Daniel F. GALOUYE Titre original : Lords of the Psychon, 1963 Première parution : New York, U.S.A. : Bantam, avril 1963ISFDB Traduction de Claude SAUNIER
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 87 Dépôt légal : 3ème trimestre 1965, Achevé d'imprimer : 15 septembre 1965 Première édition Roman, 236 pages, catégorie / prix : 6,15 FF ISBN : néant Format : 11,4 x 17,8 cm✅ Genre : Science-Fiction
• Ils se livrent à des massacres par sélection nominale,
• Ils préfèrent exercer leur "talent" sur les femmes enceintes et les enfants,
• Rien ne peut les vaincre, pas même les armes nucléaires...
Un très réel roman d'anticipation qui nous démontre comment l'univers psychique peut devenir l'arme la plus redoutable de l'avenir.
Critiques
Dans son premier roman, qui fut traduit dans la même collection sous le titre de Le monde aveugle, Daniel Galouye utilisait une idée fondamentale (l'humanité vivant dans des galeries souterraines où elle n'utilise pas le sens de la vue) et en tirait les conséquences logiques extrêmes dans un récit remarquablement cohérent. Dans ce récit légèrement plus récent, il a pris un thème familier à tout lecteur de science-fiction (celui de l'humanité souffrant sous la domination d'envahisseurs venus d'Ailleurs) et l'a traité d'une façon originale et, à plus d'un égard, mémorable. La réussite est peut-être moins impressionnante que celle du Monde aveugle, mais la domination des Sphères a un relief et une vraisemblance qui distinguent Galouye des tâcherons exploitant à la ligne des thèmes éprouvés.
En 1993, au début du récit, les survivants de l'humanité mènent des existences de réfugiés, sur une planète dominée par les Sphères. D'où viennent celles-ci ? Le contact avec elles n'a jamais été établi, depuis leur venue en 1977, et il ne l'est pas non plus, d'ailleurs, durant l'année couverte par le roman. Les Sphères ont édifié d'étranges « cités » de lumière, d'où elles sortent régulièrement pour chasser et tuer des humains qu'elles ont, selon des lots mystérieuses, « choisis ». Les raisons dictant ce choix, les causes du Jour de l'Épouvante – cet enfer qu'elles imposent à la Terre chaque année à date fixe, le 25 septembre – et, à travers ces causes, la nature de leur lieu d'origine, tout cela est progressivement découvert au cours du récit par le petit groupe que l'auteur place au centre de l'action.
Ce groupe est conventionnel : Il comprend surtout quelques militaires de l'armée américaine, qui résistent poussés par leur amour-propre au moins autant que par leur raison. Mais l'auteur a eu le mérite de n'y inclure aucun surhomme. Si le capitaine Geoffroy Maddox finit par triompher des Sphères, avec son petit groupe, c'est grâce à sa ténacité, au hasard qui lui permettra de comprendre quelques particularités des Sphères, et à son intelligence qui lui fera tirer le maximum de ce hasard. Ce côté non héroïque de la résistance – à l'opposé de celui dépeint par Robert Heinlein dans Sixième colonne – est un des apports intéressants, sinon nouveaux, de Galouye à son thème. Un autre, plus notable, est le caractère parfaitement extra-terrestre des Sphères : elles ne peuvent être décrites en termes empruntés à l'un des règnes de la nature, pas plus que leurs « cités » de lumière, et pourtant elles ont les unes et les autres une réalité presque sensible, colorée et vivante en tout cas. Devant de telles entités, Maddox et son groupe sont désemparés, et on les comprend. On comprend aussi que les Sphères aient pu inspirer un culte à des fanatiques ; et quoi de plus plausible que le désir d'affirmation manifesté dans ce monde désorganisé par de minables politiciens de province ?
Le titre original du roman est plus heureux que celui de la traduction française. En effet, les seigneurs en question sont les Sphères elles-mêmes ; et ces Sphères sont indubitablement les seigneurs du psychon. Ce dernier terme, inventé par un des personnages au cours du roman, désigne le « quantum d'énergie mentale ». Et c'est en réalisant les possibilités du psychon que Maddox et ses compagnons finiront par sauver la Terre. Un autre point à l'actif de l'auteur, à ce sujet : cette découverte est présentée de manière plausible, elle est graduelle, hésitante, inquiète parfois. Maddox ne comprend pas toujours parfaitement les possibilités de l'énergie mentale, et il lui arrive de s'en servir mal. Là encore, le lecteur se dit que c'est bien ainsi que les choses se passeraient en réalité.
La traduction de Claude Saunier est attentive, et le livre en valait assurément la peine. Ce roman confirme que Daniel Galouye pourrait bien être, avec Walter Miller et quelques autres, un des meilleurs auteurs de science-fiction nés il y a quarante ou quarante-cinq ans, et venus assez tardivement au genre (par opposition à Asimov et à Anderson, par exemple, qui appartiennent à la même génération, manifestent des qualités au moins aussi marquées, mais sont de « vieux professionnels »). Ceux qui ont aimé Le monde aveugle ne seront pas déçus par ce nouveau roman qui montre cette fois, chez son auteur, un pouvoir assez rare de visualiser les scènes qu'il décrit.
« L'esprit inventif de l'homme avait rêvé des monstres grotesques au-delà de toute description (...) Mais personne n'avait jamais imaginé, la plus grande de toutes les horreurs, la surface unie, insondable, irisée, malveillante, d'une simple Sphère. » Et de fait, cette invasion est d'autant plus difficile à contrer que les hommes ne comprennent rien à leur adversaire, qui choisit des victimes humaines sans rime ni raison, ni à leurs villes faites de cubes, cônes et pyramides échappant à toutes les lois de la physique. Pire, chaque année, au 25 septembre, se déclenche l'Horreur, un phénomène qui terrorise l'humanité : à d'atroces nausées s'ajoutent des visions perturbantes.
Au petit groupe, rationnel, de civils et militaires qui tentent de comprendre cette invasion, s'oppose une secte de fanatiques persuadée que le Jugement Dernier a commencé. Maddox et son équipe comprendront progressivement le fonctionnement des Sphères, jusqu'à détourner à leur profit l'énergie mentale du « psychon » dont ils apprennent progressivement à se servir, et à empêcher le transfert de la planète dans un autre système solaire, ce que semblent préparer les phénomènes annuels.
L'intérêt de ce roman est de montrer le désarroi dans lequel l'humanité peut être plongée face à ce qu'elle ne comprend pas. Maddox n'élucide pas les mystères des Sphères en scientifique mais procède par tâtonnements, sans jamais entièrement comprendre les forces à l'œuvre ou la meilleure façon de procéder. Quant à l'origine des Sphères, leur nature, les questions resteront sans réponse.
On reconnaît là chez Galouye la quête du sens et de la nature, qui montre l'homme confronté à ce qui le dépasse. S'il a peu écrit, ses romans comme Simulacron 3, Le monde aveugleet celui-ci restent de petits chefs-d'œuvre constitutifs du patrimoine de la S-F.