Arthur C. CLARKE Titre original : The Songs of Distant Earth, 1986 Première parution : États-Unis, New York : Del Rey / Ballantine Books, mai 1986 / Angleterre, Londres : Grafton, 1986 (expansion d'une nouvelle du même titre, If Magazine (US) juin 1958)ISFDB Traduction de France-Marie WATKINS Illustration de Michael WHELAN
ALBIN MICHEL
(Paris, France) Dépôt légal : juin 1986, Achevé d'imprimer : mai 1986 Première édition Roman, 312 pages, catégorie / prix : 89 FF ISBN : 2-226-02675-4 Format : 15,5 x 24,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Thalassa, quelques îles seulement dans un océan tiède couvrant toute la planète, était un véritable paradis, une des petites colonies fondées des siècles plus tôt par des Vaisseaux-Mères robots. L'humanité avait tout juste réussi à fuir avant que le soleil se transforme en nova et détruise le système solaire.
La population de Thalassa était heureuse, consacrée à bien vivre dans son monde merveilleux. Hypnotisés par la beauté de Thalassa, comblés par ses vastes ressources, les colons étaient totalement inconscients du monumental événement révolutionnaire qui se déroulait lentement sous leurs mers.
Mais le bonheur idyllique de Thalassa allait être brisé par l'apparition sur orbite du Magellan, un vaisseau spatial géant transportant, en hibernation, un million de réfugiés des tout derniers jours de folie de la Terre.
L'auteur de 2001 : L'Odyssée de l'Espace et de 2010 : odyssée deux est au mieux de sa forme lyrique dans ce récit évocateur de la vie sur une planète paradisiaque, de l'affrontement de deux cultures différentes et du premier contact de l'homme avec une intelligence radicalement autre.
Le Magellan, vaisseau de colonisation interstellaire, fait halte sur la planète aquatique Thalassa, parce qu'il a subi une avarie en cours de route et doit se « recharger » en glace pour reconstituer son bouclier contre les poussières cosmiques. Un jeune ingénieur, Léon, entame un romantique amour avec Lora, une Lassane. Mais le Magellan doit repartir et, chacun sa colonie, Lora ne peut suivre Léon, dont la femme, enceinte, dort à bord dans son cercueil de cryogénie. Et c'est en voyant le corps endormi de sa « rivale » que Lora comprend que sa place n'est effectivement pas dans le vaisseau.
Ce résumé ne concerne pas Chants de la Terre lointains mais « la première version de ce roman, une nouvelle de 12500 mots, écrite entre Février et Avril 1957 et publiée dans IF MAGAZINE (USA) de Juin 1958... » Ainsi parle Clarke, et j'ajoute qu'on peut lire ce texte dans le recueil L'étoile, publié en 1979 chez J'ai Lu (mais ne correspondant pas à un recueil original anglais ou américain). Il est donc intéressant de comparer nouvelle et roman, pour voir ce que l'auteur a changé ou ajouté : on sait que son roman le plus célèbre 2001, a pour base la nouvelle La sentinelle... En fait, la transformation est totale ; Clarke n'est pas van Vogt, qui allonge ses textes par ajouts successifs, en laissant inchangées la ou les nouvelles de base. Seul dans le roman le cadre demeure : Thalassa, colonie heureuse, brusquement tirée de sa quiétude (qui est plutôt une torpeur) par l'arrivée du vaisseau géant Magellan, qui ne compte pas moins de un million de Terriens endormis dans ses flancs...
Clarke a dramatisé fortement son postulat : la colonisation stellaire s'est faite poussée par une nécessité impérieuse — le soleil est devenu nova, la Terre vient d'être calcinée, et le Magellan est le dernier vaisseau à en être parti (alors que les colons de Thalassa sont depuis trois siècles sur le monde marin). C'est de ce postulat que Clarke tire ses plus belles pages (qui font écho au dernier chapitre des Enfants d'Icare), et de nombreuses notations annexes, toujours bienvenues : ainsi du sort des livres religieux aussi beaux et célèbres que les Veda, la Bible, le Coran, qui n'ont pas trouvé place dans le Magellan, parce que, « on ne pouvait leur permettre de réinfester des planètes vierges avec les anciens poisons des haines religieuses, de la croyance au surnaturel et tout le pieux jargon qui avait jadis réconforté d'innombrables milliards d'hommes et de femmes, au prix de leur raison » (p. 148)
Une autre innovation importante est la présence dans l'unique océan de Thalassa d'une race de créatures caparaçonnées, les Scorps, qui portent en eux les germes de l'intelligence. Et un troisième ajout, plus anecdotique, concerne les « Sabras », minorité active atteinte du « syndrome du Bounty », et qui voudrait bien rester sur ce paradisiaque Thalassa au lieu de continuer un voyage de trois siècles vers Sagan deux, dont les conditions sont celles de Mars... Mais, autant Clarke a été prolixe et inspiré concernant la fin de la Terre, autant il reste dans le schématique et le flou pour ce qui est de ces deux thématiques. On comprend que, voulant lester son roman d'un bon poids d'humanisme (les coloniaux sont des hommes raisonnables, et aucun conflit grave ne peut surgir entre eux), l'auteur ait fait tourner court la mutinerie. Il est plus inexplicable qu'il n'ait fait que survoler le problème de la rencontre avec une intelligence extra-terrestre, qui est pourtant SA grande thématique. Peut-être a-t-il jugé qu'il avait déjà donné ? Pourtant une phrase, et une seule, en tout fin du roman (p. 295) laisserait entrevoir de futurs conflits entre les Scorps et les Lassans... Clarke préparerait-il une suite ? Ce serait amusant car il déclarait déjà à la parution des Fontaine du paradis, il y a dix ans, que c'était là son ouvrage ultime. Il a récidivé deux fois depuis, alors...
Alors goûtons sereinement ces Chants..., qui ne sont sans doute pas du meilleur Clarke (cela n'existe plus depuis longtemps), mais qui ne valent pas les commentaires dédaigneux que j'ai pu lire à leur sujet dans la « grande presse » : le vieil îlien a sans doute perdu quelques dents, mais pas son charme de conteur, apte à vous bercer de biens jolies légendes du futur, comme celle-ci.
En dépit d'une production pléthorique, je n'avais jusqu'à présent trouvé chez Milady aucun livre qui me fasse envie. La tétralogie de Peter F. Hamilton m'avait bien un temps tenté mais l'expérience de L'Aube de la nuit refroidit fissa cet embryon enthousiasme. Milady est un label de Bragelonne et cette réédition d'un roman relativement récent de sir Arthur C. Clarke s'inscrit dans une tendance intéressante chez cet éditeur. Depuis quelques temps, Bragelonne a entrepris un travail patrimonial tant sur la S-F que sur la fantasy. Ainsi « Les Trésors de la SF », collection dirigée par Laurent Genefort, qui se consacre à une S-F très populaire faisant revivre, entre autres, quelques-uns des meilleurs romans du Fleuve Noir « Anticipation ». Par ailleurs, après « Le Cycle des Epées », chef-d'œuvre de Fritz Leiber, un très beau travail est en cours sur Robert E. Howard, auteur que l'on peut considérer comme le père de l'heroic fantasy. Citons encore les fameux « Livres de sang » de Clive Barker pour montrer que l'horreur dont ces recueils constituent l'un des plus prestigieux fleurons n'est nullement négligée. C'est dans ce contexte que Milady se voit mis à contribution pour une édition de ces Chants de la Terre lointaine simultanée avec L'Odyssée du Temps, co-signée par Clarke et Stephen Baxter (Bragelonne).
Sir Arthur C. Clarke n'a jamais été un grand écrivain, mais il est peut-être, entre tous, celui qui incarne le mieux la science-fiction. Les Chants de la Terre lointaine n'est pas non plus un de ses chefs-d'œuvre qui, à mon sens, sont au nombre de trois : La Cité et les astres,Les Enfants d'IcareetRendez-vous avec Rama. Chants de la Terre lointaine est le développement d'une nouvelle disponible dans le recueil L'Etoile (J'ai lu) sous le curieux titre « Les Sons de la Terre lointaine ».
S'il repose sur un fond dramatique à souhait (la mort de la Terre), le roman de Clarke est au contraire tranquille, jalonné tout au plus d'incidents relevant du fait-divers. A aucun moment l'auteur ne joue si peu que ce soit la carte du thriller. Le premier (et dernier) astronef interstellaire à poussée quantique, tirée de l'énergie du vide, doit faire escale sur Thalassa pour reconstituer son bouclier de glace usé par l'abrasion des atomes errant dans l'espace avant de poursuivre sa route. Thalassa a cependant déjà été colonisée car la Terre — dont la condamnation à mort était connue depuis des siècles, pour cause de nova du Soleil — a lancé de nombreuses stations automatiques chargées de matériel génétique humain et terrestre, comme autant d'arches de Noé, ainsi que de quoi redémarrer la civilisation. Sur Thalassa, une culture paisible, tournée vers la mer mais néanmoins évoluée, a donc vu le jour, et s'est développée sur les trois seules îles de la planète. Une poignée de péripéties vient à peine troubler cette escale (le roman aurait pu porter ce dernier mot comme titre) où tout ou presque se déroule comme prévu et nous laisse quelque peu sur notre faim.
Chants de la Terre lointaine ne passionne ni n'engendre une lecture frénétique et pourtant, sans recourir à quelque tension dramatique, sir Clarke parvient à nous intéresser du début à la fin. Voilà une bonne occasion de profiter, sans qu'il y ait lieu de crier au génie, d'un roman qui, somme toute, méritait d'être à nouveau à la disposition des lecteurs.
Sur Thalassa, petite colonie fondée sept siècles auparavant par un vaisseau-semeur dans l’espoir que des humains survivent à la mort de la Terre, les habitants mènent une vie sereine, indolente même. Parce qu’il y a d’autres choses plus importantes, ou simplement plus amusantes à faire, la grande antenne parabolique permettant les communications très longues distances attend depuis quatre cents ans d’être réparée et le réseau de communication locale n’est jamais opérationnel à plus de 95%. « Les ingénieurs appelaient cela une élégante déchéance, une expression qui, déclaraient quelques cyniques, décrivait assez exactement le mode de vie lassan. » Mais voilà le temps du changement.
De l’espace surgit le Magellan, vaisseau transportant un million de rescapés choisis parmi les dix millions d’habitants qu’abritait la Terre avant d’être balayée par l’explosion de son Soleil. Thalassa ? Une étape prévue de longue date, nécessaire à la réparation de son bouclier d’ablation (en glace) érodé, avant de rejoindre une planète hostile qu’il reste à terraformer. Pendant ce temps, dans l’immense océan encore à explorer faute d’assez de volontaires, des ancres disparaissent et des nasses métalliques sont détruites. Ces deux événements vont être à la source de bien des découvertes.
Les Chants de la Terre lointaine peut se lire comme une histoire de premières rencontres, entre Terriens et Lassans tout d’abord, puis entre humains et Scorps, espèce de scorpions géants peuplant les fonds océaniques. Fascinés par le métal qui leur tombe du ciel, ils pourraient bien être une espèce extraterrestre intelligente en devenir avec laquelle les Lassans devront composer. C’est aussi l’histoire d’une rencontre amoureuse entre Mirissa, jeune Lassane dont l’esprit brillant trouve trop rarement d’interlocuteur à sa hauteur, et Loren, ingénieur capitaine de corvette.
Mais c’est peut-être plus encore l’histoire de la rencontre entre Mirissa et Kaldor, vieux philosophe qui pleure la mort de sa femme sur Terre. Fruit d’une expérience éducative contrôlée, la population de Thalassa constitue un fascinant terrain de jeu et Mirissa un parfait sujet d’étude autant qu’une confidente. Élevés pour les premiers d’entre eux par des machines sans aucun contact avec des Terriens, leur accès au savoir a été délibérément dirigé et les Lassans disposent d’une bibliothèque au contenu sélectionné avec soin : riche en connaissances scientifiques, dotée des ressources utiles pour développer une pensée rationnelle et la démarche scientifique, elle ne contient aucune œuvre religieuse ou en rapport avec la violence et « les passions destructrices ». Ces conditions ont-elles faits d’eux des athées ? Quel impact cette éducation et cet environnement ont-ils sur le développement de leur art, de la littérature et de la science ? Quel rapport au corps et au politique entretiennent-ils ? Quels éléments culturels présents dans le vaisseau leur transmettre ? Faut-il limiter les perturbations culturelles ou au contraire insuffler des idées nouvelles ? Que leur répondre à la question « qu’est-ce que Dieu ? »
Une histoire d’amour, une tragédie, une rencontre extraterrestre, un ascenseur spatial, une réflexion sur le rôle de l’éducation et de l’environnement sur la formation d’une société et son rapport au religieux, à l’art, aux sciences, une mutinerie, un concert d’adieu des terriens « pour rappeler le passé et donner de l’espoir pour l’avenir »… Clarke nous sort le grand jeu. Et quand Manchu se met de la partie pour la réédition du roman chez Milady, inutile de résister : vous n’avez pas encore ouvert Les Chants de la Terre lointaine que vous êtes déjà sur Thalassa, cette planète bleue d’une beauté tranquille devant laquelle un vaisseau majestueux reçoit les premiers rayons d’un soleil inconnu. Est-ce un air de valse que j’entends au loin ?
Estelle BLANQUET Première parution : 1/4/2021 Bifrost 102 Mise en ligne le : 11/10/2024