RIVAGES
(Paris, France), coll. Fantasy Dépôt légal : août 2001 Première édition Recueil de nouvelles, 228 pages, catégorie / prix : 16,77 € ISBN : 2-7436-0834-X Genre : Science-Fiction
Quatre visages de la peur, quatre rencontres avec l'indicible placées sous le signe de l'enfer et inspirées par la musique Heavy Metal, bande sonore rêvée du gothique moderne.
Venom. 1353, le grand inquisiteur Nicolas Eymerich mène l'enquête sur une étrange maladie qui sévit à Barcelone, et ouvre le bal des maudits.
Pantera. Une horde fantôme sème la destruction et la mort dans une ville-frontière de l'Ouest sauvage. Le seul à pouvoir l'affronter est un pistolero métis rejeté par tous et détenteur de secrets vaudous effrayants.
Sepultura. Dans l'univers carcéral extrême d'une prison expérimentale perdue en pleine jungle du Brésil, la terreur règne en maître car, ici, les hommes font corps avec leur geôle.
Metallica. Tandis qu'une guerre raciale dévaste le sud des Etats-Unis, le Mal s'anime, se propage et tente de soumettre à sa volonté l'espère humaine. Peut-on réussir à le vaincre ? Et surtout... Est-ce vraiment souhaitable ?
1 - Venom (Venom, 1998), pages 7 à 62, nouvelle, trad. Serge QUADRUPPANI 2 - Pantera (Pantera, 1998), pages 63 à 130, nouvelle, trad. Jacques BARBÉRI 3 - Sepultura (Sepultura, 1998), pages 131 à 166, nouvelle, trad. Jacques BARBÉRI 4 - Metallica (Metallica, 1998), pages 167 à 216, nouvelle, trad. Éric VIAL 5 - Vie de Nicolas Eymerich, pages 217 à 221, article, trad. Sophie BAJARD
Critiques
Avec ce Métal Hurlant, Valerio Evangelisti, auréolé par le succès grandissant de l'inquisiteur Eymerich, nous offre un livre aux multiples qualités.
Le texte, présenté dans un ouvrage sans faille comme habituellement aux éditions Rivages est segmenté en quatre nouvelles qui nous plongent dans la genèse d'une apocalypse annoncée par les maux de notre humanité. Chacune s'inspire quant à l'ambiance et à certains éléments de leur intrigue de groupes de Heavy Metal auxquels leur titre fait directement référence. Comme dans le long métrage d'animation du même nom, Métal Hurlant fonctionne en une trame unique reliant chacun des textes, illustrée par une musique qui dépasse allégrement le simple statu d'agrémentation musicale. Car si Evangelisti nous dépeint les facteurs d'une apocalypse et de son corollaire : une mutation à l'échelle de l'humanité, celle-ci passe par la symbiose entre la chair et le métal.
Avec Venom, la première nouvelle de ce recueil, Evangelisti nous présente à la fois l'origine et la finalité de son apocalypse via deux récits étroitement imbriqués. L'un nous plonge dans le Barcelone du 14ème siècle où l'on retrouve l'inquisiteur Eymerich dans une aventure se situant chronologiquement entre Nicolas Eymerich, inquisiteur et Le mystère de l'inquisiteur Eymerich. Le Dominicain y est confronté à deux hommes vouant un culte aux dieux de l'Afrique Noire dont l'un est affligé d'un mal inconnu qui se révèle vite n'être autre que la souche originelle du VIH, lequel est présenté, et c'est une idéologie répandue, comme la concrétisation d'un courroux divin s'abattant sur l'humanité en réponse à ses pêchés. Comme les éléments de l'autre histoire, qui se déroule au 21ème siècle dans un futur en proie à l'Apocalypse générale, nous le montrent : l'interrogation concerne l'identité de ce dieu et, lorsque l'inéluctabilité de la mutation nous apparaît, s'il est pertinent de s'y sacrifier.
Pantera incarne un pistolero d'origine mexicaine vivant au 19ème siècle, héritier de cette même magie païenne qu'il tient des premiers esclaves Noirs importés au Mexique. Contacté par le shérif d'une petite bourgade Texane vivant sous la menace des Cowboys de l'Enfer, gigantesques statues s'animant certaine nuit pour fondre sur les vivants, Pantera va découvrir les dessous de l'histoire peu claire d'une petite ville du Far West qu'il tentera de soustraire à cette menace.
Sepultura nous emmène au plus profond de la jungle brésilienne, à notre époque, dans un décor de guerilleros et de révolution, au cœur d'une prison où des expériences bio-chimiques ont fait des prisonniers et de leurs cellules une seule et même entité. La magie païenne est toujours présente, par le biais des indiens Kayovas, une tribu brésilienne s'étant donné la mort pour protester contre le gouvernement qui voulait les expatrier.
Metallica se déroule dans un futur plus ou moins proche, au cœur d'une guerre civile qui oppose Africains et Occidentaux dans les ruines de la Nouvelle Orléans. C'est le début de la guerre ouverte entre ceux qui acceptent la mutation, générant l'Apocalypse, et les autres, conservateurs s'accrochant désespérément à un ordre révolu. Et il est intéressant de noter que les deux camps en présence sont à la recherche d'un seul et même homme : un sorcier empruntant à la tradition vaudou qui se trouve être à l'origine des différentes mutations environnementales perturbant la donne de ce conflit : tours d'acier réagissant aux agressions, se tordant pour intercepter les missiles envoyés par l'Armée du Christ Guerrier, armée d'alligators mus par une pensée unique etc... Et le fait que les recherches des deux camps soient communes n'est pas innocent puisque cela renvoie directement à la chute finale, que je ne me permettrais pas de révéler ici...
Comme Maurice Dantec dans Babylon Babies ou Michel Houellebecq dans Les Particules Elémentaires, Valerio Evangelisti pense qu'une mutation est nécessaire au renouvellement de l'humanité. Mais dans Métal Hurlant, cette mutation est imposée par l'Apocalypse qu'elle génère : une partie de l'humanité l'accepte et l'autre la refuse, créant par là même des conflits destructeurs.
Car l'homme est réfractaire au changement, c'est un fait (même si celui-ci promet l'apport de bienfaits). Il s'y refusera toujours par réflexe, dans un ultime sursaut libertaire, et le progrès, s'il veut s'imposer, devra le faire par la force. C'est pourquoi il faut voir dans l'Apocalypse proposée par Evangelisti non pas l'anéantissement de notre humanité mais plutôt un mal nécessaire promettant de la faire évoluer vers de nouveaux horizons.
Le titre de ce Métal Hurlant fait référence à la mutation du métal mais aussi et surtout à la bande sonore qui vient enrichir son contenu. Les références et inspirations sont multiples : l'origine des groupes qui correspondent aux lieux des récits (Texas pour Pantera, Brésil pour Sepultura et USA pour Metallica), leur thème de prédilection (satanisme pour Venom, agressivité et lie de la société pour Pantera, révolution et guerre civile pour Sepultura et Metallica), les Cowboys From Hell qui sont le sujet d'une chanson sur l'album éponyme de Pantera, les indiens Kayovas qui servent de sujet à une chanson de Sepultura sur l'album Chaos AD, le nom du shérif dans la seconde nouvelle, Cliff Burton, qui n'est autre que le nom du bassiste décédé prématurément de Metallica, les titres des chapitres du dernier texte qui correspondent aux titres des chansons de l'album Kill'em All de Metallica etc... Enfin, il est amusant de noter que la lecture de chacune des nouvelles de Métal Hurlant correspond au temps d'écoute des albums auxquels elles font référence.
Au final, Métal Hurlant est un excellent livre qui allie à une trame profonde des textes soignés. Rehaussé par les multiples et savoureuses références à l'univers du Heavy Metal, ce livre est une curiosité à la lecture fort agréable et une excellente manière de découvrir l'œuvre de celui qui est désormais l'un des chefs de file de la littérature de genre en Italie.
Hormis sa trilogie consacrée à Nostradamus et Fragments d'un miroir brisé, anthologie de la SF italienne moderne, Valerio Evangelisti est essentiellement connu en France pour son remarquable cycle d'Eymerich. À sa décharge, signalons que les lecteurs — nous compris ! — en redemandent. Un tel personnage n'est d'ailleurs pas près d'épuiser ses ressorts narratifs tant il est riche de variations potentielles et de prolongements en tout genre.
Le dossier que votre revue préférée a consacré à l'auteur italien (NDLR : notre n° 11) démontrait qu'Evangelisti est capable d'imaginer plus d'un personnage et de rêver plus d'un avenir. Ne serait-ce que Metallica, la novella publiée dans Galaxies et qui clôt ce recueil : un monde de métal, où s'affrontent klanistes, néo-nazis et suprémacistes blancs d'un côté contre néo-islamistes intégristes de l'autre, la croix (celtique) contre le croissant : l'acier vibre et le vaudou anime les corps des crocodiles tandis que l'humanité sombre dans la barbarie généralisée. Pourtant, et c'est l'incroyable tour de force de l'auteur, on finit par avoir presque pitié de ces bourreaux, assassins abjects mais aussi victimes de systèmes idéologiques aussi absurdes que criminogènes ! Et parfois, même un combattant peut faire preuve d'une amère lucidité, comme le fasciste Robinson : “ La guerre moderne est une guerre contre les civils. Dans les Balkans comme ici. Donc il n'y a qu'un seul commandement : jamais de remords. ”
Avec Pantera, digne fils du Pistolero de Stephen King (on nous permettra, même si la saga trop mésestimée du Maître de Bangor mériterait d'être réévaluée, de l'estimer un cran plus original), Evangelisti revisite avec brio les archétypes du western. Mais le tueur à gages, appelé pour abattre un groupe de cavaliers qui menace une petite ville, aura plus recours aux invocations et à la psychologie qu'au Colt 45 (même s'il élimine tout tranquillement quelques médiocres). Là encore, l'auteur manipule son lecteur avec une habileté toute diabolique, digne du créateur d'Eymerich ! On se prend à se réjouir de ces exécutions sauvages, parfois rehaussées d'un brin de sadisme (et d'humour, comme dans cette scène où Pantera abat un violeur minable, puis souffle sur le canon comme dans les B.D. !), avant de s'interroger sur les véritables motivations de ce héros ambigu, malgré quelques fortes paroles aux exclus de ce temps et de ce monde (“ Gare à celui qui s'en prend aux plus faibles, pour ressembler à celui qui l'humilie. ”). Ici, parodie et hommage, comédie et tragédie s'entremêlent : bien sûr, les “ dix cow-boys de l'enfer ” viennent se venger d'un crime. Et c'est toute la ville qui est coupable...
Sepultura, c'est le bagne absolu : une colle élastique dans laquelle les détenus sont englués, incapables de menacer en rien l'ordre totalitaire qui règne au-dehors. Au-dehors, où des hommes luttent toujours pour la justice et la liberté... Et sur fond d'affrontement entre deux frères que seul un lointain passé tragique peut encore rapprocher un bref moment, l'assaut de Sepultura se prépare...
Reste à évoquer Venom, le récit qui ouvre Métal Hurlant, et qui met en scène l'effroyable inquisiteur Eymerich. Son physique d'abord, brossé en une phrase brève lorsque le Dominicain se rend aux salles de torture : “ Pour entrer, Eymerich, qui était grand, dut un peu se baisser. ” Les lecteurs qui ont eu l'occasion de rencontrer Evangelisti (et son mètre quatre-vingt-quinze ou peu s'en faut !) saisiront tout l'humour distancié de ce “ portait de l'artiste en inquisiteur ” ! Mais le propos reste tragique, chez un écrivain qui réside à l'ombre de Berlusconi et de Jean-Paul II (“ Sue Emicenza ” et “ Sa Sainteté ”). Une guerre, dans un futur lointain où nos descendants (on songe par moments à Terminator), eux-mêmes pourvus d'organes artificiels, tentent de résister aux assauts de hordes de métal alors qu'une maladie terrible détruit le vivant. Sans vouloir révéler la chute du récit, on nous permettra de révéler que le sida, dont les victimes sont stigmatisées par le Vatican, serait peut-être le produit d'actions irresponsables passées des hauts responsables de l'Église... Ironie de l'histoire, et relecture ironique de l'Histoire, dénonciation implicite des préjugés et mise en abîme de l'espace et du temps que seule la SF pouvait autoriser. Symbole de la toute puissance de l'imaginaire, à coup sûr, Venom est un récit cruel mais ébouriffant, pétillant de vivacité. Retournement de situation (stupéfiant) en prime.
Ce recueil, d'un niveau de qualité exceptionnel, sans la moindre fausse note, est une réussite de plus à mettre à l'actif de ce grand romancier européen de l'imaginaire.