Owen arrive en pente douce à la Peur, il prend le lecteur par le bras pour une promenade innocente, dans l'intention perverse de lui fausser compagnie une fois face à l'épouvante.
1 - Cérémonial nocturne, pages 5 à 9, nouvelle 2 - Wohin am Abend, pages 11 à 25, nouvelle 3 - Mutation, pages 27 à 32, nouvelle 4 - La Fille de la pluie, pages 33 à 45, nouvelle 5 - Elna 1940, pages 47 à 60, nouvelle 6 - Le Chasseur, pages 61 à 66, nouvelle 7 - Les Lectures dangereuses, pages 67 à 73, nouvelle 8 - La Passagère, pages 75 à 84, nouvelle 9 - La Soirée du baron Swenbeck, pages 85 à 94, nouvelle 10 - Un beau petit garçon, pages 95 à 105, nouvelle 11 - Le Grand amour de Madame Grimmer, pages 107 à 119, nouvelle 12 - Le Petit fantôme, pages 121 à 133, nouvelle 13 - Au cimetière de Bernkastel, pages 135 à 155, nouvelle 14 - La Dame de Saint-Pétersbourg, pages 157 à 164, nouvelle 15 - Bagatelles douces, pages 165 à 177, nouvelle 16 - La Tentation de Saint Antoine, pages 179 à 187, nouvelle 17 - Étranger à Tabiano, pages 189 à 277, nouvelle
Critiques
Le titre est beau qui donne, me semble-t-il, assez exactement le ton du volume tout entier. Non pas que la nuit et ses sortilèges en soient les seuls protagonistes, mais bien parce que ces mots accouplés ont au plus haut point ce pouvoir de suggestion, cette résonance poétique qui font de Thomas Owen bien davantage qu'un simple conteur.
Cela ne va guère me faciliter la tâche. D'autant qu'il me paraîtrait niais de vouloir à tout prix analyser ce recueil en ne me servant que des seuls critères traditionnels. Oh ! bien sûr, on peut toujours se livrer au petit jeu des comparaisons – encore que les ouvrages parents de celui-ci ne soient point nombreux. On peut aussi s'amuser à débusquer les plus lointaines filiations, recenser les influences. Les épigraphes qui « coiffent » chacun des dix-sept récits d'inégale longueur rassemblés dans ce Cérémonial, et qu'ont signé Villiers de l'Isle-Adam, Wilde, Bierce, Kafka, Bruno Schulz, Jean Ray, Mandiargues, Robert Margerit, Arrabal et quelques autres, risquent fort de passer pour révélatrices. Pourtant elles ne sont rien de plus que des jalons plantés ouvertement au long de ces « chemins étranges » que Thomas Owen connaît mieux que personne pour les parcourir depuis plus de vingt ans.
La quête qu'il y poursuit encore lui fait nous rapporter, parfois – et c'est inévitable – quelques récits mineurs ou moins bien venus que d'autres. La plupart sont cependant de premier ordre. Certains nous sont déjà connus. Nous les avons lus dans Fiction (Au cimetière de Bernkastel, La dame de Saint-Pétersbourg, Un beau petit garçon. Le chasseur, Le grand amour de Madame Grimmer), dans Mystère-Magazine (La fille de la pluie) et même dans Atlanta pour ce qui est de ce Cérémonial nocturne duquel ce volume, troisième recueil de l'auteur, tire son titre.
Les lire séparément est une chose ; les lire ensemble en est une autre. Le climat y gagne à se multiplier ; l'éclairage change : une lumière froide, hypnotique, nous découvre tout à trac de nouvelles perspectives ; les récits achèvent de se mettre en place et prennent, alors, leur véritable dimension. Une dimension où dominent l'insolite – plus que le fantastique – la cruauté, l'incertain et un érotisme feutré, insidieux, curieusement concret. L'effet est toujours surprenant, souvent superbe. L'écriture de Thomas Owen y entre pour beaucoup qui « paraît » simple, sans cependant se refuser à la magie des mots.
Je pense surtout, écrivant cela, à la nouvelle de près de quatre-vingt-dix pages, Étranger à Tabiano, qui termine le recueil. C'est une manière de chef-d'œuvre, un long poème on prose où l'écriture, justement, a pour le moins autant d'importance que l'histoire et dont un résumé ne peut, hélas ! de ce fait, qu'amoindrir les prestiges. On y voit une sorte de voyageur égaré – dont nous ne saurons jamais rien – se retrouver à Tabiano, étrange pays, aux us et coutumes plus étranges encore, et qu'un tyran passablement singulier, le Grand Malicieux, gouverne selon son seul bon plaisir. Ce tyran, le voyageur l'étranglera au retour d'une fuite avortée. Pourtant ce meurtre, d'où devait logiquement découler la liberté de tout un peuple, ne servira de rien : déjà Tabiano aspire à de nouvelles servitudes. C'est tout, et c'est extraordinaire.
Mais il vous faut lire également « Wohin am abend ? », Mutation, Elna 1940, La soirée du baron Swenbeck, Le petit fantôme, La tentation de saint Antoineoù, en plus du Diable, se donnent aimablement carrière les métamorphoses, les spectres et l'anthropophagie. Il vous faut lire Les lecturesdangereuses – qui nous rappellent que Léo Malet n'est pas seulement le père de Nestor Burma, mais aussi un poète quasi clandestin d'une rare qualité. Il vous faut lire La passagère où revit abominablement – quoique en sourdine – l'obsession de la main qu'idolâtrent tant de conteurs et, dirait-on, Thomas Owen plus que d'autres (cf. deux récits antérieurs : Le destin des mains ; La princesse vous demande). Il vous faut lire, surtout, Bagatelles douces où l'érotisme dont il a déjà été question tient ambigument le devant de la scène : il y fait merveille.
Bref, il vous faut absolument vous repaître de tous ces récits, de ces « poisons de l'imagination » – Thomas Owen dixit – céder à leurs vénéneux enchantements, comme vont y céder les innombrables lecteurs de la collection « Marabout ». Et comme on souhaiterait que le fissent également ces happy few que réclamait Stendhal, et pour lesquels ils ont sûrement aussi été écrits.