Le retour d'Yves Dermèze à la science-fiction est un événement qui se devait d'être signalé. Je sais ! Certains esprits chagrins diront qu'il n'en est rien, que l'auteur de l'inoubliable
Titan de l'Espace sévit depuis quelque temps sous d'autres pseudonymes
1 dans certaines collections et que, par conséquent, l'affirmation précédente ne manque pas d'être abusive. Il n'empêche. La signature fait souvent office de label et celle employée ici couvre des œuvres d'une qualité qui ne peut être comparée à celle des romans autrement signés. Comme si les diverses identités de notre ami du Lot-et-Garonne appartenaient à des personnes différentes ou, plutôt, constituaient des images différentes de l'autre, celui dont le nom figure sur les registres de l'état civil
2.
Et il faut croire que le roman paru au Masque a singulièrement marqué le lecteur que je suis pour que j'aille jusqu'à extrapoler au niveau des signatures. C'est qu'une certaine similitude se perçoit en effet entre la démarche de l'écrivain et celle du héros de ce roman. L'un et l'autre sont en effet des “créateurs”. L'un et l'autre inventent univers et personnages. Dès lors, on peut poser le problème suivant : que se passerait-il si Tarzan entrait en guerre contre Edgar Rice Burroughs, si James Bond tombait à bras raccourcis sur Ian Flemming, si Gilbert Gosseyn se révoltait contre Alfred E. van Vogt... ?
Que va-t-il se passer dans L'image de l'autre lorsque Mic s'apercevra qu'il n'est qu'une image de Michel ?
Tel est le sujet de ce récit : original parce que peu usité, alerte parce que vivant, passionnant parce que déconcertant.
Trop court peut-être. Mais la minceur du sujet posait d'évidents problèmes de développement qu'un métier affirmé a néanmoins réussi à pallier grâce au simple subterfuge d'une banale amourette. Et dès lors qu'un second créateur — féminin — et donc une autre image va entrer en scène, l'histoire pourra s'étayer et proposer le jeu suivant : “A votre image, vous confiez une mission... votre adversaire s'y oppose de son mieux... La partie se joue en trois manches.”
Nous avons donc, face à face, Michel et Caroline et, dans l'univers qu'ils créent, Mic et Karol.
Premier décor : une île impossible où humains et aragnes cohabitent pour survivre. Première mission de Mic : séduire Karol.
Mais, au fond, décor, mission, n'ont qu'une importance tout à fait secondaire sinon de par le fait qu'ils sont motivation plus que décoration. Le propre de bien des écrivains consiste à poser un problème puis à tenter de les résoudre : témoins les “paradoxes temporels” ou les “crimes en chambre close”. Le héros se voit donc placé dans une situation inextricable. Et au romancier ensuite de se creuser la cervelle pour le tirer du guêpier dans lequel il l'a fourré. Dans le roman qui nous occupe, c'est exactement ce que Michel a fait avec son Mic. Loin des aragnes point de salut. Point à la ligne. J'efface tout et je recommence puisqu'il se trouve que l'image n'a pu accomplir sa mission. Les jeux, pourtant, sont déjà faits et, dès lors, rien ne va plus. Mic ne s'efface pas.
Un nouveau décor est planté. Mais dans cet univers urbain où s'affrontent les “Mat” et les “Psy« , l'image est toujours là, inexpugnable. Michel tente de l'anéantir ou de précipiter les événements afin qu'un autre personnage s'en charge. Il lance les deux partis à ses trousses et la police en sus. Dès lors, Mic ne peut manquer de succomber. Il apparaît pourtant que l'issue soit de plus en plus douteuse. En partie à cause de Caroline, mais tout de même... Car si un lavage de cerveau équivaut à une belle mort, il assure du même coup la survie de Mic et, par voie de conséquence, la coupure définitive entre le créateur et son image. Dès lors, Michel perdrait son don de création, dans l'incapacité qu'il serait de la détruire.
In extremis, un troisième décor est planté. Retour au monde des aragnes, mais dans un lieu différent, plus sinistre car tout à la fois hospitalier et redoutable.
Achevons à présent par une hypothèse. Michel peut, de temps à autre, “émerger dans le monde de ses rêves” — quelques secondes. Supposition : si Mic, las des persécutions dont il est l'objet, tuait Michel ? Et si, du même coup, Mic devenait donc Michel ? Et si, par amour pour Karol, le Michel numéro deux créait à son tour un Mic numéro deux qui puisse rejoindre l'image de Caroline ? Que se passerait-il ? Que se passerait-il si l'on considère les qualités de Mic et les défauts de Michel puisque aussi bien le créateur dote son image de ce qu'il a de meilleur en lui ?
Notes :
1. Notamment Paul Béra au Fleuve Noir. (Note insérée pour la présente reproduction)
2. Sauf erreur, Paul Bérato n'a jamais signé un seul ouvrage sous son vrai nom. (Note insérée pour la présente reproduction)