Hari Seldon, le fameux créateur de la psychohistoire, n'est plus qu'un vieillard fragile, qui passe en jugement pour avoir osé prédire la chute de l'Empire. Le moment est venu de la migration si longtemps espérée vers Star's End -« là où finissent les étoiles ». Mais R. Daneel Olivaw, le brillant robot auquel incombe cette mission, a découvert un ennemi potentiel. Un robot humanoïde, comme lui. Lodovik Trema est le seul survivant d'un accident interstellaire rarissime : son cerveau positronique a été exposé à un orage neutronique, lequel semble avoir effacé le critère holographique absolu des Trois Lois de la Robotique. Il ne serait plus soumis à aucune contrainte. Si tel est le cas, le service que Lodovik peut rendre à l'humanité n'est plus une question de destinée mais de volonté.
Daneel, qui ne peut se passer de Lodovik, l'envoie à Eos, la planète secrète où les robots sont réparés et perfectionnés afin de servir l'humanité. Lodovik prétend être guéri. Mais peut-on lui faire confiance alors que le mécontentement gronde partout dans la galaxie ?
Dans les cavernes d'acier de Trantor se cache la jeune Klia Asgar, dont les pouvoirs mentalistes sont l'effet de la fièvre cérébrale. Ces pouvoirs, elle s'engage à les mettre au service des hommes et des robots pour un destin commun ou une destruction mutuelle.
Comme Benford avant lui, Bear se met en devoir de combler les trous de l'Histoire du futur d'Asimov. Nous sommes donc sur Trantor, sous le règne de l'empereur Klayus, mais la réalité du pouvoir fait l'objet d'une lutte acharnée entre deux conseillers de haut rang, Farad Sinter et Linge Chen. Et Hari Seldon, le vieux professeur (et ex-premier ministre) qui prédit la chute de l'Empire, est suffisamment agaçant pour qu'on lui ficèle un procès sur mesure pour haute trahison.
Pendant ce temps, tout le monde court après les mutants mentalistes : la petite-fille de Seldon, parce qu'elle veut les rassembler pour la Seconde Fondation, Farad Sinter, parce qu'il s'imagine pourchasser les Eternels, une légende à laquelle il a fini par croire, et les Eternels eux-mêmes — nos braves robots, vivant clandestinement au sein des humains — parce que ces mutants sont décidément aussi imprévisibles que potentiellement puissants. Mais n'oublions pas que les robots, dissimulés partout, sont eux aussi divisés en factions dont l'éparpillement évoque les hérésies de l'Empire byzantin...
Il y a un incontestable plaisir à se retrouver sur les territoires familiers (quoique, dans mon cas, non visités depuis lontemps) de la Fondation asimovienne, de l'Empire Galactique aux millions de mondes et à la population comptée en quintillions. L'ambiance est confortable, les enjeux sont connus. Tellement que bien des rebondissements qui pour les personnages sont des basculements douloureux (l'exil de la Fondation) ne sont pour nous que prémices du décor de Fondation, le livre classique d'Asimov.
Celui-ci avait hélas deux avantages littéraires de poids : il était original (n'y revenons pas) et il se constituait d'une suite de nouvelles, au sein de laquelle un nombre limité de protagonistes atteignait ses buts, ou du moins une sorte de résolution de l'intrigue.
Ici, l'action est saucissonnée en 92 chapitres offrant à chacun des (environ) dix protagonistes quelques pages d'action ou de point de vue personnel.
Total, aucun personnage ne se développe vraiment, même si j'ai un faible pour la mutante Klia Asgar (qui me rappelle la mathématicienne chicana de Eon). Le livre s'y perd, ou m'y perd. Bear a le mérite de moderniser un peu les rapports humains par rapport à Asimov, mais les interminables problèmes de conscience des robots (seuls personnages authentiquement religieux d'un univers tissé d'athéisme asimovien) m'ont paru bien filandreux. Bear a néanmoins eu ce mérite de se couler dans le moule Asimov, et de produire un roman éminemment lisible.
[Chronique de l'édition originale américaine parue chez Harper Prism en mars 1998]
Foundation and Chaos est le deuxième tome de la nouvelle trilogie des Fondations autorisée par les héritiers d'Isaac Asimov. Greg Bear continue à explorer les zones d'ombres laissées par le grand maître tout en intégrant les nouvelles données apportées par Benford. On retrouve avec plaisir les deux amants terribles introduits par Benford : Jeanne d'Arc et Voltaire qui, cette fois encore, se voient impliqués dans un débat théorique lié à l'existence de créatures mécaniques.
Mais là où Benford avait choisi de se concentrer sur la personnalité du psychohistorien Hari Seldon, Bear préfère s'attarder sur les robots. Un thème qu'Asimov a longuement exploré, naturellement, qu'il a balisé aussi (banalisé ?) par l'entremise des trois lois de la robotique auxquelles il a donné son nom :
1. — Un robot ne peut faire de mal à un humain ni permettre de par son inaction qu'un humain souffre.
2. — Un robot doit toujours obéir à un humain sauf si cela l'amène à enfreindre la première loi.
3. — Un robot doit préserver sa propre existence sauf si cela entre en contradiction avec les deux lois précédentes.
Découlant d'une interprétation libre de la première loi, Asimov a par la suite introduit la loi zéro qui ordonne aux robots de protéger toute l'espèce humaine quitte à enfreindre les trois lois originales.
Bear s'intéresse aux effets de cette loi zéro qui a divisé les robots en deux factions, l'une déterminée à continuer à servir les hommes dans la plus stricte acceptation des trois lois, et l'autre cherchant à créer pour ces mêmes hommes un monde libéré du moindre risque, quand bien même faudrait-il pour cela asservir l'humanité.
Le robot Daneel Olivaw est le champion de cette dernière cause. On le découvre ici sous un jour nouveau. Prêt à tout pour garantir aux hommes le bonheur obligatoire, on le dirait comme consumé par son obsession, en proie à une passion qui le rend presque humain. Alors qu'une grave crise menace de réduire à néant tous ses efforts, il tente en vain d'orchestrer dans l'ombre les agissements de ses deux acolytes qui semblent eux aussi agités de troubles très peu mécaniques
Par ailleurs le robot Lodovik Trema se retrouve libéré des trois lois, désormais à même d'user de libre arbitre. Il se prend bientôt à douter du bien-fondé de la loi zéro... Reste Dors Venabili qui, conçue pour veiller au bien être du seul Hari Seldon, semble lui vouer un amour qui dépasse de loin sa programmation et lui fait oublier ses ordres...
En définitive, Bear ne cesse de se promener sur la fine frontière qui sépare humains et robots, dotant ces derniers de sentiments qui en font des personnages riches et complexes.
En accordant une place importante aux robots, Bear aborde l'univers de Fondationsous un jour nouveau tout en conservant l'esprit de la saga. Comme toujours avec Bean Foundation and Chaos est inventif et de lecture agréable. Et la nouvelle trilogie de continuer comme elle avait commencé, pour notre plus grand plaisir...