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Le Businessman

Thomas Michael DISCH

Titre original : The Businessman, 1984
Première parution : Harper & Row, juin 1984
Traduction de Alain DORÉMIEUX
Illustration de Gérard DUBOSCQ

DENOËL (Paris, France), coll. Présence du futur n° 377
Dépôt légal : mars 1984
Première édition
Roman, 254 pages, catégorie / prix : 8
ISBN : 2-207-30377-2
Format : 11,0 x 18,0 cm
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
     Ce businessman, c'est Robert Glandier, cadre falot pesamment atteint par la quarantaine, qui un jour de ras-le-bol est allé étrangler sa femme enfuie du domicile conjugal pour aller s'éclater à Las Vegas... Or voilà qu'un an plus tard, la défunte épouse de réveille de sa tombe et revient le hanter dans un détestable esprit de vengeance. C'est ainsi que débute cette grand-guinolesque et sulfureuse histoire de fantômes et de réincarnations, cet incroyable pasticle de roman d'horreur gothique tout dégoulinant d'hémoglobine, qui est surtout un flambant pamphlet anti-crétinisme.
Critiques
     On savait, bien sûr, Thomas Disch écrivain inclassable, irrédictible, iconoclaste. Avec ce nouveau roman, il prouve une fois de plus la justesse de ce sentiment. (Et le contraire ? Car se classer dans l'inclassable...)
     Que dire d'un tel livre ? Robert Glandier, l'homme d'affaires du titre, a assassiné sa femme dans un motel de Las Vegas. Mais elle se réveille dans sa tombe et doit revenir le hanter. C'est le début d'un itinéraire où le burlesque le dispute au tragique pompier voulu, et qui possède à première vue les caractéristiques de ces romans d'horreur dont les Anglo-Saxons (et même quelques Français, si, si, j'en connais) se montrent si friands en nos jours de crise : les péripéties nombreuses de cette sombre histoire renvoient aux feuilletonistes français de la fin du XIXe siècle, et morts sanglantes, possessions, démons, fantômes, oui-ja et phénomènes parapsychiques y abondent. On visite même l'antichambre du paradis !
     La forme elle-même du roman contribue encore à le distancier, renforçant un phénomène à l'œuvre quand on prend conscience de l'hénaurme accumulation orchestrée par Disch. Alors que les faiseurs d'horreur préfèrent ménager de lentes montées vers des climax horribles, Disch bâtit son livre en chapitres courts, ramassés. D'où ce puzzle éblouissant de maîtrise, succession de moments forts qui ne laissent pas une seconde de répit.
     Evidemment, l'humour noir de l'écrivain éclate partout. Les clins d'œil à une culture de masse infantilisante (notamment à la télévision, un cheval de bataille pour Disch) se multiplient. Rien n'est épargné. Je recommande tout spécialement l'apologie des œuvres de John Norman, page 36, pour voir jusqu'où l'on peut aller dans le cynisme caustique.
     Alors, roman-pastiche ? Oui. Pas seulement mais... oui. D'ailleurs, Disch se pastiche lui-même, lui qui a écrit deux sombres histoires d'horreur, Le chat noir et Le fœtus, qui figurent dans L'homme sans idées (Denoël, PdF) et que l'on retrouve, transfigurées, dans ce roman. Peut-être le personnage de Robert Glandier, obèse, est-il un double fantasmatique de l'auteur ?
     Toutefois, il serait trop simple de réduire Le businessman à un simple exercice de style racoleur — pour profiter de la vogue de l'horreur. Il contient, souvent entre les lignes, la thématique habituelle à Disch, ses longues digressions philosophiques sur la poésie, l'écriture, l'art, la métaphysique, la religion et sa perception ordinaire, la réalité fluctuante, l'objectif et le subjectif, etc. Il n'est pas non plus innocent que le seul personnage épargné lorsqu'on en arrive au bout du livre, soit Bing, l'homosexuel. Il va tirer du jeu une gigantesque épingle financière grâce à laquelle il compte financer les mouvements homosexuels de Saint-Paul, ville où « il y a eu il y a quelques années un référendum sur leurs droits civils, d'où il a résulté qu'ils n'en avalent aucun. » (p. 245)
     Enfin, c'est aussi un grand livre sur l'Amérique contemporaine en crise, sur l'ère Reagan et des gens déboussolés par des manières de vivre et de penser contradictoires, auxquelles ils ne parviennent pas à adapter un esprit habitué à l'immobilisme. Comme le dit le quatrième de couverture, c'est vrai, ce livre est un pamphlet contre le crétinisme. L'écriture est remarquable. La traduction, signée Alain Dorémieux, l'est aussi.
     Bref, ce roman résolument différent réjouit, obsède et inquiète, et parvient au bout de tous ses buts ; le moindre n'étant pas de démonter les mécanismes de la littérature horrifique. Humour noir garanti.
     Vous reprendrez bien un peu de fluide glacial ?

Pierre-Paul DURASTANTI (lui écrire)
Première parution : 1/6/1984 dans Fiction 352
Mise en ligne le : 1/6/2006


     334 explorait la vie de notre proche futur sous l'angle d'une quotidienneté dont l'apparente banalité faisait ressortir les arêtes dramatiques. Cette exploration du comportement social de l'être humain est au coeur de l'œuvre de Thomas Disch. Et voici un livre qui peint la province américaine, celle des hypermarchés et des Cadillacs rose bonbon. Comme un cliché. Mais cette vie provinciale nous est offerte d'un point de vue guère usité, et tout bascule.
     Pour tout dire : Le businessman est une histoire de fantômes et de survie après la mort. Surprise. La conception même de l'existence d'un au-delà paraissait devoir être étrangère à la réflexion de Disch, paroxysme du pessimisme considéré une œuvre d'art ! Il ne s'agit bien entendu pas de n'importe quel au-delà, et ce qui nous est dépeint du paradis dans ce roman doit peu à l'imagerie sulpicienne, qui connaît peu de salles d'attente et d'escalators... N'empêche, tout au long de l'ouverture du récit, qui narre parallèlement les journées mesquines de Robert Glandier et l'accession à la condition de revenant de Giselle, son épouse assassinée par lui, on se prend à chercher ce qui se cache sous les apparences. Disch écrivant un roman fantastique, s'attaquant au thème le plus éculé qui soit ? Evidemment non, il ne s'agit pas d'un récit « classique » ; évidemment non, le thème du fantôme n'est pas ici « célébré » ! On lit directement comme signes de faux-semblant cette peinture du septième ciel issue de l'imaginaire petit-bourgeois U.S. : l'accès au paradis grâce à l'escalator d'un grand magasin — d'autant que cet instrument est d'ordinaire plutôt maléfique chez Disch (citation, p. 97 : pour descendre, affiche une enseigne, titre donné jadis par Dorémieux à la nouvelle Descending, Dorémieux qui a traduit également ce roman-ci).
     On peut avancer que Disch prend l'exact contre-pied de la tradition, et livre de la sorte un roman qui n'est plus guère « fantastique », au sens où le sous-entend l'étiquette. Le fantôme classique, en effet, hante sans se poser de questions. Chez Disch, nulle volonté de revanche chez Giselle vis-à-vis de son mari : elle ne choisit pas de le hanter, c'est plutôt Robert Glandier qui l'appelle à lui parce qu'elle continue de l'obséder. Le remords comme énergie créatrice de revenants ? Dans Le businessman, Giselle accrochée à Glandier est la tourmentée principale, qui préférerait l'oubli. Dure condition que celle de fantôme — et revoici le pessimisme de l'auteur, qui mène en fait à son dernier stade révolution de sa vision de la vie : même après la mort, on ne peut trouver la sérénité. Le fantôme dischien ne dispose d'aucune liberté ; pire : il affronte des tourments inimaginables. Giselle ectoplasmique se fait engrosser et accouche ( !) d'une « chose » qui n'appartient ni à la vie ni à la mort, animée d'une volonté destructrice qui englobe sa mère. (Disch ne recule pas devant les effets de Grand-Guignol. La scène où le foetus s'échappe du ventre de sa mère en écartant des deux mains l'incision pratiquée au couteau à éplucher semble extraite de It's alive.)
     La réalité, dans tout ceci ? Le businessman questionne le statut du « réel » : tout n'est qu'apparence, nous répète-t-on. A la page 194, à la fin d'un roman qui a pris pour toile de fond son existence implicite, le paradis lui-même se fissure : « On pourrait presque dire que le paradis n'est rien de plus qu'un fantasme, » affirme une protagoniste qui sait de quoi elle parle, portière de ce fantasme... Le paradis comme fantasme ? Il y a du Dick là-dessous. Ou même, carrément, du Schopenhauer. Les fantômes dischiens, qui se meuvent avec la plus parfaite logique dans leur monde (et le nôtre), ne sont même pas certains de l'essence de leur univers.
     Le businessman ne serait encore rien s'il n'y avait, courant à travers tout cela, ce que Disch nous a appris à goûter dans plusieurs nouvelles (voir son dernier recueil) : un formidable humour, une satire grinçante, une ironie dévastatrice. Et le caractère de compassion humoristique dans le regard posé sur les êtres, qui semble une caractéristique anglo-saxonne, finit par donner aux personnages les plus désagréables (tel Glandier) une apparente sympathie dans leur désarroi. Voilà qui est neuf, et tempère quelque peu le pessimisme de l'écrivain. L'enfer est une salle de bains. Quelle horreur !

Dominique WARFA (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/6/1984 dans Fiction 352
Mise en ligne le : 1/6/2006

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