Jérôme MARTINEAU
(Paris, France), coll. Gustave Le Rouge n° 1 Dépôt légal : 2ème trimestre 1966, Achevé d'imprimer : 24 juin 1966 Réédition en omnibus Recueil de romans, 446 pages, catégorie / prix : 27,75 F ISBN : néant Format : 14,1 x 22,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Cette édition comprend en hors-texte pleine page la reproduction des couvertures et des illustrations des éditions originales.
1 - Pierre VERSINS, Qui a copié ?, pages 9 à 15, préface 2 - Le Prisonnier de la planète Mars, pages 19 à 215, roman, illustré par Henri THIRIET 3 - La Guerre des vampires, pages 219 à 434, roman, illustré par Henri THIRIET 4 - (non mentionné), LE ROUGE (Gustave Lerouge dit)., pages 437 à 437, biographie 5 - (non mentionné), (Bibliographie), pages 438 à 438, bibliographie
Critiques
Sans Apollinaire qui s'enticha – Dieu sait pourquoi ! – de Fantômas, et que les surréalistes suivirent, connaîtrait-on seulement encore les noms de Pierre Souvestre et de Marcel Allain ? Rien n'est moins sûr. Qui, si Cendrars, mémorialiste lyrique autant que mythomane, n'en avait parlé dans L'homme foudroyé, se souviendrait aujourd'hui de Gustave Le Rouge, à part Francis Lacassin ? Jérôme Martineau, bien sûr, qui le réédite, et un quarteron de messieurs plus très jeunes qui conservent jalousement, dans de poussiéreux greniers de province, quelques tomes, quelques fascicules, dépareillés, jaunis, du Mystérieux docteur Cornélius et des Aventures de Todd Marvel, détective milliardaire.
Gustave Le Rouge ? Je me souviens, je portais alors des culottes courtes : ce nom-là m'attirait, m'intriguait aussi. Je le revois, accolé à celui de Gustave Guitton, sur les couvertures bleu pâle – superbement illustrées par Edyck de boucaniers barbus et de pavillons noirs – des quatre petits volumes de Conquérants de la mer (édition Méricant) qui trônaient aux fascinants éventaires des librairies-papeteries-merceries de mon enfance. Un peu plus tard, le charme se fit plus concret : je lus coup sur coup, en feuilleton. Le naufragé de l'espace et L'astre d'épouvante dans un quotidien de l'époque. Ces deux récits me passionnèrent, qui contaient en se complétant les extraordinaires aventures de l'intrépide Robert Darvel.
Aussi quand j'ouvris le premier volume de la « Collection Gustave Le Rouge » que dirige Francis Lacassin, et que j'y retrouvai Darvel, cela me fit vraiment plaisir. D'autant que Le prisonnier de la planète Mars et La guerre des vampires qui y figurent ensemble, sous leur premier titre, sont bien ce même récit de jadis. Tout y est : le départ Involontaire du jeune ingénieur français pour la planète rouge, à bord d'une olive d'acier, d'amiante et de bois ; la lutte qu'il mène, sur cet astre d'épouvante, contre les Erloors, – qui sont de terribles vampires ; sa découverte d'une cité prodigieuse, apparemment désertée, et qui dresse, au beau milieu d'une mer violette, ses douze tours de verre deux ou trois fois vastes comme le Cotisée ; son stupéfiant retour sur Terre ; ses noces, enfin qui l'unissent pour le malheur et pour pour le pire à la très belle et richissime Aloerts Téramond.
Le grand volume cartonné, de plus de quatre cent trente pages, qui nous restitue cette épopée se présente bien sympathiquement. On a eu l'excellente idée d'y ajouter dix-huit hors-texte qui reproduisent, couvertures comprises, la totalité des illustrations de l'édition originale (1908-1909). On les doit à Thiriet qui se fit surtout connaître, chez Tallandier, par ses couvertures de la collection du « Livre National », cependant que Starace, l'illustrateur inspiré des Fantômas, exécutait parallèlement, pour Fayard, celles des quelque trois cents romans du « Livre Populaire ».
Elles servent remarquablement le texte de Le Rouge, ces illustrations. Elles le reflètent on ne peut mieux : même goût de « l'ouvrage bien faits » ; même poésie stéréotypée, naïve, inconsciente, mais singulièrement efficace ; mêmes visions d'épouvante, délirantes, logiques aussi, et – tout compte fait – infiniment plus subtiles qu'il n'y paraît de prime abord. Ce sont là, sauf erreur, ces mêmes vertus qui font qu'en peinture les primitifs l'emportent souvent sur tant de maîtres trop parfaits. Elles donnent au trait, ces vertus, à la couleur, à l'invention, une liberté qui enchante. Une liberté telle que Le prisonnier de la planète Mars et La guerre des vampires lui doivent de conserver encore, après plus d'un demi-siècle, une vraie fraîcheur, un charme d'enfance inaltéré. La « résurrection » de Le Rouge n'a guère besoin d'autre justification.
Il me reste à parler de la préface de Pierre Versins. Elle est on ne peut plus surprenante, et le titre qui la coiffe – Qui à copié ? – ne l'est pas moins. Rien de tout cela n'incite vraiment à la lecture. Au lieu de nous donner ces précisions sur la vie et l'œuvre de le Rouge que nous pouvions légitimement espérer du premier volume d'une collection qui lui est exclusivement consacrée, Versins se livre à l'un de ces remarquables « numéros » de spécialiste où il excelle, mais qui, en l'occurrence, présente plutôt ambigument, en porte à faux, l'ouvrage qu'il a mission de faire valoir. En fait, cette préface tend surtout à laisser entendre que Le prisonnier de la planète Mars et La guerre des vampires pourraient bien devoir quelque chose aux deux volumes des Aventures merveilleuses de Serge Myrandhal qu'a signés l'assez obscur Henry Gayal, contemporain de Le Rouge, – et qui n'œuvre pas seulement dans le roman d'anticipation, comme en témoignent L'amour chemine et La fiancée veuve.
SI cela était, ce serait assurément fâcheux. Toutefois, en ces sortes d'affaires, tant que l'on n'a pas pris le coupable présumé la main dans le sac – et c'est ici le cas – on ne saurait être sûr de rien. Versins ne l'ignore point, qui se tient, en ses conclusions, sur une prudente réserve.
Un dernier mot, une simple question. Pourquoi diable messieurs les spécialistes se prennent-ils toujours tellement au sérieux ? On aimerait pourtant bien les voir sourire, ne fut-ce que de temps à autre. Je les crois engagés sur une pente dangereuse. S'ils ne se décident promptement à la remonter, on en viendra quelque jour à les remplacer par des ordinateurs électroniques.
L'œuvre de Gustave Le Rouge ne se résume pas à La Conspiration des milliardaires ou au Mystérieux Docteur Cornélius. Certes, ce dernier et énorme roman paru, à l'époque en dix-huit fascicules, a tout pour plaire. Par rapport à d'autres cycles devenus célèbres tels que Fantômas ou Harry Dickson, ce livre fait la différence par l'inventivité du sujet, le renouvellement des péripéties, par une forme écrite élaborée, structurée avec des qualités littéraires indéniables. Les titres des fascicules préfigurent le surréalisme. Il est d'ailleurs considéré comme le chef d'œuvre de l'auteur.
Journaliste au Petit Parisien, puis au Petit Journal Illustré où il s'occupait des « chiens écrasés », Gustave Le rouge a toujours eu, (comme beaucoup d'individus) des problèmes d'argent. Ce n'était pas qu'il fût dispendieux, mais son métier le nourrissait mal. Il devait donc, pour compléter ses revenus, produire une littérature écrite dans l'urgence, aussi vite oubliée que publiée. Cette activité alimentaire lui a valu une réputation d'auteur populaire au sens négatif du terme. Or, dans cette production, il y a quelques bijoux, surtout ceux relevant de la SF, des aventures fabuleuses avec des inventions merveilleuses, des rebondissements puisant dans le fantastique et les sciences occultes. D'ailleurs nombre de poètes surréalistes, et en particulier Blaise Cendrars, ne s'y sont pas trompés.
Robert Darvel est un ingénieur passionné par la recherche de sociétés extra-terrestres et par la planète Mars. Ruiné par une expérience hasardeuse de contact interplanétaire, en Sibérie, il est revenu à Londres. Sa situation n'est pas brillante. Ses fiançailles avec Alberte Téramond, la fille d'un banquier, sont rompues. Seul Ralph Pitcher, son ami, continue de lui proposer son aide. Il reçoit un billet sibyllin, le pressant de rejoindre un certain Ardavena. C'est un brahme, le supérieur d'un monastère hindou. Celui-ci lui propose de le suivre dans son pays pour mettre en commun leurs deux puissances, celle de l'ingénieur maîtrisant nombre de techniques, celle des fakirs maîtrisant la psychologie et la philosophie de son peuple.
C'est ainsi qu'ils conçoivent un appareil capable d'accumuler la force psychique produite pour en faire une énergie capable de merveilles. Mais le perfide Ardavena a d'autres projets, comme la domination de l'humanité ! Lorsque l'invention de Robert est au point, il se débarrasse de l'ingénieur en l'envoyant ...sur la planète Mars.
Robert Darvel découvre une société où les « humains » servent à nourrir des vampires, eux-mêmes soumis aux besoins de pieuvres volantes et ...invisibles. Mais ces dernières vivent dans la crainte de ce qui se cache dans la montagne de cristal. Nouveau Robinson, Robert Darvel met toute son inventivité pour survivre et s'imposer dans une telle société, avec l'espoir de revenir un jour sur terre... Sur celle-ci, Ralph et Alberte ne restent pas inactifs !
Gustave le Rouge utilise pour nourrir les intrigues de ses romans de merveilleux, de ses livres d'aventures et de fantastique, les connaissances scientifiques les plus pointues de l'époque. Avec « Le Prisonnier de la planète Mars », il se base sur les découvertes de deux scientifiques : Flammarion et l'astronome Schiaparelli, le découvreur des « canaux » de la Planète Rouge. On sait aujourd'hui qu'il n'en n'est rien. Mais cette théorie a perduré quelques décennies, le temps que d'autres astronomes disposent de moyens d'exploration plus performants. Cependant, il faut se rappeler que, si Schiaparelli a été le premier à émettre cette hypothèse, nombre de scientifiques lui ont gaiement emboîté le pas, n'hésitant pas d'ailleurs à en rajouter dans l'incohérence.
Le psychisme et les capacités du cerveau intriguent, au début du XXe siècle. La découverte de sociétés, en particulier en Inde, où la puissance de la pensée commande les corps, émerveille et donne naissance à nombre de récits tous plus fantastiques les uns que les autres.
Il est impressionnant de mesurer avec ce diptyque, comment un roman de distraction apporte de connaissances sur les mœurs de l'époque, sur les courants de pensées, sur les préoccupations des populations.
Un autre intérêt du livre est le rappel de l'état des connaissances scientifiques, de l'état embryonnaire de certaines et de mesurer leur évolution. Est-ce l'auteur qui se laisse aller à émettre des théories personnelles ou reprend-il des idées émises quand il fait référence au tableau de Mendeleïev pour l'étendre à l'ensemble de la flore et définir, ainsi, toutes les espèces végétales « possibles » ? Mais, il met beaucoup de cohérence dans la structure de la vie sur Mars.
On peut aussi lire, dans ce roman, une critique sociale. L'auteur décrit une société où les couches successives exploitent les précédentes et donne les vampires comme les suceurs du sang ...du peuple humain. N'est-il pas, lui-même dans une situation identique ? On retrouve, dans les combats menés pour libérer les humains de Mars, le climat politique et social de l'époque avec les grands mouvements sociaux qui ne sont pas si éloignés et les luttes que continuent à mener des socialistes comme Jaurès. Cependant, l'auteur donne à son héros les pensées dominantes de cette période où le colonialisme était florissant. Il en fait un roi : « ce sont mes sujets plutôt. ». Il lui prête, aussi, les travers bien humains, tel que le goût pour la gloire avec : « Robert savourait les joies d'une popularité bien acquise... ».
On peut noter également la richesse du vocabulaire employé et s'étonner de celle-ci pour une littérature « populaire ». Peut-on s'engager sur l'hypothèse que le public de l'époque avait une culture bien différente ? Toutefois, c'est particulièrement frappant !
Gustave le Rouge a la capacité de faire vibrer son lecteur par une suite de rebondissements, une succession d'actions, certes violentes, mais où les sentiments sont exacerbés et où l'amour tient une place importante. Certes, on peut trouver quelques contradictions, quand par exemple, le héros examinant son environnement depuis une colline, ne trouve pas trace d'activité sur un horizon immense, mais qui atteint, quelques pages plus loin, un hameau martien en un quart d'heure.
Le Prisonnier de la planète Mars et La Guerre des vampires sont des livres passionnants qui ne se lâchent pas avant le mot fin. Un mot qui vient trop vite ! Gustave Le Rouge est un auteur à redécouvrir et « réhabiliter » d'urgence.
Serge PERRAUD Première parution : 24/5/2008 nooSFere