyveresques. Entre un monologue sur la façon de sauver sa peau en circulant entre les voitures, le récit très complaisant d'arnaques mineures, une inhalation de protoxyde d'azote, et une vie privée pas toujours réussie. Le tout semble dériver vers un agréable roman picaresque quand, juste avant qu'on se sente tourner en rond, la sauce prend, sans même qu'on comprenne comment. Et tout s'emboîte et s'enchaîne : une île faite des détritus de la ville, un groupe de heavy metal sataniste, une pollution carabinée détectée chez des homards subclaquants, l'inexplicable disparition d'icelle pollution, peut-être la mafia, des poursuites en bateau, l'usage de diverses armes, une explosion, une accusation de terrorisme, une cavale, la rencontre avec le responsable d'un Greenpeace suractivé, une tentative d'assassinat contre un candidat aux présidentielles, un vieux copain de fac manifestement passé du côté obscur de la force, des Indiens assez peu réservés, etc. Le tout parfaitement logique. Si. Et avec un élément qui n'est pas de la SF, ou alors presque pas, à savoir une manipulation génétique capable de déclencher la fin du monde — on n'expliquera pas ici comment, et on dira simplement que cela ne nécessite qu'une diarrhée, des égouts et du sel de mer, toutes choses existant en assez grande quantité.
Du réalisme à l'état brut, vous a-t-on dit. À se demander pourquoi on en parle ici. Mais c'est chez Lunes d'encre. Et c'est Stephenson. Et surtout, pour une fois que ce que l'on supposera être de la littérature générale décrit le monde tel qu'il est aujourd'hui (avec quelque avance, le roman datant d'il y a quelque quatorze ans) tout en parlant de liaisons covalentes et ioniques, de PCB et de dibenzodioxines polychlorées plus ou moins apparentées aux polychlorobiphényles, tout le monde va croire que c'est de la SF. Après tout, pourquoi pas. D'autant que, comme on l'aura compris, on s'amuse beaucoup.