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Gros temps

Bruce STERLING

Titre original : Heavy weather, 1994
Traduction de Jean BONNEFOY

GALLIMARD (Paris, France), coll. Folio SF n° 58
Dépôt légal : avril 2001
Roman, 398 pages, catégorie / prix : F7
ISBN : 2-07-041834-0
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
     2031. L'effet de serre a provoqué des changements catastrophiques sur l'environnement. De gigantesques tempêtes s'abattent régulièrement sur le Middle West, des millions de personnes ont fui ces contrées désormais invivables.
     Mais faute de pouvoir maîtriser ces tornades, sans doute est-il possible de les comprendre. Et donc de les prévoir.
     Telle est la tâche que s'est assigné le Front de tempête, une équipe d'informaticiens fantasques qui s'est mise à l'écart du « gros temps » de l'Histoire pour traquer les ouragans à bord d'engins bricolés à partir de surplus militaires, volants ou roulants, truffés de capteurs et de caméras.
     Leur but ultime, leur Graal : étudier la tornade géante prédite par Jerry Mulcahey, le génial mathématicien qui leur sert de gourou, la fameuse F-6 qui purifiera définitivement ce monde malade...

     Bruce Sterling est né en 1954 au Texas. De formation scientifique, passionné par tous les aspects de la modernité, il s'est imposé au début des années 80 comme l'un des fers de lance du mouvement cyberpunk, mélange explosif de roman noir et de nouvelles technologies.
Critiques
     En cette première moitié du XXIe siècle, de nombreuses catastrophes écologiques ont malmené la planète : désertification et bouleversements climatiques sont désormais le lot commun. Une petite tribu de savants et de marginaux d'horizons divers, le Front de tempête, s'est réunie dans le Middle West pour traquer et étudier les tornades qui s'abattent fréquemment sur cette région. Le dernier arrivé parmi eux, Alex, souffre de maladies respiratoires chroniques (ce qui donne à Bruce Sterling l'occasion de décrire avec brio sa vision de la médecine future) et essaye de s'insérer dans cette communauté hétéroclite. Malgré leurs styles et leurs motivations divers, les membres du Front de tempête ont un but commun : observer une « F-6 », tornade hypothétique d'une force phénoménale, qui détruirait tout sur son passage.
     Dans ce roman, le maître du cyberpunk brosse une galerie de portraits touchante. Les personnages apportent une touche d'humanité et d'optimisme au milieu des paysages apocalyptiques. Malgré quelques longueurs, dues au fait que Bruce Sterling s'attache plus à dépeindre des ambiances que des enchaînements d'actions, Gros temps est un roman agréable et riche, porteur d'images, d'atmosphères et de réflexions disséminées. Le rythme un peu lent s'accélère sur la fin et le livre s'achève sur un épilogue plus doux et nuancé que ce qui précède laisserait présager. Sans être un grand roman de Bruce Sterling, Gros temps porte les caractéristiques du reste de son œuvre et ne décevra donc pas les amateurs de cyberpunk.

Marie-Laure VAUGE
Première parution : 1/9/2001 dans Galaxies 22
Mise en ligne le : 15/10/2002

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition DENOËL, Présence du futur (1997)

     Si William Gibson fut en quelque sorte l'initiateur, ou le détonateur, du mouvement cyberpunk, Bruce Sterling en est généralement considéré comme l'idéologue et le théoricien, comme en témoigne sa préface à l'anthologie-manifeste Mozart en verres miroirs 1. II y exprime notamment sa conviction que « l'auteur typiquement cyberpunk n'existe pas », et que « La tendance cyberpunk forme une extension naturelle d'éléments déjà présents dans la Science-Fiction ». On pourrait ajouter qu'une fois passés les excès liés à l'émergence d'une nouvelle manière d'aborder le genre, le destin de la tendance en question est de se fondre peu à peu dans le courant principal de la S-F, enrichissant celui-ci de ses éléments les plus pertinents.

     Gros temps, qui illustre parfaitement ce processus d'intégration générique, s'inscrit dans la lignée des œuvres les plus récentes de Sterling, comme les textes réunis dans Crystal Express 2 — et notamment la nouvelle donnant son titre au recueil — ou le doublement volumineux Les mailles du réseau. Dans une Amérique du proche futur où l'effet de serre a complètement détraqué le temps, les ravages effectués par des tornades d'une fréquence et d'une violence accrue ont provoqué l'exode de millions de personnes, transformant le Middle West en un véritable désert. L'épuisement des nappes phréatiques ne fait qu'aggraver cette situation cataclysmique.

     Socialement, les choses ne sont guère plus riantes, et l'on ne sait qui est le plus à craindre, des bandes de pillards, des terroristes « déstructurants » ou des milices constituées pour lutter contre ces derniers. L'état d'urgence, durant lequel le gouvernement semble avoir perdu — ou abandonne — l'essentiel de son pouvoir, a laissé des traces indélébiles. À cet égard, le passage consacré à l'argent privé développe une extrapolation inquiétante, tout à la fois démente et réaliste.
     Sur le plan sanitaire, le monde décrit par Sterling a tout d'un véritable cauchemar. Tous les protagonistes de l'histoire éprouvent une méfiance — justifiée — à l'égard des fluides corporels intimes, et tous les accessoires entrant en contact avec des parties sensibles du corps doivent être soigneusement désinfectés avant emploi. Ainsi, les casques et lunettes virtuelles des salles de jeux deviennent facteurs de transmission de conjonctivites, d'otites — et même de poux ! Le sida et sa mythologie sont passés par là. Pourtant, là où Graham Masterton ou Maurice G. Dantec 3 prennent soin de montrer leurs personnages usant du préservatif — le premier d'une manière purement grotesque, le second avec beaucoup de sensibilité — , Sterling choisit de décrire des rapports sexuels non protégés ; comme Jean-Marc Ligny 4, c'est la découverte par ses protagonistes du sexe... disons « naturel » qui l'intéresse 5. L'intrigue, quant à elle, est tout à la fois simple et touffue. La relative linéarité de la quête d'une tornade exceptionnelle — qui motive les membres de la tribu de néo-nomades cyberpunks placée par l'auteur au cœur même du roman — s'oppose en effet à la complexité des relations entre les divers personnages. Et le dénouement, qui intervient bien entendu durant la — brève — apparition de la tornade en question, souffre de cette opposition fondamentale, ainsi que du parti pris par l'auteur de recourir à une trame « enterrée », une sorte de sous-récit pratiquement invisible, qui ne prend son importance que dans le dernier chapitre. Désirant dissimuler au lecteur les machinations qui se trament dans l'ombre, Sterling est partiellement tombé dans le piège d'une allusivité excessive ; du fait de cette rétention d'informations, certaines révélations, arrivant comme des cheveux sur la soupe, donnent à la structure de ce livre une apparence assez artificielle.

     Pourtant, Gros temps n'est pas dénué de qualités, et tant l'intérêt accordé aux personnages que la minutie avec laquelle Sterling a construit son univers en font un roman de Science-Fiction passionnant, presque un modèle de l'œuvre post-cyberpunk. En effet, loin de phagocyter le récit, la tendance y devient une simple couleur, faite de technologie récupérée et d'astuces scientifiques. L'éloge du bricoleur, qui se trouve au centre de bon nombre de textes écrits par les principaux acteurs du mouvement neuromantique 6, est reléguée ici au second plan par l'aspect purement hard science des choses — comme si Bruce Sterling voulait nous faire comprendre que le cyberpunk a cessé d'exister en tant que tel, pour devenir une simple réserve d'images et d'idées science-fictives.
     Et, que cela ait été ou non l'intention de son auteur, telle est bien l'impression principale qui se dégage de ce thriller météorologique.

Notes :

1. Denoël « Présence du Futur » Anthologie rééditée voici quelques mois avec un sommaire modifié dans le cadre du coffret Les Cybernautes, qui comprend également l'anthologie Demain les puces et les romans Câblé de Walter Jon Williams et Le temps du twist de Joël Houssin —  voir critiques plus haut.
2. Denoël PDF Respectivement dans la série du Manitou (Pocket « Terreur ») et dans Les racines du Mal (Gallimard « Série Noire »)
3. Inner City, J'ai Lu
4. Étrangement cette découverte, qui peut être considérée comme le symbole d'un certain retour a la normale, passe chez ces deux auteurs par la fellation. Il n'est pas certain qu'il s'agisse la uniquement — comme par exemple chez Spinrad — de l'expression d'un simple fantasme masculin.
5. Pour reprendre le terme astucieux inventé par Norman Spinrad.

Roland C. WAGNER (site web)
Première parution : 1/2/1997
dans Bifrost 4
Mise en ligne le : 5/11/2003


Edition DENOËL, Présence du futur (1997)

     2031, sombre futur où la déchéance viendra du ciel. Jerry Mulcahey est un génie déchaîné dont l'objectif vital est d'assister à la F-6, l'ultime tornade que tout le monde attend, avec peur, excitation, enthousiasme ou frénésie mystique. Avec lui, tel la tornade qu'il attend, il entraîne le destin d'un groupe de personnages plus typés les uns que les autres, qui se sont réunis à ses côtés en formant le Front de tempête.

     Parmi eux : Alex. Amené là de force par Anita, la sœur qu'il déteste, Alex va soudain changer de vie. Lui qui, frappé depuis sa naissance par une maladie génétique, vivait comme un reclus, d'hôpital en hôpital, de traitement médical en cures de désintoxication, va soudain apprendre à affronter sa mort, puis enfin à aimer sa sœur en suivant ce groupe d'allumés.

     Ce roman est réellement, profondément touchant. Quelques bouts de chapitres en moins et l'on criait au chef-d'œuvre. Rarement le lecteur a-t-il pu sentir si concrètement le vertige de la chute de l'humanité vers le gouffre de son anéantissement. Le face à face entre l'Homme et son destin est magnifiquement troublant, distinctement palpable. Et soudain naît la Rédemption, la charitas de K. Dick, là où on ne l'attendait pas, comme si Sterling voulait montrer que certaines terres brûlées pouvaient donner plus de blé...

     Roman magnifique mais lent, alourdi par des scènes d'attente dont on aurait pu se passer et mal servi par une fin en demi-ton, Gros Temps contient toutefois en son sein un véritable morceau d'anthologie : cette inoubliable scène où une journaliste pose la même question à un groupe d'une dizaine de personnes : « Selon vous, à quel moment de son histoire l'Homme a-t-il perdu le contrôle de son destin ? ». Sterling se lance alors avec passion dans dix uchronies différentes, analysant comment le monde aurait pu continuer dans une meilleure direction si tel ou tel événement n'avait pas eu lieu, ou plutôt si l'homme n'avait pas commis tel ou tel acte historique. Formidable leçon d'humilité, cette scène est étouffante, écrasante, montrant avec talent combien l'Homme, du fait de son ignorance et de sa prétention, est enclin à une autodestruction inconsciente.

     Gros Temps est aussi l'histoire d'une rémission. Celle d'un égoïste qui apprend à aimer, celle d'un condamné qui apprend à goûter la vie, celle d'une société qui se meurt mais trouvera peut-être son salut dans la persévérance d'un groupe de marginaux. C'est l'histoire de l'humanité face à sa propre crise. C'est l'histoire d'une tornade, irrésistible, qui dénouera le destin d'une planète tout entière.

Henri LŒVENBRUCK (site web)
Première parution : 1/3/1997
dans Galaxies 4
Mise en ligne le : 3/12/2008

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