Ann RADCLIFFE Titre original : The Mysteries of Udolpho, 1794 Première parution : Londres, Royaume-Uni : G.G. and J. Robinson, 1794ISFDB Traduction de Jacques STERNBERG Illustration de KELECK
« Ann Radcliffe, dont les romans fameux mirent à la mode la terreur et le suspense, renouvela le domaine du macabre et de la peur en ajoutant au harnachement gothique familier à ses prédécesseurs un sens authentique du surnaturel dans le décor et dans l'action, contribuant parfaitement à créer le sentiment d'épouvanté insondable qu'elle se proposait d'atteindre. Les détails sinistres, tels une trace de sang sur les marches du château, un gémissement sorti d'une voûte profonde ou le chant d'une sorcière dans la forêt durant la nuit, suscitent chez elle les plus impressionnantes images d'horreur...
Ann Radcliffe écrivit six romans dont le plus célèbre est Udolpho, qui peut être considéré comme le modèle du jeune roman gothique. Il montre l'histoire d'Emilie, jeune Française qui vient habiter un vieux château à l'aspect inquiétant, dans l'Apennin, après la mort de ses parents et le mariage de sa tante avec le seigneur du château — un noble intrigant — , Montoni. Bruits mystérieux, portes qui s'ouvrent toutes seules, légendes effrayantes, une chose horrible et monstrueuse, dissimulée dans une niche, derrière un voile noir, tout concourt à détruire rapidement le courage d'Emilie. Mais, après la mort de sa tante, elle s'échappe... et, durant sa fuite, elle fait halte dans un château qui lui réserve de nouvelles horreurs...«
H.P. Lovecraft
(Épouvante et surnaturel en littérature).
Née à Londres en 1764, Ann Radcliffe y est morte en 1823. Elle épousa, à l'âge de vingt-trois ans, William Radcliffe qui abandonna bientôt ses études juridiques pour la littérature et devint propriétaire et éditeur de l'English Chronicle qu'il dirigea en collaboration avec sa femme. Celle-ci connut la célébrité dès son premier livre Les châteaux d'Ethlin et Dunbayne qui fut suivi de The Sicilian Romance. Elle s'acquit une immense renommée avec les trois suivants : The Romance of the Forest, Les mystères d'Udolpho et L'Italien ou Le confessionnal des pénitents noirs, récemment réédité dans la collection « Bouquins » (Romans terrifiants, Laffont). Ces œuvres, qui s'inscrivent dans la grande tradition du roman noir anglais, sont, avec celles de M.G. Lewis (Le Moine) et C.R. Maturin (Melmoth), parmi les meilleures du genre. Mais Ann Radcliffe cessa de publier après son cinquième roman pour se consacrer aux éditions de son mari. C'est après sa mort que parurent son sixième roman, Gaston de Blondeville et ses Poèmes.
1 - François RIVIÈRE, Ann Radcliffe ou la chambre interdite, pages 7 à 9, introduction
Critiques
Née à Londres en 1764, morte en 1823, l'auteur nous laissa six romans, dont le plus apprécié est celui-là même. Il y a un mystère Radcliffe, puisque cette femme cessa d'écrire à trente-deux ans. L'existence d'un mari, William, propriétaire-éditeur d'un journal littéraire réputé (mais où la jeune femme ne trouva guère d'encouragements), l'English Chronicle, y est sans doute pour quelque chose. Mais Ann ne fréquenta jamais les cercles littéraires, recevait peu, et ne sembla jamais atteinte par les éclats d'un succès pourtant très réel déjà de son vivant. Mystère ? Ou simple effet sociologique d'une époque et d'un milieu qui n'appréciaient pas que le deuxième sexe sortit de son rang et de sa fonction ? Quoi qu'il en soit, quelque chose passe, dans Udolpho, de l'existence à la fois recluse et vagabonde de son auteur (Ann voyagea beaucoup en compagnie de l'époux, particulièrement en France et en Italie où se passe le roman). Quelque chose, et quelque chose de pas gai : car l'héroïne du récit, Emilie, ne paraît être que le jouet impuissant des événements qui la ballottent de lieu en lieu, de château en château, de chambre close en chambre close, dés lors que son père meurt et qu'elle doit épouser contre son gré le sinistre seigneur Montoni. Il n'est question que d'argent dans ces pages, de legs, d'héritage, de trésor caché, comme quoi l'économique n'est pas oublié — il a au contraire un rôle de tout premier plan. Le roman Noir, le roman gothique dont Les mystères d'Udolpho est une des pièces maîtresses, est donc bien ancré dans le réel.
Trop peut-être : où le lecteur pense avoir vu et lu à plusieurs reprises du fantastique, ne restent que des machinations à tiroirs : « En se tournant vers le passé, elle remarquait avec surprise qu'il n'y avait plus aucun mystère dans tout ce qu'elle avait vécu » (p.261). En fait, pour un lecteur de 1987, ce roman paraît très sommaire psychologiquement, et d'une construction hasardeuse, les changements continuels de lieu et les mystères éventés tenant lieu de progression dramatique. Eugène Sue n'est pas loin mais, à cause de tous ces bandits à cheval, de ces cavalcades et escapades nocturnes, de ces sombres bassesses entrecoupées d'éclairs de bravoure vues par des yeux aussi innocents que ceux d'un enfant, le roman rappellera aux cinéphiles l'ambiance très gothique elle aussi du chef-d'oeuvre de Fritz Lang, Les contrebandiers de Moonfleet. Le livre vaut donc plus par ses références a posteriori, par l'éclairage qu'il donne sur une époque et sa littérature-reflet, que par son texte, bien souvent trop affairé pour être profond. Encore qu'on y trouve au détour d'une page des échappées de poésie : « Mais le repos l'avait quittée pour longtemps et la douleur seule s'approchait d'elle sournoisement, lui souriant comme une tendre compagne » (p.64). Dans ces moments-là, l'évanescente Ann Radcliffe nous parait soudain se couvrir d'un peu de chair.