DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 512 Dépôt légal : octobre 1996 Roman, 292 pages, catégorie / prix : 9 ISBN : 2-207-50512-X Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
L'alcoolisme comme rempart contre le virus qui menace de faire de vous un zombi, ce n'est gai qu'un temps. Pour le jour de ses seize ans, Antonin Hofa a prévu deux choses : goûter — enfin ! — aux joies du sexe et se suicider. Les amis du club des taudis humains y vont de leurs cadeaux, mais c'est d'un loup-garou fan de Led Zeppelin qu'Antonin reçoit le plus imprévisible : une buick Electra qui entraîne toute la bande dans le Londres des années 70. Du moins en apparence. Car dans ce Londres les hippies sont des fous sanguinaires, une Nouvelle Eglise répand son poison et, comble d'horreur, le Led Zeppelin ne semble pas promis à la formidable épopée qui fut la sienne ! Les plans de survie, le club ne connaît que ça. Mais comment twister le temps pour rendre les « seventies » à leurs grands mythes ? That is the question...
Critiques
Note : Critique rédigée pour le coffret « Les Cybernautes »
L'idée en soi n'était pas mauvaise, et si l'édition fonctionne désormais sur le mode du paquet cadeau, pourquoi pas un coffret cyberpunk ? Et pourquoi ne pas le ficeler sous l'appellation de « cybernautes » ? Il est vrai que si Denoël a raté William Gibson, la collection a publié quelques titres qui ne déparent pas l'histoire du « mouvement ».
Néanmoins, l'esthète désabusé, à supposer qu'il ait la moindre affinité envers la cyberlittérature, pourra à bon droit s'étonner de l'assemblage dudit coffret. Il y reconnaîtra deux incontournables, dont l'éditeur peut se montrer fier : les deux anthologies. Celle de Bruce Sterling, Mozart en verres miroirs, a fait office de manifeste. Si sa préface contient quelques traces d'autosatisfaction, le choix des textes offre quelques pépites, même si je me demande toujours ce que Petra de Greg Bear fait là-dedans. Quant au Demain les puces de Patrice Duvic, ce fut quand même le recueil qui permit, historiquement, au lecteur francophone de se rendre compte que la SF n'était pas totalement passée au large de l'informatique. Mais attention : il ne s'agit pas d'une réédition à l'identique ! Johnny Mnemonic, à la descendance désormais hollywoodienne, est passé aux pertes et profits, mais figure dans le recueil Gravé sur chrome (J'ai lu). Je regrette davantage la disparition de Mémoire vive, mémoire morte de Gérard Klein, qui marquait alors le retour à l'écriture de l'écrivain, même si une autre vie est offerte par ailleurs au texte (voir nos Galaxies infos). En revanche, l'insertion du Bumpie™ de Francis Valéry permet de revenir sur ce beau texte couvert de lauriers.
Venons-en aux deux romans. J'avais aimé naguère Le Temps du twist de Joël Houssin, bien que je ne sois toujours pas certain de ma motivation : la nostalgie de Led Zep devait y être pour quelque chose. Mais c'est un roman de qualité, et j'aime bien cette vision de l'effacement de trames temporelles perçue comme la réécriture de secteurs d'un disque dur. Voilà une métaphore réellement « cyber »... N'empêche : inclure Houssin dans un coffret cyberpunk, n'est-ce pas aussi un peu recto-politique (protection des minorités ?), ou respect strict de l'exception culturelle ?
Le cas de Walter Jon Williams et de Câblé est encore plus tangent. À fouiller dans le catalogue de la collection, on peut se demander pourquoi lui et non, au hasard, Bruce Sterling (le très beau recueil Crystal express), ou Michael Swanwick, ou même Gwyneth Jones (passons sur Richard Kadrey). Sept jour pour expier, qui n'a rien de cyberpunk, est quand même d'une autre tenue que ce Hardwired un peu lourdingue. Mystère des sélections...
Au total, soyons positif, un coffret plus qu'intéressant pour le néophyte, surtout les deux anthologies, mais qui ne représente certainement pas la quintessence du « mouvement ». Ah ! Si certains titres présents au catalogue de la concurrence avaient dès le départ été retenus par Denoël...
« Peter Grant regarda le quatuor. Des gosses avec des fringues impossibles, qui se prétendaient australiens, traversaient l'Atlantique et réclamaient du raide... — Dites, les mômes, le collège n 'a pas repris chez vous ? La question était choquante dans la bouche de Grant. — Pas encore, éluda Orlando. Grant hocha la tête. Il était loin d'être aussi balourd que son aspect physique et ses manières frustres ne le laissaient supposer. — Et votre copine, miss pimpon, elle est plus avec vous ? — Elle cuve... »
On mélange un futur où la seule façon de se vacciner contre un virus capable de vous transformer en zombie affamé est l'absorption immodérée d'alcool ( !), un voyage dans le temps dans un Londres de 1968 décalé, une Buick hi-tech et le groupe rock Led Zeppelin, véritable fil rouge du bouquin, et voici venu Le temps du Twist ! Le cocktail peut sembler indigeste (il l'est au début, c'est vrai), mais passée la première surprise on se laisse bien volontiers prendre au jeu et suivre les aventures de ce groupe de jeunes paumés combattant les uchronies et les reformatages d'univers (le leur en l'occurrence).
Néanmoins, d'aucuns trouveront peut-être la philosophie des personnages discutable : le voyage dans le temps, c'est planant, mais les « héros » se trouvent quand même des petits coups de pouce peu recommandables... hum. Quoiqu'il en soit Joël Houssin est décidément remarquablement à l'aise dans la description d'univers sombres et désespérés ; univers d'autant plus déroutant qu'il oscille en permanence entre la déprime totale et la plus féroce des hilarités.
Pour s'étendre sur le traitement du thème de l'uchronie (que se serait-il passé si l'histoire n'avait pas pris le tour qu'on lui connaît — le nez de Cléopâtre plus long, les Nazis vainqueurs de la seconde guerre mondiale, etc.) et des incidences temporelles, on notera une déclinaison intéressante : le nouvel univers créé par l'événement déviant efface peu à peu l'ancien, qui rétrécit alors tel une peau de chagrin : la recette de la meringue disparaît en même temps que l'Amérique du Sud ! Et les protagonistes de s'y raccrocher comme à une bouée... Au total un roman cyberpunk (Grand Prix de l'imaginaire 1992) déroutant mais qui ne manque pas de piquant, le tout sur un rythme d'enfer, celui des accords de Jimmy Page.
La réédition de ce roman, lauréat du Grand Prix de l'Imaginaire en 1992, permet de découvrir à nouveau une synthèse made in France de l'esprit « cyber » et une sensibilité « punk » restée très proche du mouvement rock des années 70, assez originale par rapport aux œuvres anglo-saxonnes réunies sous le même label.
Cela commence dans un avenir vraiment no future vers la fin du XXIe siècle, où le seul moyen de se protéger contre les risques de choper un méchant rétrovirus zombifiant consiste à maintenir en permanence un taux d'alcoolémie élevé, avec toutes les conséquences prévisibles que cela comporte. On comprend aisément l'angoisse d'Antonin Hoja et ses copains devant un tel choix, qui s'ajoute à celle, familière, d'être un ado mal dans sa peau, mal compris et surtout mal baisé. Un gouffre d'ennui existentiel que même les distractions offertes par les piratages informatiques, la musique et les drogues n'arrivent pas à colmater.
Mais quand la seule issue possible semble être le suicide (de préférence après avoir fait l'amour au moins une fois avec — oiseau rare — une fille consentante), un jeune loup-garou richissime et fan de Led Zeppelin débarque et offre à Antonin et sa bande une Buick Electra qui se révèle capable de convoyer ses passagers aux coordonnées spatio-temporelles des plus grands concerts zeppeliniens. En théorie du moins, car arrivés à Londres en 1968, Antonin et sa bande doivent encaisser que Led Zep n'est pas au rendez-vous et qu'ils se retrouvent dans un univers parallèle où Jimmy Page est devenu artiste-peintre au lieu du guitariste légendaire qu'on connaît. Évidemment, il faut localiser la cause de cette bévue historique et rectifier le coup, même si on commence déjà à flairer la sinistre influence d'une force occulte. Mais on n'intervient pas impunément dans le passé et les paradoxes temporels menacent de tout effacer...
On voit bien pourquoi ce texte a reçu les honneurs du public francophone il y a une décennie ; Houssin a non seulement créé une aventure évocatrice de toute une époque et bourrée à souhait de soubresauts de situation qui laissent le lecteur pantois, mais a su aussi inventer un style de prose française tout à fait adéquat aux nouveaux paysages mentaux et aux rythmes accélérés de la révolution informatique en cours. Cela dit, une deuxième lecture commence à révéler quelques anachronismes (un personnage en 1968 qui fait allusion à une série télé qui ne débuta qu'en 1974) et embrouilles géographiques (on voyage de Londres à Liverpool en un rien de temps... en taxi !). Les jeunes personnages, attendrissants au premier abord, deviennent aussi un peu lassants à la fin. Malgré leur fébrilité et leur sophistication, ils n'arrivent pas vraiment à se connecter avec la réalité historique, en croyant déjà tout savoir parce qu'ils ont écouté les disques, lu les bouquins et vu le film. Un peu comme dans À nous les petites Anglaises : on va faire un tour ailleurs, mais on ne pense qu'à tirer sa crampe ! Consciemment ou pas, c'est un portrait assez navrant des générations post-68, qui disposent des atouts et des connaissances mais restent sans prise sur les temps qui courent.
Le titre ne désigne pas les années soixante naissantes mais une boîte de nuit du futur, point de départ de l'équipée d'une poignée d'adolescents. Non seulement le temps du twist est bien révolu quand ces voyageurs temporels débarquent en 1969, mais celui du rock est sérieusement compromis, puisque menacé d'effacement. D'ailleurs, Jimmy Page n'a pas composé sur sa guitare ; il s'est mis à la peinture et Led Zeppelin n'existe donc pas. Quant aux hippies, mieux vaut éviter ces fous sanguinaires adeptes d'une dangereuse et influente secte, la Nouvelle Eglise.
Le voyage temporel dans une Buick Electra n'était pas intentionnel ; le hasard informatique et la nostalgie l'ont provoqué. En effet, la madeleine de (Marcel) Houssin s'appelle la musique : la sono du véhicule n'est constituée que d'enregistrements live de Led Zeppelin qui l'envoient à la date du concert de chaque morceau, depuis qu'a été ajoutée sur la Buick de l'électronique de contrebande aux effets parfois inconnus.
Orlando, fin connaisseur de Zeppelin et dangereux loup-garou, contraint de s'enfermer les nuits de pleine lune pour ne pas blesser ses proches, a offert la Buick Electra à Antonin, un adolescent si désespéré qu'il ne songe qu'à tirer un coup au moins une fois avant de se suicider. On ne peut lui donner tort, compte tenu de la sinistre époque où il vit, saturée de virus transformant les gens en Zombi Zapf, à moins de s'alcooliser sans relâche et dès le plus jeune âge, troquant ainsi une terrible déchéance contre une autre pas plus enviable.
Dans le véhicule voyagent également Something More, Trafic, Anita, 42-Crew, un as de l'informatique et One for Four, un robot qui s'avérera être leur principal adversaire.
Il ne s'agit pas seulement de permettre à Led Zeppelin d'exister, mais de restaurer le passé avant qu'il ne soit écrasé par celui qui s'est substitué à lui. De la nostalgie, le récit glisse rapidement vers une frénésie survoltée équivalente à celle dégagée par les concerts de Led Zep', pour s'achever dans un dantesque combat cyberpunk.
Le roman est évidemment bourré de références à ces stars du rock et reconstitue fidèlement le Londres des seventies. De véritables morceaux de bravoure parcourent ce livre envoûtant, délirant et survolté, qui fut d'ailleurs et fort justement couronné en 1992 par le Grand prix de l'Imaginaire. Une réédition bien venue.
Il y a toujours eu un côté punk chez Houssin, même s'il est lui-même un enfant du rock. Mais le côté déglingué des romans, à la limite suicidaire, louche davantage du côté d'un no future qui n'a plus rien à perdre qu'il n'est l'expression d'une révolte engagée. La plupart de ses romans se déroulent dans un décor post-cataclysmique, à la violence désabusée, le tout raconté avec nervosité, accumulant les scènes d'anthologie et les images choc.
Le familier de Joël Houssin n'est donc pas dépaysé ici, même si, cette fois, le futur glauque nécessite de voyager dans le temps. Au moins, l'alcoolisme suicidaire des adolescents est-il justifié par la nécessité de se prémunir de rétrovirus transformant les gens en zombis Zapf amateurs de chair humaine. Pour ses seize ans, Antonin n'a qu'une obsession : être enfin dépucelé, peu importe par qui, avant de se suicider. Mais le cadeau de son ami loup-garou Orlando change la donne : la Buick Electra, par la magie de l'informatique de contrebande et de la musique de Led Zeppelin, expédie la bande d'amis aux dates des concerts du groupe.
Las ! le passé n'a pas non plus de futur dans la mesure où celui du rock est furieusement compromis : en 1969, Jimmy Page s'est mis à la peinture et a remisé sa guitare. Led Zeppelin n'existe pas, les hippies ont connu une dangereuse dérive mystique en devenant les sanguinaires adeptes de la dangereuse Nouvelle Eglise, une secte influente qui vaut bien les ZZ du futur.
A partir de là, le roman devient une virée à cent à l'heure où la tentative de restauration du passé est l'occasion de revisiter l'œuvre survoltée des Led Zep', ainsi que la foisonnante période du rock londonien des seventies, des Beatles aux Rollings Stones, des Who à T-Rex, avec des clins d'œil aux américains de la même mouvance, comme les Doors ou MC5. Ici, le rock ne sauve pas, mais il est nécessaire de sauver le rock pour échapper au néant.
L'ensemble, très cyberpunk, est un délire parfaitement assumé, au final paroxystique comme il se doit. Un roman récompensé par le Grand Prix de l'Imaginaire en 1992, et de l'imagination, il en faut pour assurer jusqu'au bout ce numéro d'équilibriste sur le fil de l'absurde sans jamais tomber dans le n'importe quoi.
Claude ECKEN (lui écrire) Première parution : 1/1/2013 Bifrost 69 Mise en ligne le : 17/12/2017