Voici une réédition dont le besoin se faisait sentir depuis un certain temps. Ce classique de la SF d'aventure peuple à nouveau les rayons des librairies, cette fois en un seul volume, pour la plus grande joie du profane : enfin, il n'a plus à se poser de questions pour savoir dans quel ordre lire les quatre romans !
On ne présente plus ce chef-d'œuvre, ou si peu ! En comparaison des aventures d'Adam Reith (dont le titre original est d'ailleurs, platement, Planet of Adventure), les plus trépidants films d'action semblent poussifs. Mais Tschaï, c'est bien autre chose encore : des décors grandioses, « vanciens » en diable, aux couleurs électriques magnifiquement rendues par Caza dans les précédentes éditions de J'ai lu (de ce point de vue, la nouvelle couverture semble moins dans le ton) ; un climat alliant froid sibérien et chaleur tropicale ; une atmosphère variant entre steppes, ruines, océans, ergs sauvages et souterrains oppressants... Enfin et surtout, Tschaï représente de bien des manières le sommet de l'art de Vance — un fabuleux parcours d'exo-ethnologie : des descriptions fondues dans l'action, ciselées à l'extrême, de sociétés étranges qui sont autant une invitation au voyage dans l'imaginaire qu'aux confins de notre propre monde, riche de cette multitude de cultures, de mœurs, de rêves... d'antagonismes et de haines.
En effet, dans le sillage de Reith poursuivant sa quête, l'auteur entraîne le lecteur pantois tant dans les grands espaces que dans les bas-fonds d'un univers en état de guerre latente depuis des millénaires... Quoi de plus simple que cette histoire de Terrien prisonnier d'un monde hostile et complexe, cherchant à retourner sur sa planète natale ? Mais quel pari plus réussi ? Les personnages peuplant la planète Tschaï (les dernières espèces extra-terrestres dont Jack Vance nous ait gratifiés à ce jour, soit dit en passant) marqueront le lecteur pour longtemps, et certaines séquences, telles que la chasse aux sequins (in Le Dirdir), ou la visite de la Salle de la Perpétuation (in Le Pnume — prononcer « noume » en vancien original), lui feront perdre de bon cœur quelques heures de sommeil. Mieux, le magnétisme opère tout autant à la relecture : si vous avez découvert le cycle voici une décennie, ou deux, ou trois, reprenez donc l'un des deux derniers volumes, pour voir !
On notera, pour la petite histoire, que l'auteur aurait souhaité modifier le titre des deux premiers romans (le mot Chasch lui semblant inadapté à l'espèce visée, et le sens de Wankh, en slang britannique — que Vance ignorait à la sortie du livre — induisant trop facilement des interprétations erronées) : détails... Certains regretteront aussi dans cette œuvre le côté trop hollywoodien du héros ; certes, le cycle n'échappe pas aux lois du genre. Mais la peinture, hallucinante de créativité et de précision, des sociétés étrangères qui peuplent Tschaï (les Dirdir et les Pnume, notamment, valent le voyage vers la Carène !), ainsi que la psychologie très fine de personnages « secondaires » plus qu'attachants (Traz, Zap 210, et surtout Anacho) font bien vite oublier quelques clichés, et Tschaï reste le modèle, à notre avis inégalé à ce jour, du planet opera.
Xavier Noy & Bruno della Chiesa
Xavier NOŸ
Première parution : 1/9/2001 dans Galaxies 22
Mise en ligne le : 15/10/2002