Milan, Rome, Bologne : la science-fiction italienne explose à travers la péninsule, et se retrouve dans cette première grande anthologie de nouvelles. Les influences croisées du cinéma, de la bande dessinée, de l'Internet, de la musique et de la littérature américaine ont fait naître une nouvelle génération d'auteurs.
Leurs univers mêlent la réflexion sur le monde italien contemporain et ces visions urbaines démesurées nées avec le mouvement cyberpunk, la violence la plus folle et la projection des phobies d'aujourd'hui clans un avenir lointain, mais toujours avec ce regard italien si particulier et si souvent teinté d'ironie.
Drogues virtuelles, commandos kamikazes, robots serial killers, expériences sexuelles extrêmes, avenirs sauvages ou horrifiques, uchronies et fugues à travers le temps : de Venise à Mars, les nouveaux écrivains italiens dessinent un paysage de rêve ou de cauchemar, comme autant de reflets d'un présent chaotique.
Initialement parue en 1999 aux éditions Payot, cette anthologie a été composée spécialement pour le public français. Elle se veut une représentation fidèle des tendances actuelles de la SF italienne. Le résultat est varié et inégal. Si chaque auteur a sa touche personnelle, les thèmes traités ne sortent guère des sentiers battus. Mais cette anthologie a déjà le mérite d'exister, et de nous faire découvrir de nouveaux noms de la SF européenne.
Après une introduction de Valerio Evangelisti qui retrace les grandes lignes de la contribution de l'Italie à la littérature de science-fiction, l'ouvrage s'ouvre sur Fabulaliena de Silverio Novelli. Il s'agit d'une nouvelle (qui n'est pas sans rappeler L'Heure H de Ray Bradbury) où un petit garçon prépare l'invasion extra-terrestre à l'aide de ses jouets. Choukra, de Nicoletta Vallorani, est l'une des nouvelles les plus réussies du recueil. Très onirique, elle évoque la beauté d'une race extra-terrestre disparue. Dans L'Ombre des empires à venir, Franco Ricciardiello jongle avec les paradoxes résultants de multiples manipulations temporelles. Avec Tarentula, Daniele Brolli nous offre une variante du thème de la femme-mante religieuse qui dévore ses amants. Dans Le Dernier Souvenir, Giorgia Mantovani s'interroge sur la fin du monde et la sexualité du futur. La Baleine du ciel de Luca Masali se situe en plein Océan Arctique sibérien, à la fin des années vingt. Ketama de Silvio Sosio est une nouvelle très réussie quoique classique. Elle met en scène un détective privé chargé de retrouver une androïde en fuite. Dans Le Reflet noir du vinyle de Domenico Gallo, deux agents secrets ne cessent de se croiser, mais on leur efface la mémoire à la fin de chaque mission... Je le jure de Andrea Colombo est une petite perle de concision et d'efficacité. On y croise deux cambrioleurs qui pénètrent dans une maison et s'aperçoivent que ses habitants ont été massacrés. La Musique du plaisir de Luigi Pachi s'apparente au cyberpunk. On y trouve des drogués tellement accros à la musique qu'ils se l'injectent directement dans les neurones. Enfin, dans Kappa de Valerio Evangelisti, un commando s'introduit dans l'ambassade du Pérou à Tokyo. La mission prend rapidement un tournant inattendu...
Cette anthologie propose donc des nouvelles sans grande originalité mais très variées. On y sent les germes d'une science-fiction en plein épanouissement. Cet ouvrage fait bien office de premier pas dans l'univers de la SF italienne.
Le succès de Valerio Evangelisti a rendu possible une anthologie de SF italienne, dix-huit ans après un Livre d'or chez Presses Pocket, trente-cinq et vingt ans après deux Fiction Spécial, ce rythme montrant que l'opération n'est pas commercialement évidente.
L'objectif affiché est de présenter des jeunes auteurs, dans leur diversité. Pour la présentation, on peut renâcler : malgré la verve d'Evangelisti, six pages d'introduction, c'est peu, et des notices sur les auteurs auraient été utiles. Mais pour la diversité, on est servi. On sort même de la SF avec deux histoires d'horreur, dues à Andrea Colombo et Daniele Brolli. Les neuf autres nouvelles nous sont données comme relevant d'une SF soit militante et radicale, soit surréaliste et onirique, soit « historico-vernienne », soit cyberpunk, soit érotique. Par ailleurs, on trouve des extraterrestres, victimes des hommes ou envahisseurs, deux fins du monde annoncées, dont une liée à la rencontre avec un univers d'antimatière, du steampunk, des androïdes, des cyborgs, et de la politique-fiction tiers-mondiste. Surtout, on a un relatif équilibre entre des textes fantasmatiques, métaphoriques, « littératurants », et d'autres plus « narratifs », même si la concentration des premiers en tête de volume en fait surévaluer le poids. Si certains rechigneront, préférant des recueils correspondant entièrement à leurs préférences, les lecteurs de Galaxies sont assez curieux de toutes les facettes du genre pour acheter le volume, et l'apprécier.
Les amateurs d'histoires commenceront par la fin. Evangelisti met en scène un affrontement entre guérilleros sud-américains et multinationale nipponne, sur fond de technologie informatico-biologique proche d'une magie moderne, Domenico Gallo présente des agents secrets manipulés en quête de leur identité, Silvio Sosio envoie un détective privé rechercher d'une androïde dans un monde qui doit moins au cyberpunk qu'à Blade Runner, et, surtout, dans une superbe novella, Luca Masali réutilise son personnage des Biplans de D'Annunzio, l'envoie en dirigeable au pôle entre exploration, agents nazis et arme secrète. Entre histoire et fantasmes, on suivra Luigi Pàchi dans les tribulations d'un drogué aux musiques interdites, dans un monde d'amputations, de prothèses électroniques et d'interfaces clandestines, et Nicoletta Vallorani dans une histoire d'amour et de génocide colonial sur une autre planète. Côté littératurants, Silverio Novelli présente le monologue d'un père pris entre jeux d'enfant, folie et invasion extraterrestre, tandis que Franco Ricciardello et Giorgia Mantovani lient Éros et Thanatos, fantasmes sexuels et catastrophes annoncées.
Certes, devant cette variété, on peut se demander si la nationalité suffit à assurer la cohérence d'une anthologie. Mais en attendant qu'il soit naturel de trouver ces auteurs, et d'autres, dans d'autres sommaires, avec des francophones, des anglo-saxons, etc., il fallait que quelqu'un se risque à une affirmative action. On ne peut que se féliciter de ce que, pour inaugurer sa collection, Payot en ait eu l'audace.
«La science-fiction italienne existe depuis la fin des années cinquante, mais elle n'est vraiment populaire que depuis quatre ou cinq ans seulement. » Dans sa préface, Valerio Evangelisti explique que cette SF a d'abord dû se libérer des influences socioculturelles américaines, échapper aux tentatives d'infiltration des mouvements d'extrême-droite et aussi combler son retard technologique pour réussir à atteindre enfin ce « sense of wonder » spécifique aux récits de science-fiction.
Le recueil groupe les principaux courants de l'actuelle SF péninsulaire. La plus significative est cette tendance radicale et militante génératrice de terribles récits désabusés. Comme Choukra, de Nicoletta Vallorani, où, par goût de lucre, les humains exterminent des extraterrestres bienveillants pour commercialiser leur peau. Le cyberpunk est aussi à la mode : ambiances à la Bilal et questions amères soulevées par une société à deux vitesses.
La plus grande réussite de ce recueil est sans conteste La Baleine du ciel, de Luca Masali, qui, dans une lignée historico-vernienne, prend un cadre et des héros italiens. Nul besoin d'aller piquer idées et personnages ailleurs. La catastrophe du dirigeable Italia, qui a survolé le Pôle Nord avant de s'écraser en 1928, trouve ici une explication du meilleur effet.
En douze histoires, un événement. L'envol de la SF italienne.