On attendait depuis plusieurs années cette première phase de ce qui doit constituer la trilogie « Terre ». Jouanne y renoue avec une science fiction fouillée, qui distribue ses créations mentales sur un vaste paysage. Tout commence dans une de ces communes qui se divisent la Terre du siècle prochain, et plus particulièrement la ville-monument historique de Paris. Ariane, portraitiste publique, s'y découvre des pouvoirs aussi surprenants qu'effrayants.
Mais Ariane est aussi la femme-chat du rêve de ce protagoniste qui donne son nom au roman après y avoir débuté comme un très anonyme « il », au point que j'ai peine à ne pas lui donner les traits d'Emmanuel Jouanne lui-même. Le Rêveur, donc, est un nouvelliste, quelqu'un qui transforme l'information en produit de consommation pour le grand public des réseaux informatiques, il procure le lien avec les autres plans du roman : le destin tragique du futur cosmonaute-cyborg Afverdson, et les manigances de Cavendish, collègue médiocre et jaloux du Rêveur.
D'Emmanuel Jouanne, on ne saura rien si on lit la quatrième de couverture de son livre ; mais on peut se souvenir de sa qualité d'écriture, ainsi que de sa tendance occasionnelle à s'écouter écrire. Les deux sont présentes ici, et même s'il dote d'une arrogance rare son personnage central (« vous voyez, je sais faire des phrases. Débrouillez-vous pour savoir ce que ça veut dire maintenant », p. 263), il sait mettre sa plume au service d'images aussi accessibles qu'originales. Sans renier ses préoccupations littéraires : l'histoire de la Cité du Ciel, fermement accrochée au sol pour des raisons médiatiques, est une parabole sur le gauchissement du réel par le langage, plus efficace peut-être que les aperçus du travail des nouvellistes. Et Jouanne revient à des thèmes politiques se recrutent dans cette infime minorité de l'humanité qui s'accroche aux vieilles valeurs d'ordre.
A mon sens, nous tenons là le meilleur roman de Jouanne depuis Nuage : le feu d'artifice imaginatif s'y soumet (presque) aux exigences d'une narration, et quand il s'en éloigne ne fait qu'accentuer le plaisir par ses infidélités. Seul problème : avec ses quatre pistes principales et ses-multiples personnages, le roman s'ouvre en éventail, et il faudra attendre les prochains volets pour savoir s'il va quelque part, s'il converge à nouveau vers un point focal, ou s'il s'éparpille en paillettes de brillance.
Pascal J. THOMAS (lui écrire)
Première parution : 1/2/1989 dans Fiction 405
Mise en ligne le : 24/10/2002