J'AI LU
(Paris, France), coll. Science-Fiction (2001 - 2007) n° 6262 Dépôt légal : avril 2002, Achevé d'imprimer : 5 avril 2002 Première édition Recueil de nouvelles, 256 pages, catégorie / prix : I ISBN : 2-290-31818-3 Format : 11,0 x 17,8 cm✅ Genre : Science-Fiction
Illustration de couverture : Getty Images.
Quatrième de couverture
Savons-nous vraiment tout de la vie des grands écrivains ? Neuf nouvelles décalées et délirantes offrent ici de surprenantes révélations sur ce qu'aurait pu être le passé de quelques-unes des sommités de la littérature du XXe siècle. Où l'on découvre que Franz Kafka hanta Manhattan sous les traits d'un vengeur masqué, ou que d'éminents écrivains de science-fiction tels que Robert Heinlein, Theodore Sturgeon ou Alfred Bester ont réellement eu l'opportunité de sauver le monde...
Ludique et multiréférentiel, voici un petit bijou d'inventivité qui saura à coup sûr enthousiasmer les fans de biographies imaginaires, d'histoire reconstruite et de récits exubérants.
Paul Di Filippo
Né en 1954. Ses nouvelles, au style insolent et ironique et aux charmants accents surannés, ont été publiées dans de nombreuses anthologies. Il est considéré comme l'un des meilleurs représentants contemporains du steampunk, mouvement dissident et déjanté à la confluence de la SF et du post-modernisme, qu'il a notamment illustré dons La trilogie steampunk.
1 - Introduction (Introduction: "What Killed Science Fiction?", 1998), pages 5 à 12, introduction, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY 2 - La Dernière affaire du choucas (The Jackdaw's Last Case, 1997), pages 13 à 46, nouvelle, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY 3 - Anne (Anne, 1992), pages 47 à 66, nouvelle, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY 4 - Terre sans hommes (The Happy Valley at the End of the World, 1997), pages 67 à 117, nouvelle, trad. Gilles GOULLET 5 - Mairzy Doats (Mairzy Doats, 1991), pages 119 à 146, nouvelle, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY 6 - Le Monde de Campbell (Campbell's World, 1993), pages 147 à 164, nouvelle, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY 7 - Paul DI FILIPPO & Rudy RUCKER, Instabilité (Instability, 1988), pages 165 à 184, nouvelle, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY 8 - Les Troisièmes Guerres mondiales (World Wars III, 1992), pages 185 à 202, nouvelle, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY 9 - Linda et Phil (Linda and Phil, 1995), pages 203 à 226, nouvelle, trad. Gilles GOULLET 10 - Alice, Alfie, Ted et les extraterrestres (Alice, Alfie, Ted, and the Aliens, 1997), pages 227 à 252, nouvelle, trad. Hugues LEBAILLY & Monique LEBAILLY
Critiques
Après s'être attaqué au XIXe siècle dans La Trilogie steampunk, Paul Di Filippo nous offre dans ce recueil de neuf nouvelles une vision passablement déjantée de l'histoire culturelle du siècle suivant, en déplaçant quelques-uns de ses auteurs fétiches dans des univers plus ou moins voisins du nôtre et en les re-mixant à sa guise avec d'autres personnages, fictifs ou réels.
La SF occupe une place importante mais non exclusive dans ces récits, comme l'indique l'introduction, qui reproduit un texte intitulé Qu'est-ce qui a tué la science-fiction ? et propose une réponse à tous ceux qui se lamentent de la montée de la sci-fi et de ses dérivés médiatiques aux dépens des valeurs littéraires. Mais c'est Franz Kafka qui ouvre le bal proprement dit avec La Dernière Affaire du Choucas, qui transfigure l'auteur tchèque en super-héros masqué à Manhattan dans les années vingt. Puis, suivant un ordre chronologique, c'est le tour d'Anne Frank, qui s'échappe d'Amsterdam avant l'arrivée des nazis pour retomber à Hollywood, où elle va réaliser son rêve secret le plus cher en devenant enfant-star de cinéma (Anne). À la même époque, dans Terre sans hommes1, on rencontre un Antoine de Saint-Exupéry qui, après la disparition quasi-totale des hommes blancs dans une épidémie, s'acharne à faire renaître la civilisation occidentale de ses cendres, à partir de la colonie britannique au Kenya.
L'âge d'or de la SF américaine est au cœur des deux nouvelles suivantes. Un auteur qui ressemble fort à Henry Kuttner se retrouve en chemin pour la Lune, dans une mission commanditée par le Président des États-Unis en personne, un certain... Robert A. Heinlein (Mairzy Doats). Et dans Le Monde de Campbell, un écrivain novice se rend dans les bureaux de la revue Astounding pour rencontrer le nouveau rédacteur en chef, Campbell. Mais de quel Campbell s'agit-il ?
La nouvelle Instabilité (écrite avec Rudy Rucker) décrit les effets en chaîne de la rencontre, au milieu du désert du Nouveau-Mexique dans les années cinquante, entre la Beat Generation (Kerouac et Cassady) et la physique nucléaire (von Neumann et Feynman). Quelques années plus tard, Thomas Pynchon croisera le chemin des Beatles et prendra une leçon d'histoire (Les Troisièmes Guerres mondiales).
Dans Linda et Phil, nous découvrons une illustration saisissante du célèbre dicton de Philip K. Dick : « Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir quelques autres ». Et pour conclure, Theodore Sturgeon, Alfred Bester et Alice Sheldon font équipe dans une « rencontre du troisième type » assez révélatrice (Alice, Alfie, Ted et les extraterrestres).
Avec ses dons extraordinaires pour la parodie et le foisonnement des références littéraires et historiques, Di Filippo nous mène encore une fois dans un jeu de pistes tout à fait divertissant. À l'intention des lecteurs francophones, qui risqueraient de se perdre parfois dans ce dédale d'allusions, somme toute résolument américaines, les traducteurs ont fourni une abondance de notes explicatives en bas des pages. Mais au-delà du plaisir des bonnes blagues pour les initiés, il y a dans ces nouvelles matière à réfléchir. Car les décalages opérés par l'auteur ouvrent la voie à une mise en perspective ironique et critique de l'histoire littéraire récente, et surtout de la place peu commode qu'y occupe la science-fiction. À travers ces Pages perdues, on entrevoit une autre histoire possible, où culture SF et culture générale se seraient mariées sans complexes et sans condescendance. Mais ce n'est déjà pas si mal d'avoir, dans notre univers, des écrivains comme Di Filippo, capables de naviguer entre les deux avec autant de bonheur.
La science-fiction est morte le 8 septembre 1966 à 20h30... dans un univers parallèle où la diffusion de Star Trek l'a rendue si ridicule que tout le monde s'en est détourné.
La présente anthologie donne à lire quelques textes mémorables, classés par décennies. Il s'agit en réalité de nouvelles mettant en scène des écrivains célèbres ayant connu un destin différent. Les lecteurs de Bifrost et de Galaxies auront déjà pu respectivement découvrir le naufrage d'un Philip Dick marié à une Linda devenue énorme et qui végète dans un magasin d'accessoires (« Linda et Phil »), et les aventures d'un Saint-Exupéry hanté par des rêves grandioses pour bâtir un monde meilleur, alors que Jim Ballard n'est encore qu'un petit garçon fasciné par les avions (« Terre sans hommes »). Dans « Le Monde de Campbell », un écrivain témoigne de sa relation avec cet important personnage qui changea le monde grâce aux versions d'Astounding adaptées à la mentalité de chaque pays, entraînant par exemple le déclin du parti nazi.
Toutes les nouvelles ne concernent pas que les écrivains de S-F : le journal d'Anne Franck permet d'apprendre que ses rêves d'actrice ont été exaucés (« Anne ») et Kafka est un héros costumé, le Choucas, luttant contre le Scarabée noir, qui n'est autre que Max Brod, son biographe et premier éditeur ! Au fil des récits, on constate que l'auteur a la dent particulièrement dure contre les physiciens du nucléaire et les saccageurs de planètes en général : Teller, von Neumann, Feynman, « ces trous du cul de personnages clés » de la bombe atomique, sont détruits par Kerouac lors du premier essai (« Instabilité »), tandis que les concepteurs de tout ce que la technologie moderne a produit de néfaste, de Einstein à Fermi en passant par les Joliot-Curie sont assassinés par un voyageur temporel (« Les Troisièmes guerres mondiales »).
Di Filippo ne s'est pas contenté de modifier le destin d'un auteur : celui-ci a évolué concurremment à la société, de sorte que chaque récit présente un univers hyper référencé, légèrement décalé, qui ne peut se savourer qu'à condition de bien connaître la période et le contexte. Les nombreuses notes comblent, heureusement, une partie des lacunes et rafraîchissent les mémoires défaillantes. Les connaisseurs des auteurs précités apprécieront en outre la concordance du récit avec les thèmes ou la problématique des modèles : Heinlein en président des États-Unis visionnaire mais peu embarrassé de scrupules est assez réussi (« Mairzy Doats »), Sturgeon, en gourou humaniste repoussant pacifiquement avec Tiptree et Bester une invasion extraterrestre, également (« Alice, Alfie, Ted et les extraterrestres »). Il n'est pas si évident de réussir un tel équilibre et on peut estimer que Di Filippo se sort de ce périlleux exercice avec brio.