Ursula K. LE GUIN Titre original : Rocannon's World, 1966 Première parution : États-Unis, New York : Ace Books (Ace Double), avec le roman d'Avram Davidson "The Kar-Chee Reign", 1966ISFDB Cycle : La Ligue de tous les mondes vol. 1
Pour eux, il fut toujours Olhor l'Errant, le Seigneur des Etoiles, le seul homme qui entra dans la légende sans porter l'épée. Pourtant il n'était que Rocannon, un des ethnologues envoyés par la ligue pour étudier cette planète sans nom du système de Fomalhaut. Après lui viendrait une mission technologique qui stimulerait le progrès de la civilisation la mieux placée. Et quand l'Ennemi inconnu reviendrait dans le vide entre les étoiles et qu'éclaterait la lutte suprême, cette planète, comme tant d'autres, serait apte à combattre aux côtés de la ligue. Malheureusement l'Ennemi bouscula ce plan colossal, envahit prématurément le monde sans nom et tendit un piège aux ethnologues. Rocannon, seul rescapé, recruta quelques compagnons et partit vers la base adverse. Mais pouvaient-ils réussir sans le don étrange que Rocannon demanda au gardien de la source tiède, et qui permettait d'entendre les émotions et les désirs d'autrui ?
Six romans, situés sur six planètes, permettent à Ursula Le Guin d'explorer 2500 ans d'histoire future : les pas hésitants de l'humanité à la recherche de la paix, de l'équilibre et de la liberté. Tel est le programme, modeste et colossal, de "La Ligue de tous les mondes".
Michel Demuth, outre ses talents de traducteur, dirige avec soin l'entreprise de réimpression d'ouvrages de valeur en Livre de Poche. La rentrée nous apporte une nouvelle cargaison de titres. Pacotille, verroterie ou purs joyaux ?
Je ne m'attarderai pas sur Le son du Corde Sarban (ex-Galaxie Bis). Depuis Rêve de Fer, de Spinrad (rééd Livre Poche) les ouvrages sur le IIIe Reich, en SF, pâlissent même quand ils sont excellents. Alors, celui-ci... L'Ultime Fléaude Pohl (ex-Calmann Levy) n'est pas un des meilleurs de l'auteur. Malgré quelques scènes hallucinantes et une écriture thriller qui peut séduire, c'est d'une honnête moyenne, sans plus. Voilà pour la verroterie. Restent les joyaux : Le navire des glacesde Moorcock (ex-Opta) et Le monde de Rocannonde Le Guin (id).
Ces deux ouvrages, que rien en apparence ne rapproche ont une qualité commune, et qui se fait rare dans la SF par les temps qui courent. Ce sont des ouvrages lyriques, où les descriptions sont envoûtantes, et qui font appel à cette chose si démodée qui est l'identification du lecteur au héros et aux problèmes auxquels il s'affronte. Ce monde des glaces a parfois des relents du monde de Jack London, sans la moindre intention parodique. Ni le monde extérieur de Rocannon, ni cette Terre, sous les glaces ne sont notre monde ; nous ne partageons pas les convictions, croyances, superstitions des uns et des autres, leurs problèmes sont spécifiques : mais ils nous restent accessibles. Le lecteur se trouve devant un monde « décalé » — comme, par d'autres moyens chez Tolkien — ce qui n'empêche pas l'identification par empathie, mais permet assez de distance pour le plaisir de l'exotisme. En plein dans l'univers de la « Romance », loin du roman « réaliste » (Novel). Très souvent, la SF, par souci de respectabilité de faire sérieux (jeune cadre ou jeune savant dynamique, ou contestataire homologué) a voulu « concurrencer l'état civil » futur, nous ramener de la vision de l'étoile à celle des égouts : et c'est une bonne chose, cette oscillation entre le rêve et la dureté du réel c'est dans ce balancement que nait à la fois le futur et la SF. Parfois, néanmoins, comme ici, la SF s'offre (et offre au lecteur), une liberté — non pas de l'imagination, car les schémas narratifs sont très classiques, sauf dans les descriptions — une liberté de vagabondage.
En outre, ce Navire des Glaces,rapproché des mondes de Ballard, de Pavanede K. Roberts (Livre de Poche) et des Camps de Concentrationde Disch permettent de saisir une unité thématique secrète dans le groupe des auteurs qui gravitaient autour de New Worlds.Pas simplement dans leur projet, de donner à la SF des armes venues de la littérature moderne, mais au niveau de l'idéologie, se dégage un horizon singulier. L'ouvrage de Le Guin renvoie à ces chroniques d'un futur impensable, si proche et si lointain de celui de Cordwainer Smith (que le Livre de Poche devrait envisager de rééditer) et qui ont remplacé, dans le genre du rêve ces sortes d'histoires du futur qui avaient mobilisé, en leur temps Heinlein, Anderson et même Michel Demuth. Quel sens peut-on trouver à cette dérive loin de l'histoire, vers l'univers du conte ? Est-ce la preuve que de plus en plus l'histoire future échappe à ceux qui sont censé l'imaginer ?
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesFrancis Valéry : Passeport pour les étoiles (liste parue en 2000) pour la série : La Ligue de tous les mondes