note nooSFere
Le hasard des programmes ou le Seigneur de la science-fiction ont voulu que deux des meilleurs titres du
Rayon Fantastique se propulsent en même temps sur les rayons des librairies et au premier rang des présentoirs. L'un était pour moi - et pour pas mal d'autres, je pense - absolument légendaire : il s'agit du roman d'E. Hamilton,
Ville sous globe, que Le Masque vient de publier avec un article défini qui n'ajoute rien à sa gloire. Je l'ai ouvert avec une appréhension extrême. La magie allait-elle jouer aussi fort qu'à l'époque où j'avais dix-huit ans et la célèbre collection de Stephen Spriel et Georges H. Gallet ? J'étais alors auxiliaire dans un bureau tel qu'un jeune postier de 1974 n'en a jamais vu dans ses cauchemars les plus déprimants. Hamilton, ça a fait du bruit dans ma vie ! Et quelques semaines plus tard :
Le monde des A. Bien, bien. Aussitôt après :
La faune de l'espace. Puis :
Cailloux dans le ciel. Essayez d'imaginer, bonnes gens. Entre la science-fiction et la révolution, mon cœur balançait. Si on ne nous avait pas donné ensuite
Un martien sur la Terre et
Le dernier astronef, je n'aurais jamais eu l'idée de m'inscrire au parti communiste !
Je tiens
Cailloux dans le ciel pour l'un des meilleurs romans d'Asimov. Je le trouve supérieur à
Fondation et presque égal à
La fin de l'éternité, mais peut-être me laissè-je porter par le vent tiède de la nostalgie. En tout cas, un très bon choix de Jacques Sadoul qui, à vrai dire, n'en fait presque jamais de mauvais. Malheureusement, la typographie de l'édition J'ai Lu est presque microscopique. Bon, il faudra s'y faire. Autant de gagné pour les arbres et l'oxygène ! Après tout, rien ne vous oblige à vous esquinter les yeux en cherchant un emploi dans les petites annonces de France-Soir ni à risquer l'accident rétinien en regardant le porte-parole du gouvernement à la télé. Economisez vos cônes et vos bâtonnets pour lire de la SF : vous ne le regretterez pas.
Outre leur première publication au Rayon fantastique, ces deux romans présentent une analogie qui n'est pas due au hasard. Ils appartiennent l'un et l'autre à la postérité immédiate de la bombe d'Hiroshima et de la guerre de Corée. Et ils sont très typiques de ce point de vue, car ils se situent également loin après la destruction (partielle) de l'humanité par la guerre nucléaire et montrent un (ou plusieurs) américain(s) moyen(s) de notre temps, affrontant la civilisation galactique du futur. Mort et renaissance de l'homme. C'est encore l'optimisme, un optimisme modéré, mitigé, raisonné, et la science n'est plus notre sainte mère.
Même scénario dans les deux cas. Une bombe « superatomique » s'abat sur la petite ville.de Middletown, où se trouvait un mystérieux laboratoire dont on nous dit sans plus de précision qu'il constituait « un des centres vitaux de la défense antiatomique américaine ». Et Middletown avec ses cinquante mille habitants sont transportés jusqu'en cette « fin du monde » qu'évoque le titre anglais. Joseph Schwartz, le petit tailleur vieillissant de Cailloux dans le ciel, est projeté lui aussi dans un lointain futur, à la suite d'un accident survenu dans un laboratoire de recherches nucléaires de Chicago. Kenniston et les habitants de Middletown se retrouvent isolés sur une Terre mourante, éclairée par un pauvre et pâle soleil et abandonnée par les survivants qui ont émigré depuis Dieu sait quand vers la gloire des Etoiles. Qui ont fui la planète froide en laissant, intactes, leurs « villes sous globe », comme celle qu'on voit sur la couverture naïve de l'édition Hachette. Par contre, la Terre sur laquelle Joseph Schwartz est expédié par un mystérieux rayon - petit monde minable à la périphérie d'un vaste empire - doit à la guerre et à ses séquelles d'être tenue en quarantaine par les seigneurs de la galaxie. Le héros de La ville sous globe n'aura pour affronter les hommes et les humanoïdes du lointain futur que son regard clair, son courage de bon Américain et l'amour d'une belle galactique, l'administrateur Varn Allan. Malgré les facultés psi que Joseph Schwartz doit à l'invention du docteur Shekt, le tailleur de Chicago n'est qu'un pauvre type, un anti-héros que ses dons apparentent au mulot de Perry Rhodan plus qu'à Gilbert Gosseyn. Le véritable héros de Cailloux dans le ciel, c'est l'extraterrestre Bel Arvardan.
Les deux ouvrages se séparent dans le dénouement. La science a fait le malheur des gens de Middletown ; mais elle les sauvera en réchauffant la Terre grâce à la bombe de Jon Arnold. Au contraire, la science aura de nouveau le mauvais rôle à la fin du roman d'Asimov, alors que les Terriens se préparent à déclencher une guerre bactériologique contre l'Empire. Tout s'arrangera, bien sûr, grâce à l'amour de Varn pour Kenniston - Hamilton - ou du Dr Arvardan pour la touchante Pola - Asimov. Le Terrien et la Galactique. Le Galactique et la Terrienne. Les possibilités sont limitées avec cette fichue race primitive, dotée seulement de deux sexes !
La plus grande qualité de La ville sous globe, c'est la simplicité du récit. L'intrigue très linéaire laisse toute la place à une description sensible et discrète de la vieille ville et de la planète mourante et à la psychologie des hommes et des femmes de Middletown, jetés dans un monde incompréhensible, luttant avec acharnement pour sauver quelques bribes d'un présent devenu en une seconde un passé lointain et presque inimaginable.
La plus grande qualité de Cailloux dans le ciel, c'est - fait étrange - l'humanité. Pour une fois, Asimov a écrit un bouquin qui ressemble à sa tête (bien sympathique). Humanité symbolisée par ces vers de Browning que Joseph Schwartz se récite au commencement et à la fin du livre :
« Vieillissons ensemble !
Le meilleur, encore, est à naître,
L'apogée, la raison d'être de tout ce qui a été vécu. »
Dans une littérature - la SF classique - qui se livrait volontiers au culte de la jeunesse, c'était une attachante originalité d'avoir choisi, comme Asimov, d'évoquer les charmes et les mérites de la vieillesse, à travers un bonhomme très ordinaire. Dans une littérature - la SF classique - volontiers raciste, c'était une originalité digne d'éloge d'avoir peint comme Hamilton des humanoïdes (Gor Holl, Magro) plus humains que les humains.
Je me souviens tout à coup d'une définition moitié géniale, moitié paradoxale, entendue dans je ne sais quelle spirituelle assemblée : « La science - fiction, c'est ce genre d'histoires où la Terre s'écrit toujours avec une majuscule. » Elle s'applique fort bien à ces deux excellents romans. Oui, j'aime beaucoup la spéculative fiction et la new wave, car le temps des changements est venu, mais je ne souhaite pas que la Terre perde sa majuscule dans les jeux de l'esprit.