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Le Monde aveugle

Daniel F. GALOUYE

Titre original : Dark Universe, 1961
Première parution : New York, USA : Bantam Books, septembre 1961   ISFDB
Traduction de Frank STRASCHITZ

DENOËL (Paris, France), coll. Présence du futur précédent dans la collection n° 68 suivant dans la collection
Date de parution : 19 octobre 1963
Dépôt légal : 4ème trimestre 1963
Première édition
Roman, 240 pages, catégorie / prix : 6,15 FF
ISBN : néant
Format : 12,0 x 18,0 cm
Genre : Science-Fiction


Ressources externes sur cette œuvre : quarante-deux.org
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Quatrième de couverture
  • Ce sont les derniers survivants de la guerre atomique... mais ils ne le savent pas.
  • Depuis trois générations, ils vivent dans des cavernes souterraines entièrement closes.
  • Dans ces ténèbres éternelles, leurs yeux ont perdu toute utilité... Ils « voient » avec leur ouïe, leur odorat, extraordinairement développés.
  • Ils errent à la recherche de la Toute-Puissante Lumière, qui est devenue leur Dieu.
  • Mais quand ils seront devant Elle, ils reculeront, épouvantés...
  • Un récit terrifiant et prophétique de ce qui sera peut-être le sort des plus privilégiés d'entre nous.
Critiques

    Il faut bien parler d’abord de la « prière d’insérer », puisqu’il s’agit d’un texte destiné à présenter l’ouvrage à celui qui est sur le point d’en commencer la lecture. Et il faut bien relever la maladresse qui s’y trouve commise : avant d’aborder ce Monde aveugle, on trouve, dans cette « prière d’insérer », la vérité dont l’auteur a minutieusement préparé la révélation dans son roman. On y apprend que la « force psychique incompréhensible », à laquelle le protagoniste se heurte à plusieurs reprises au cours de l’action, est tout simplement la lumière. On y apprend également que les « monstres » qui viennent hanter le monde aveugle où il vit ne sont que des sauveteurs, des humains qui n’ont pas oublié l’usage de la lumière.

    Voilà donc un texte de présentation privant gauchement le lecteur d’une chute ; chute qui n’est pas le dénouement lui-même, mais que l’auteur avait préparée avec beaucoup d’adresse, livrant progressivement des indices permettant au lecteur – sans jeu de mots – d’éclairer sa lanterne. Cependant, l’intérêt du roman ne réside pas exclusivement en cette révélation, il s’en faut de beaucoup. Le récit est bâti avec grand soin, et aussi avec suffisamment d’art pour ne jamais sentir l’effort.

    Le thème est proche de celui du Pays des aveugles de Wells, à cela près que Daniel Galouye est allé beaucoup plus loin que l’auteur de la Guerre des mondes dans la minutie et la vraisemblance des détails, et que son dénouement est à l’opposé de celui choisi par Wells. Ce Monde aveugle est celui d’un système très étendu de souterrains, où des communautés d’humains ont vécu durant plusieurs générations, ignorant ce qu’est la lumière, et donnant à ce mot lui-même une signification purement mystique. Cette lumière, ils ont appris à s’en passer, puisqu’ils ne la rencontrent que très exceptionnellement. Et, dans de tels cas. Ils ne la reconnaissent pas pour ce qu’elle est ; ils parlent de « silence rugissant », perdus qu’ils sont devant les sensations inhabituelles que leurs nerfs optiques transmettent à leurs cerveaux :

    « C’était comme si toute la Radiation se déchaînait dans ma tête. Ce n’était ni un son, ni une odeur, ni une sensation tactile » (p. 23)

    Une question, à ce propos, peut être posée à l’auteur : est-ce que, après plusieurs générations passées dans une obscurité totale, l’homme conserverait encore le sens de la vue ? Celui-ci ne s’atrophierait-il pas assez rapidement, faute d’emploi ? On peut cependant accorder à Daniel Galouye le droit de recourir à ce qui est, après tout, une invraisemblance, tant est intéressante la façon dont il présente la redécouverts de ce sens oublié chez son protagoniste.

    Car, comme tous les habitants du monde aveugle, Jared a été habitué à se servir de son odorat, de son toucher et surtout de son ouïe pour accomplir les actes qui, chez nous, mettent en jeu les yeux. Il utilise, pour se guider dans des couloirs inconnus, des pierres qu’il fait se choquer, l’écho de ce bruit le renseignant sur la structure du sol, les coudes des galeries ou l’allure des êtres qui sont en face de lui. Tous ses actes sont guidés par les messages qui lui parviennent ainsi. Daniel Galouye a su imaginer un système de société et des coutumes de « bon usage » en fonction de la limitation imposée à ses personnages. Tel est, par exemple, le rite des « dix Souches de familiarisation », par lequel deux nouvelles connaissances se manifestent leur confiance réciproque, et apprennent à s’identifier pour leurs rencontres ultérieures.

    Daniel Galouye a également pris le soin de repenser le langage qu’utiliserait une telle société. Nous sommes heureusement très loin des effets de ponctuation arbitraire et des néologismes aussi laborieux que gratuits par lesquels certains voulaient suggérer le passage du temps. Puisque ce monde, étant « aveugle », ignore la lumière, ses habitants ont remplacé, dans les tournures courantes de leur langage, le verbe voir par le verbe entendre. La façon de compter le temps s’en trouve modifiée : on ne l’évalue pas en années, puisque l’apparence du ciel et les variations saisonnières du temps sont également inconnues, mais on parle de gestations. Il n’est pas question d’hier, mais de la période précédente, avant le sommeil. Sur ce point, le lapsus calami qui fait précisément apparaître ce mot de hier dans la bouche du Penseur, au début du chapitre VII, est dû au traducteur et non à l’auteur.

    Celui-ci a pensé à la subsistance de ses « aveugles » : il les a fait disposer de plantes qui, au lieu de se nourrir de la chaleur du soleil, utilisent celle de sources chaudes, et servent de pâture à un bétail qui a suivi les hommes sous terre. La possibilité de réactions différentes des organismes humains en face de ces conditions anormales a également été envisagée. L’habileté à détecter par le son est évidemment variable selon les individus, mais il est aussi question de mutations. Certains de ces « aveugles » sentent les rayons infra-rouges, et peuvent donc se guider par la chaleur ; ils sont naturellement considérés comme anormaux par ceux qui n’ont pas ce pouvoir. On rencontre également des télépathes, des chauves-souris géantes, pour lesquelles le traducteur a conservé le terme anglais de soubats, et ces « monstres », dont Daniel Galouye révèle la nature moins promptement que ne le fait l’anonyme auteur de la « prière d’insérer ». Il y a tout un monde, dont les habitants sont évoqués avec minutie et vraisemblance, dans leurs actes quotidiens aussi bien que dans leurs croyances. La nature de celles-ci suggère assez clairement quelle a pu être la cause de cette retraite sous la surface de notre globe.

    Précisément, le protagoniste, Jared, se demande quelle est l’essence de ces divinités que sont « les Démons Jumeaux Cobalt et Strontium, les Deux « U », Deux-Cent Trente Cinq et Deux-Cent Trente Huit, Plutonium du Niveau Deux-Cent Trente Neuf, et cet habitant immense et malfaisant de l’Abîme Thermonucléaire, Hydrogène…» Jared est un aventurier, et non un génie. Il possède des atouts appréciables sur le plan physique – sa maîtrise dans l’usage des pierres à échos n’est pas le moindre de ceux-ci – mais il n’a pas de ces intuitions, géniales et peu vraisemblables qui caractérisent bien des héros de romans. Au contraire, sa simplicité est assez proche de la naïveté, et elle ne devient attachante que grâce à la décision qui l’anime : Jared veut apprendre ce qu’il y a derrière les légendes, derrière le mot lumière, et c’est le récit de ses découvertes qui constitue la substance du roman. C’est à travers la quête de Jared que le lecteur découvre les particularités de ce monde aveugle, que l’auteur a voulu beaucoup plus étrange qu’effrayant. La crainte de l’obscurité, en tant qu’instinct, a naturellement disparu chez des hommes qui s’y trouvent continuellement plongés.

    Le récit est mené sur un rythme varié, l’action alternant avec les moments de réflexion de Jared et de sa compagne Délia – dont il ne comprend pas le mystérieux pouvoir – lesquels s’efforcent d’ordonner progressivement en un ensemble cohérent ce qu’ils apprennent. Mais Daniel Galouye est trop habile pour découvrir tout son jeu d’un seul coup : à une énigme résolue succède un nouveau problème, et les pièces du puzzle ne se groupent pas toutes à la fois. C’est pourquoi la maladresse de la « prière d’insérer » est moins grave qu’on pourrait le penser de prime abord.

    Au point de vue purement narratif, on peut reprocher à l’auteur d’avoir notablement ralenti son action vers la fin de son roman. Après la découverte de la lumière, Jared piétine, recule même, et son accoutumance au monde nouveau sur lequel sa quête a débouché se déroule de façon hésitante, les points étant mis assez laborieusement sur les i. Cela est probablement dû à un scrupule de vraisemblance, louable en soi d’ailleurs : l’auteur tient à présenter l’« explication » selon la même perspective qui avait été utilisée pour l’« énigme ». Le rapprochement avec un roman policier n’est pas fortuit, ce passage de l’obscurité à la lumière pouvant évidemment être symboliquement interprété comme la recherche de la vérité derrière les « apparences » – c’est-à-dire derrière les messages des sens. Comme un auteur policier qui tient à soigner la vraisemblance de son récit, Daniel Galouye refuse d’escamoter, ou même d’abréger, les dernières phases de celui-ci. Lorsque le roman s’achève, Jared a déjà fait le pas décisif, il accepte d’entrer dans cette communauté nouvelle, qui vit en pleine lumière. À la recherche matérielle, l’auteur a tenu à ajouter l’avance psychologique.

    La traduction de Frank Straschitz est bonne, consciencieuse, et elle respecte le texte aussi bien que le rythme : ce que devrait en principe faire toute traduction. Comme cette généralité est très loin de correspondre à la réalité, il est juste de rendre hommage à un traducteur qui prend la peine de lire et de comprendre ce qu’il est chargé de rendre en français.

    Ce roman est le premier qu’ait signé Daniel Galouye. À la convention mondiale de science-fiction de 1962, il remporta la seconde place parmi les meilleurs romans de l’année, suivant immédiatement Stranger in a strange land de Robert A. Heinlein. Il y a gros à parier qu’il supportera le passage des années mieux que le roman de Heinlein, surchargé de fastidieux sermons. Ce Monde aveugle possède une homogénéité, une cohérence de structure et une netteté de narration qui lui confèrent cette qualité de vie qui marque la meilleure science-fiction. Daniel Galouye sait être minutieux sans devenir fastidieux.

Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/2/1964 dans Fiction 123
Mise en ligne le : 30/12/2023

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition DENOËL, Présence du futur (1999)

     Daniel Galouye (1920-1976) est l'auteur de trois romans extraordinaires : Le Monde aveugle, Les Seigneur des Sphères et Simulacron 3. Parcimonie ne veut pas dire médiocrité : comme Alfred Bester, lui aussi écrivain de trois romans uniques, Galouye n'aura donné que des chefs-d'œuvre à la SF classique. Il est donc heureux et salutaire que Denoël réédite cet admirable Monde aveugle. Rappelons simplement que le livre nous conte la vie des hommes qui, après l'Holocauste, sont devenus quasi aveugles, et se sont réfugiés sous terre. Avec tout ce que cela suppose de mythes et de croyances entretenus. Pourtant, et comme cela se révèle dans toute société, d'aucuns veulent « sortir » et découvrir autre chose. Et si, dehors... ? Avec Croisière sans escale de Brian Aldiss (PdF n°29), dont le thème est similaire, ce roman fut l'un de mes plus grands éblouissements de jeune lecteur SF : j'espère qu'il le sera également pour toute une nouvelle génération !

Bruno PEETERS
Première parution : 1/3/1999
dans Phenix 50
Mise en ligne le : 3/11/2003

Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Denoël : Catalogue analytique Denoël (liste)
Jacques Sadoul : Anthologie de la littérature de science-fiction (liste parue en 1981)
Denis Guiot & Jean-Pierre Andrevon & George W. Barlow : Le Monde de la science-fiction (liste parue en 1987)
Albin Michel : La Bibliothèque idéale de SF (liste parue en 1988)
Lorris Murail : Les Maîtres de la science-fiction (liste parue en 1993)
Denis Guiot, Stéphane Nicot & Alain Laurie : Dictionnaire de la science-fiction (liste parue en 1998)
Association Infini : Infini (1 - liste primaire) (liste parue en 1998)

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