MNÉMOS
, coll. Icares Dépôt légal : novembre 2004 Première édition Anthologie, 384 pages, catégorie / prix : 19 € ISBN : 2-915159-31-9 Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
«La mitrailleuse Lewis était inefficace. L'ennemi semblait invincible. Alice régla patiemment sa hausse et appuya sur la détente. La balle étoila le verre du masque à gaz et ressortit par la nuque. Alice quitta momentanément son poste, et beugla dans l'escalier :
— La tête, les gars, visez à la tête ! »
Depuis 1862 où Lewis Carroll lui donna naissance lors d'une promenade en barque sur l'Isis, jusqu'à aujourd'hui, Alice fait rêver. Vingt et un des meilleurs écrivains français d'imaginaire venus de tous les horizons (littérature générale, fantastique, polar, SF) mettent en scène la petite fille blonde et son créateur.
Rencontres avec Sherlock Holmes, le marquis de Sade ou Gérard de Nerval... Voyages dans le Paris de la Commune et dans le futur, plongée au cœur de l'étrange, escale au très psychédélique pays du Sergent Pepper ou retour au Pays des Merveilles... Tous les coups sont permis, toutes les variations possibles, pour le seul plaisir du lecteur !
Bienvenue de l'autre côté du miroir.
Au sommaire : Jean-Pierre Andrevon, Jacques Barbéri, Ugo Bellagamba, Francis Berthelot, Jean-Luc Bizien, Richard Canal, Georges-Olivier Châteaureynaud, Fabrice Colin, Catherine Dufour, Anne Duguël, Jean-Jacques Girardot, Johan Heliot, Jean-Pierre Hubert, Hervé Jubert, Michel Lamart, Bruno Lecigne, Xavier Mauméjean, Jean-Pierre Naugrette, Pierre Stolze, Jean-Pierre Vernay, Daniel Walther.
1 - André-François RUAUD, Miroir et curiosité, pages 7 à 11, préface 2 - Daniel WALTHER, Alice contre la Reine Noire, pages 15 à 25, nouvelle 3 - Francis BERTHELOT, La Nouvelle Alice ou les bonheurs de l'impertinence, pages 27 à 38, nouvelle 4 - Michel LAMART, Celia in Wanderland, pages 39 à 56, nouvelle 5 - Jean-Pierre HUBERT, La Prochaine fois, pages 57 à 69, nouvelle 6 - Johan HELIOT, Paris avant l'orage, pages 73 à 91, nouvelle 7 - Jean-Jacques GIRARDOT, Alice et le monde de l'arc-en-ciel, pages 93 à 115, nouvelle 8 - Jean-Pierre ANDREVON, A-Liss n'est plus ici, pages 117 à 135, nouvelle 9 - Hervé JUBERT, La Course au Tschock, pages 139 à 154, nouvelle 10 - Anne DUGUËL, De la Mort et autres merveilles, pages 155 à 161, nouvelle 11 - Jean-Luc BIZIEN, Waiting for... Alice, pages 163 à 180, nouvelle 12 - Jean-Pierre NAUGRETTE, Qui a tué le lapin blanc ? Echec à Sherlock Holmes, pages 181 à 197, nouvelle 13 - Pierre STOLZE, Parfum de Santal au pays des immortels, pages 201 à 219, nouvelle 14 - Xavier MAUMÉJEAN, Il était reveneure..., pages 221 à 235, nouvelle 15 - Bruno LECIGNE, Mission Alice, pages 237 à 251, nouvelle 16 - Catherine DUFOUR, Le Poème au carré, pages 255 à 264, nouvelle 17 - Jean-Pierre VERNAY, Histoire d'Alice et du chanteur arc-en-ciel, pages 265 à 277, nouvelle 18 - Jacques BARBÉRI, Alice en verres miroirs, pages 279 à 301, nouvelle 19 - Georges-Olivier CHÂTEAUREYNAUD, De l'autre côté d'Alice, pages 305 à 318, nouvelle 20 - Richard CANAL, Le Secret de madame Hargreaves, pages 319 à 335, nouvelle 21 - Ugo BELLAGAMBA, La Maladie d'Alice, pages 337 à 353, nouvelle 22 - Fabrice COLIN, Arnarstapi, pages 355 à 367, nouvelle 23 - (non mentionné), Les Auteurs, pages 369 à 372, dictionnaire d'auteurs
Critiques
Quelques mois après la parution des Ombres de Peter Pan, admirable anthologie basée sur les personnages du Pays de Nulle Part, Richard Comballot et les éditions Mnemos réitèrent l'expérience avec l'Alice de Lewis Carroll. Toutefois, l'émotion n'est plus le sentiment prépondérant, c'est au contraire l'extravagance et l'irrationnel qui dominent la plupart des 21 nouvelles, la majorité des auteurs ayant choisi de réécrire un chapitre ou l'autre des si jolies et si absurdes Aventures d'Alice sous terre ou De l'autre côté du miroir, ce qui n'est pas sans induire une certaine lassitude, à la longue.
Heureusement, quelques auteurs ont su aller plus loin que les Merveilles et les cartes à jouer pour mettre à nu les caractères : Alice, le Snark, Lewis Carroll lui-même mais aussi le marquis de Sade, Sherlock Holmes, Nadar ou Mélanie Klein sont autant de personnages hauts en couleur que certains écrivains se sont plu à mettre en scène dans des histoires originales et respectant parfaitement les archétypes qu'ils sont devenus.
C'est le cas de Francis Berthelot, dans un texte très drôle, métaphore de l'ambiguïté des relations entre Charles Dodgson et Alice Liddell. D'autres préfèrent imaginer la jeune miss Liddell telle qu'il leur paraît qu'elle aurait pu être. Ainsi Anne Dugüel la décrit lassée des attentions du révérend Dodgson. Fabrice Colin, quant à lui, l'imagine vieille, guettant l'opportunité de retourner au Pays des Merveilles alors qu'Ugo Bellangamba voit sa fin, tragique et belle à la fois. Richard Canal est plus optimiste et sa nouvelle flirte agréablement avec un humour léger tout en expliquant les débuts de la psychanalyse.
Et puis il y a des aventures extraordinaires, comme la rencontre entre Gérard de Nerval et Charles Dodgson décrite par Jean-Luc Bizien, la poursuite du Snark à travers le temps, par Hervé Jubert, ou cette enquête inédite de Sherlock Holmes, par Jean-Pierre Naugrette. On trouve des histoires qui laissent un goût amer, comme celles de Georges-Olivier Chateaureynaud, qui traite de pédophilie, ou de Xavier Mauméjean, qui nous parle de la première guerre mondiale, mais aussi d'autres qui font rêver, comme les nouvelles de Jean-Jacques Girardot et Johan Heliot qui réussissent à faire franchir au lecteur, fût-il adulte, des passages vers leurs univers, Pays des Merveilles tirés tout droit de leur imagination.
Pour résumer, une anthologie à déguster doucement, pour se donner le temps d'en explorer les mondes et d'en apprécier les perles.
Lucie CHENU Première parution : 1/7/2005 dans Faeries 18 Mise en ligne le : 13/7/2006
Après la lecture des Ombres de Peter Pan, la précédente anthologie de Richard Comballot aux éditions Mnémos, une conclusion s'imposait : il ne faut pas lire ce type d'ouvrage d'une seule traite. En effet, le champ thématique en est relativement restreint — un roman — aussi encourt-on le danger de voir tous les textes se mélanger dans notre esprit, lissant leurs particularités respectives et minimisant par là même leur intérêt. Pour Mission Alice, toutefois, le problème se pose moins : le créateur de l'oeuvre originelle, Lewis Carroll, est en effet déjà en soi un personnage de fiction — en tout cas beaucoup plus que James Barrie, le père de Peter Pan — , avec ses contradictions, son attirance suspecte pour les fillettes (le texte de Georges-Olivier Châteaureynaud, De l'autre côté d'Alice), sa passion pour la photographie... Aussi n'est-il pas surprenant qu'il partage la vedette de ces pages avec Alice, un bon nombre de textes s'intéressant beaucoup plus au créateur qu'à sa création. Et la palette des thèmes abordés s'en trouve élargie, grâce aussi aux genres littéraires choisis par les auteurs (hard science pour Jean-Jacques Girardot, steampunk pour Johan Héliot, cyberpunk pour Jacques Barbéri...).
Toutefois, Alice reste bien évidemment la principale mine d'inspiration pour les auteurs ; par son double statut de personne réelle et de fiction (comme dans Le Secret de madame Hargreaves, de Richard Canal, où une Alice vieille femme suit une thérapie), et par le côté particulièrement foisonnant de l'oeuvre de Lewis Carroll. Les aventures au Pays des Merveilles sont enjouées, fantaisistes, bourrées de jeux de mots, et opposent cette fillette symbole de pureté et naïveté à un monde loufoque et tordu. Toutes ces caractéristiques se retrouvent ici, au gré des nouvelles. Parfois amplifiées, comme dans Celia in Wanderland, de Michel Lamart, qui semble n'avoir d'autre but que d'enfiler jeux de mots les uns après les autres, parfois intégrées à des univers personnels : Hervé Jubert convoque ainsi Georges Beauregard, son héros de la Bibliothèque Noire, dans La course au Tschock.
Mais le traitement le plus fréquent est sans doute le contre-pied : la pure Alice est ainsi confrontée à des univers beaucoup plus sombres, comme ceux du Marquis de Sade (La Nouvelle Alice ou Les Bonheurs de l'impertinence de Francis Berthelot) ou de Gérard de Nerval (Waiting for Alice, de Jean-Luc Bizien). Quant au caractère merveilleux du Pays visité par Alice, voyez ce qu'en fait Anne Duguël (De la Mort et autres merveilles).
Au final, cette anthologie s'avère plaisante, sans redite excessive — même si on conseillera de prendre son temps entre la lecture des différents textes pour mieux les savourer — , et constitue un excellent hommage à la verve et l'inventivité de Lewis Carroll.
Après Les Ombres de Peter Pan, Richard Comballot nous offre selon le même principe une nouvelle anthologie entièrement consacrée à l'Alice de Lewis Carroll. En attendant peut-être un prochain opus dédié au troisième de ces « enfants remuants dont le charme et la turbulence ont fini par faire figure non pas d'exemple, mais d'archétype », à savoir Pinocchio, comme le suggère André-François Ruaud dans sa préface.
Inutile de résumer les intrigues, pleines de jeux de lettres, de jeux de mots, de non sense, de cauchemars absurdes, de lapins blancs, de Chapeliers fous, de chats souriants et même de révérends Charles Lutwidge Dodgson... Alice se laisse aller à toutes les fantaisies, et les vingt-et-un auteurs qui se sont prêtés au jeu n'ont reculé devant aucune. La seule nouvelle non inédite du recueil — La Nouvelle Alice ou les bonheurs de l'impertinence, de Francis Berthelot, précédemment publiée dans son recueil Forêts secrètes — nous avait déjà donné un avant-goût de ce qu'aurait à subir l'innocente enfant, puisqu'elle y rencontre le marquis de Sade... Mais le personnage qu'elle croisera le plus souvent est cependant son créateur lui-même, Dodgson alias Carroll, mis à la sauce de toute les manières possibles — y compris dans sa trouble relation avec les petites filles qu'il aimait à photographier. Il en est par exemple ainsi dans l'un de mes textes préférés : Alice et le Monde de l'arc-en-ciel, où, comme à son habitude, Girardot détourne astucieusement le récit vers la hard science.
Malgré les inévitables répétitions de personnages et de situations, la lecture de cette anthologie n'est en rien fastidieuse, car chaque auteur réussit à dégager un aspect différent, à explorer une nouvelle piste. Et en même temps, la qualité de l'ensemble est étonnamment homogène, sans chef-d'oeuvre sans doute — serait-ce possible dans l'ombre de celui qu'est l'Alice originelle ? — mais sans aucun texte médiocre ni même moyen, ce qui est suffisamment remarquable pour être souligné.
Evidemment, il est un pré-requis nécessaire : il faut aimer Alice ! Il faut qu'elle soit l'un de vos compagnons favoris, avec Peter Pan et — moins enfantin mais tout aussi archétypal — Sherlock Holmes. Ce même Holmes dont on lira d'ailleurs une enquête inédite et surprenante dans cet ouvrage : Qui a tué le lapin blanc ? de Jean-Pierre Naugrette.
Si vous l'aimez, si Alice est profondément enfouie dans votre imaginaire, il n'y a sans doute pas besoin de vous convaincre, vous ne pourrez pas vous empêcher de vous précipiter sur ces savoureux récits aliçophiles et aliçolâtres. En tout cas, si vous hésitiez encore, n'hésitez plus !
On aura célébré beaucoup d'auteurs décédés et beaucoup d'évènements plus ou moins remarquables en 2004. Mais curieusement, on aura aussi oublié de commémorer cette année un certain Charles Dodgson, alias Lewis Carroll, père spirituel d'une certaine Alice qui erra jadis dans un certain pays des merveilles.
Evidemment, quarante-trois ans et demi après la disparition de René Lecardinal, douze après celle de Mélanie Kallère et mille deux cent onze mois après l'intronisation de Charles Bignoux, le souvenir de Lewis Carroll semble n'avoir que peu d'importance. On aurait pu faire une croix dessus sans difficulté.
Mais la S-F devait beaucoup à ce mathématicien amateur de fantaisies, de poèmes et de mots-valises. Sous la houlette de Richard Comballot, qui s'était déjà consacré à l'Angleterre en rendant hommage à Peter Pan dans une précédente anthologie chez le même éditeur (critique dans Bifrost35), le genre s'est donc acquitté de sa dette envers Charles Dodgson en lui offrant un nouveau recueil.
Après une hilarante préface de l'humoriste André-François Ruaud, bien connu pour ses compliments au maître, on découvre donc une vingtaine de textes mêlant auteurs du genre et représentants d'une littérature « générale » moins coincés que leurs confrères. Mais si l'on retrouve avec joie les textes ordinaires d'écrivains classiques comme Andrevon, Walther ou Stolze, les adaptations à des audaces certifiées (celle de Sade chez Berthelot), les intrigues convenues où la délirante Alice s'adapte enfin à des univers plus ordinaires que celui de son éternelle enfance, on ne pourra que s'étonner de trouver, au bout du compte, après un chapelet d'histoires de bonne tenue, quelques malséantes fantaisies débridées — œuvres, il est vrai, de coutumiers du fait comme Barbéri, Vernay, Chateaureynaud ou Canal. Pour ces ultimes lectures, il est recommandé de s'accrocher et de laisser toute rationalité au vestiaire.
Reste un livre étonnant qu'on devra se procurer et qu'on pourra (je crois) décrypter sans risquer plus que son existence et classer (sans doute) dans sa bibliothèque sans détruire les autres ouvrages.