DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : septembre 2001 Première édition Roman, 400 pages, catégorie / prix : 22,11 € ISBN : 2-207-25011-3 Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
De nombreuses questions restées sans réponse donne force et mythologie au continent américain. A quoi correspondent les dessins de la plaine de Nazca ? Que sont devenus les populations troglodytiques du Nouveau-Mexique ? Qu'est devenu le trésor des Incas ? Et surtout pourquoi les Mayas ont-ils déserté leurs cités prospères pour se réfugier dans la jungle inhospitalière du Yucatàn ? C'est à cette dernière question que vont répondre quatre américains — Eddie, Lindsay, Thomas et Carmichael — perdu dans les ruines de Na Chan, sur fond de révolution zapatiste dans le Chiapas.
Ce roman plein de secrets séculaires, de déités originaires du commencement des temps, de fusillade, mêle avec brio aventures surnaturelles et archéologie comme dans un bon film d'Indiana Jones.
En des cités désertes est une oeuvre « écrite avec sauvagerie... totalement originale », si on en croit James Ellroy.
Lewis Shiner, né en 1950, a reçu le World Fantasy Award pour Fugues, paru dans la même collection. Son roman Frontera a été nominé au prix Nebula.
Critiques
Deserted Cities of the Heart précédait Fugues, En des cités désertes l'accompagne. Les traductions suivent les coups de cœur plutôt que l'ordre de parution des textes originaux. Peu importe. Le lecteur maintenant averti pardonnera à ce roman son exubérante naïveté. Une naïveté stylistique : Lewis Shiner produit standardisé comme à peu près tous les Américains qui ont bénéficié du « creative writing », ni bien ni mal, tout juste a-t-il tendance à décrire inutilement et en procédant par empilements ; on sent la volonté de bien faire. Par naïveté, j'entends cette réticence à appréhender les mécanismes propres à la narration littéraire. Il se refuse à sabrer, à rentrer dans le vif du sujet, à le prendre à bras le corps ; il préfère multiplier les digressions, les dialogues oiseux. Fugues souffrait d'un problème de structure, En des cités désertes paraît pour le moins décousu, il ne maîtrise pas encore l'art de la multiplication des points de vue ; plus qu'un océan, une galaxie le sépare du Dublin d'Ulysses. Les personnages continuent d'effarer : l'impression d'une résurgence molle et vulgaire du victorianisme. J'ai pu m'épancher par ailleurs sur l'inconsistance du protagoniste de Fugues, je renouvellerai cette appréciation concernant ceux de cette farce de second choix. Prenons à titre d'exemple la manière dont Lewis Shiner traite le sexe : des scènes aussi spontanées et vivantes qu'un étal de poissonnier, avec le détail scabreux de circonstance parce qu'on est pas ici pour rigoler. Il y a quelque chose de freudien dans son acharnement à jouer les canailles, alors que son tempérament puritain plaque sur ses yeux des mains crispées. Du sexe convenu, des personnages dénués de personnalité. Un journaliste américain désabusé, une guérilla pauvre quoique courageuse, de la couleur locale, un indien sage et mystérieux au fond d'une jungle impénétrable et bla et bla et défonce au psylo et destruction de la base secrète (quel rapport ? aucun). On sombre de clichés shineriens en clichés New Age. De la spiritualité vendue rayon produits de la mer. Marée à tout prix. Une étincelle d'originalité toutefois, prémisse du thème principal de Fugues, le seul angle par lequel Shiner aborde le fantastique, la quête de soi via l'exploration fantasmée du passé. Intéressant au demeurant, et bel effort de documentation.
Mon avis a peu d'importance : ceux qui aiment Shiner ont raison de s'en foutre, tandis que les autres voudront bien me prêter un kleenex, que je sèche mes larmes. Un bémol : écrit après En des cités désertes, une sorte de roman de jeunesse, Fugues présente une progression certaine. Il ne faut donc pas désespérer de l'écrivain.
Juillet 1986. Le Mexique traverse une grave crise économique et politique. Enquêtant sur les émeutes qui agitent le pays, Carmichael, journaliste à Rolling Stone, rencontre des guérilleros. Immédiatement plongé dans l'horreur d'une guerre civile, il assiste à la destruction de leur campement par des roquettes au phosphore, au milieu de membres épars et de chairs calcinées. Dans le même temps, le paranoïaque Parti Révolutionnaire Institutionnel — au pouvoir depuis 1946 grâce au trucage des élections — chasse les étrangers du pays. Les tanks de la guardia envahissent les laboratoires où travaille Thomas, un anthropologue qui étudie les causes de l'effondrement de la civilisation Maya vers 900 après J.-C. Lindsey débarque elle aussi, après avoir reconnu son mari Eddie, le frère de Thomas, sur une photo prise par Carmichael. Chanteur en panne d'inspiration, Eddie avait été déclaré mort après sa disparition d'une clinique psychiatrique en 1978... Tous ces personnages, ainsi que des rebelles, des Indiens Lacondas et des mercenaires américains, vont converger, pour diverses raisons, vers les ruines de Na Chan...
L'ambiance de ce récit, publié en 1988 et appuyé sur des événements politiques réels, rappelle un peu celle des romans de guerre d'Hemingway : le réalisme des faits de guerre, l'épopée tragique d'êtres humains ordinaires confrontés à la peur et à l'héroïsme, l'intensité que le danger donne subitement à leur vie menacée... Comme chez Hemingway, le parcours des personnages est intérieur autant que politique, évoquant une « génération perdue » profondément meurtrie, non pas cette fois par la Première guerre mondiale, mais par celle du Viêt-nam. Entre désenchantement et valorisation de l'aventure humaine personnelle, l'intrigue évolue également vers une réflexion sur le destin de l'humanité, pour qui peut sonner le glas...
La publication dans une collection consacrée à l'Imaginaire ne se justifie guère que par quelques scènes où l'on verra, selon sa sensibilité, les délires suscités par une drogue ou une fantastique expérience mystique. Les ruines de Na Chan recèlent en effet des champignons hallucinogènes particulièrement dangereux, auxquels Eddie goûtera sous l'influence d'un vieux chaman indien, au risque d'une folie irréversible. Ses premiers trips lui feront revivre son propre passé : scènes d'asile ou plongée dans les années 1970 obscurcies par la mort de Jimi Hendrix... Ces épisodes rappelleront bien sûr les voyages temporels de Fugues, le précédent roman de Shiner paru dans la même collection. Mais ces incursions dans un passé de plus en plus lointain se poursuivront par un retour vers la période maya, sous le masque du blanc Quetzalcoatl. Nous y apprendrons que le temps est soumis à des cycles et nous découvrirons la raison de l'abandon des cités mayas, objet des recherches de Thomas...
Entre réalisme magique et mysticisme new age, l'auteur évoque l'unité cosmique de l'humanité, comme l'a récemment fait Bordage par exemple. La drogue permet de raviver une mémoire génétique et de s'éveiller à une conscience universelle : « La meilleure dope était celle qui permettait de trouver sa place dans l'univers. » (p. 167)
En des cités désertes est en outre servi par le style nostalgique et envoûtant de Lewis Shiner. C'est dire si la quatrième de couverture trahit tant le contenu que la portée de cet excellent roman de littérature générale en le réduisant à un récit de pure distraction qui « mêle avec brio aventures surnaturelles et archéologie comme dans un bon film d'Indiana Jones. » Jouant la carte du commercial, elle cite en vrac les dessins de Nazca et le trésor des Incas qui n'ont pourtant aucun rôle dans l'affaire, mais elle fait l'impasse sur l'intrigue principale !
À condition d'apprécier les livres en marge des genres et de ne pas être gêné par un mysticisme qui peut paraître fumeux,le lecteur trouvera dans cette œuvre un drame contemporain à la fois original et universel, une fable politique et humaniste réellement captivante.