Les lecteurs de Ray Bradbury savent déjà que le grand écrivain américain de science-fiction est non seulement romancier et nouvelliste, mais aussi poète et dramaturge. Ils connaissent Café irlandais, Théâtre pour demain... et après, ils ont peut-être assisté à l'une des nombreuses représentations de La Savane. Sans doute n'ignorent-ils pas non plus que l'auteur des Chroniques martiennes est en train de s'attaquer à un opéra. Ils découvriront ici trois pièces : La Colonne de feu, Kaléidoscope (tirée d'une nouvelle publiée dans L'Homme illustré) et La Corne de brume (d'après une nouvelle intitulée La Sirène et incluse dans Les Pommes d'or du Soleil).
1 - Introduction (Introduction, 1975), pages 13 à 22, introduction, trad. Jacques LEGRIS 2 - La Colonne de feu (Pillar of Fire, 1975), pages 25 à 110, théâtre, trad. Jacques LEGRIS 3 - Kaléidoscope (Kaleidoscope, 1949), pages 113 à 148, nouvelle, trad. Jacques LEGRIS 4 - La Corne de brume (The Fog Horn, 1975), pages 151 à 173, théâtre, trad. Jacques LEGRIS
On connaît l'attirance de Ray Bradbury pour le théâtre. « C'est par lui que j'ai commencé, dit-il en introduction à Théâtre pour demain... et après1, et il est probable que c'est avec lui que je terminerai ma vie ». En attendant Leviathan 99, opéra dont Bradbury écrit le livret 2 et qui devrait être présenté cette année à Paris en première mondiale, voici donc un nouveau recueil de pièces en un acte, venant s'ajouter au Théâtre pour demain... et après déjà cité et au savoureux Café Irlandais 3.
Lire du théâtre est une gageure, car une pièce ça se voit, ça s'entend, ça se monte, ça se met en scène... Ou alors il faut faire tout ça dans sa tête, brosser les décors et dresser les tréteaux, diriger d'imaginaires acteurs, fantasmer la mise en scène... D'où la difficulté d'émettre un quelconque avis, une pièce ne pouvant être jugée que sur les planches et... sur pièces. Essayons cependant.
Réveillé par la corne de brume d'un phare, un dinosaure émerge des profondeurs océanes. Tel est le sujet de La corne de brume 4, sujet parfaitement adapté pour la scène car le fantastique, c'est bien connu, prenant sa source dans le caché, se nourrit plus de mots que de carton-pâte. Une sobre et poétique méditation sur la solitude et le besoin d'amour.
Par contre, Bradbury n'atteint pas la même réussite, il s'en faut même de beaucoup, avec Kaléidoscope. D'une nouvelle émouvante 5 contant les derniers instants de l'équipage d'une fusée projetée dans l'espace telle une douzaine de goujons frétillants par le choc avec une météorite et se parlant par radio (voix d'enfants dans la nuit froide), Bradbury n'a tiré qu'une pièce insipide où le ridicule des dialogues n'a d'égal que leur aspect conventionnel.
A moins qu'une mise en scène géniale...
Mais l'essentiel du recueil c'est La colonne de feu, pièce dont le thème est cher au coeur de l'auteur puisqu'elle met en scène la lutte de Lantry contre tous ceux qui veulent ligoter l'imaginaire et aseptiser l'homme, en lui brûlant ses livres et assassinant son enfance. Lantry est le frère de Montag, et des bribes de Farenhelt 451 comme d'Ushar II viennent flotter entre les répliques.
Une pièce que l'on aimerait voir montée... Par le Truffaut de Farenhait 451, par exemple.
Notes :
1. Paru en Présence du Futur et comprenant Le merveilleux complet couleur glace a la noix de coco. Destination : le cratère de Chicago et la fameuse Savane. 2. D'après le roman, de même titre, qu'il est en train de finir. C'est Moby Dick dans l'espace, confie-t-il à Philippe Curval, « l'histoire d'une grande comète blanche qui traverserait l'univers » (Interview parue dans Futurs n° 3). Faut-ll préciser que c'est Bradbury qui avait écrit le scénario, d'après Melville, du Moby Dick de John Huston, tourné en 1956 ? 3. Paru chez Denoël et comprenant Le grand télescopage de lundi dernier, la première nuit du Carême, Au plus clair de la brume irlandaise et Les sprinters de l'Hymne national, quatre comédies ayant l'Irlande pour thème, pour cadre et pour âme, inspirée de l'expérience irlandaise de Bradbury, lors du tournage de Moby Dick. 4. Tirée de La sirène, parue dans Les pommes d'or du soleil(Présence du Futur). Cette nouvelle a aussi servi d'argument au film d'Eugène Lourié, Le monstre des temps perdus. 5. Parue dans L'homme illustré (Présence du Futur).