Si
Le jour du minotaure est logiquement le dernier tome d'une trilogie, il fut écrit avant les deux autres volumes et peut donc se lire tout à fait indépendamment. Lors de sa précédente parution, dans la collection
Aventures fantastiques des éditions Opta — sous le titre
Au temps du minotaure —, ce roman m'avait durablement impressionné par son ton frais et poétique.
Sa redécouverte dans une traduction plus complète est donc un véritable plaisir.
L'intrigue est toute simple : au cours d'une guerre, deux enfants crétois trouvent refuge dans une forêt peuplée de Bêtes telles que dryades, centaures et — un seul ! — Minotaure. Les Achéens lancés à leur poursuite menacent de détruire ce fragile univers...
Sur le mode du récit mythologique, Thomas Swann livre ainsi un conte dont il est difficile d'expliquer la magie. Sous son apparente simplicité, il nous renvoie à beaucoup d'images et notamment à celle d'une sorte de paradis perdu : un monde hors du temps, innocent et paisible, qui respire la sagesse et l'harmonie.
Les Bêtes ne sont pas pour autant ennuyeuses. Une grande liberté sexuelle règne, mais celle-ci est joyeuse, car l'amour est dénué de toute notion de péché ou de perversité. On y exhibe des bijoux, mais pour le plaisir des yeux et non par vanité. On tue aussi, mais uniquement pour se nourrir, sans haine ni sauvagerie.
Décrite ainsi, l'imagerie peut paraître naïve... Il n'en est rien. La surprise vient justement de la façon dont Swann parvient à nous décrire des créatures véritablement « pures » sans aucune mièvrerie... La pureté vient non pas de l'absence de vice, mais de l'absence de haine et de peur.
En pénétrant dans la forêt éternelle, le lecteur ressent profondément la sérénité du lieu et en ressort enchanté, comme s'il avait entraperçu un moment un monde meilleur mais possible, comme s'il s'était désaltéré à une source magique.
A côté, les hommes paraissent évidemment vils, mesquins, brutaux... bestiaux, serait-on tenté de dire ! Mais Swann ne cherche pas à forcer le trait : il décrit les hommes tels qu'ils sont, et c'est le contraste avec la douceur des Bêtes qui nous accable.
«
Tu parles crétois ? », s'étonne le jeune Icare lors de sa première rencontre avec le Minotaure. «
Sache que c'est mon peuple qui a enseigné ta langue aux tiens, il y a bien des siècles de cela », répond — non sans ironie — la Bête. Car la sagesse de ces créatures vient aussi de leur grand âge. L'homme est alors une espèce toute jeune, appelée à succéder aux Bêtes qui connaissent leur crépuscule. Ce sentiment d'assister aux derniers jours d'une race ancienne est sans doute aussi pour beaucoup dans la fascination que provoque le conte.
Ecrit avec grâce, délicatesse et sensibilité — par un poète bucolique qui n'est autre que le Minotaure lui-même —,
Le jour du Minotaure est une oeuvre envoûtante qui à l'étrange faculté de mettre de bonne humeur. Thomas Burnett Swann s'y révèle un auteur original et particulièrement attachant, occupant une place unique en fantasy. Il serait temps que son oeuvre soit enfin disponible en France.
Pascal PATOZ (lui écrire)
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