Après une prise de contact très succincte avec le théâtre de l'action et les deux personnages-clefs de l'histoire, s'instaure rapidement le conflit idéologique tripartite qui alimente l'intrigue de La Grande Guerre des Bleus et des Roses.
D'un côté, la féminité représentée par la Femmocratie pure et dure (la Sororité, les lesbos, la fleur désigne le sexe de la femme, le braquemart celui de l'homme...). De l'autre, la masculinité qui s'abrite dans le giron de la Science Trancendantale (les machos, l'émotivité féminine est considérée comme une tare, les femmes au foyer, les hommes à l'Institut des Sciences Trancendantales !..). Et au milieu, à la fois subjuguée et horrifiée par ces deux extrêmes, la planète Pacifica où règnent depuis trois siècles une paix solide, une égalité subtile et un amour atavique entre les sexes. Les pacificains, dit les Buckos, font la loi au lit. Les pacificaines occupent une place prépondérante au sein du gouvernement et détiennent un rôle économique et politique de premier pian.
L'arrivée quasiment simultanée du vaisseau des Trancendantaux et de celui des Femmocrates sème la zizanie dans l'édifice pacificain en lézardant son fragile équilibre psycho-sexuel.
La présidente de Pacifica, Carlotta Madigan, et le ministre des médias. Royce Lindblad, son amant, vont tout faire pour jeter tout le monde dehors. Mais les basses idéologies prônées par le Phallofascisme et par le Vaginofascisme vont brouiller les cartes et provoquer l'apparition de clivages artificiels dans la population pacificaine.
Dans ce contexte chaotique sordidement entretenu, « Pacifica aux Pacificains ! » ne fait-il pas déjà figure de slogan mort-né ?
Dans ce roman tonitruant, Spinrad n'a pas lésiné sur les contrastes ; souvent violents, plus souvent encore simplistes. Comme dans Jack Baron et l'Eternité, il met en scène le pouvoir des médias, mais de manière beaucoup moins originale, et donc moins convaincante. Certes, les médias-blitz les plus ahurissants se succèdent. Certes, la propagande est reine. Mais les clichés marchent au pas qui forment légions. L'affrontement tourne à la caricature et c'est un peu dommage. Le Machisme contre le Lesbianisme, le M-L-F cosmique contre la société patriarcale des savants ; il n'y a là rien de nouveau, sinon peut-être Pacifica qui est présentée par l'auteur comme un modèle valable et possible.
Cette réédition d'un roman tout à fait acceptable, bien conçu et savamment rythmé, ne s'imposait peut-être pas mais n'aura pas été inutile ; en particulier pour ceux à qui elle aura permis de découvrir Norman Spinrad. Ceux-là n'ont plus qu'à se jeter sur Rêve de Fer, sur Jack Baron et l'Eternité, ainsi que sur les fabuleuses nouvelles de l'auteur réunies dans Au cœur de l'orage et dans le Livre d'Or que lui a consacré Patrice Duvic aux Editions Presses Pocket.
Éric SANVOISIN
Première parution : 1/2/1986 dans Fiction 371
Mise en ligne le : 14/12/2003