À mon âge — je suis né en 1899 — je ne puis promettre aux autres ni à moi-même que ces quelques variations partielles qui sont, comme on sait, le classique recours de l'irréparable monotonie. Qu'il me soit permis cependant de souligner certains détails.
Ce livre comporte treize nouvelles. Ce nombre est le fruit du hasard ou de la fatalité — ici les deux mots sont strictement synonymes — et n'a rien de magique. Si de tous ces écrits je ne devais en conserver qu'un seul, je crois que je conserverais Le Congrès, qui est à la fois le plus autobiographique (celui qui fait le plus appel aux souvenirs) et le plus fantastique. Je ne cacherai pas non plus ma préférence pour Le livre de sable.
Il y a aussi une histoire d'amour, une nouvelle « psychologique » et le récit d'un épisode dramatique de l'histoire de nos républiques sud-américaines.
J'ai voulu rester fidèle, dans ces exercices d'aveugle, à l'exemple de Wells en conjuguant avec un style simple, parfois presque oral, un argument impossible. Le lecteur curieux peut ajouter les noms de Swift et celui de l'Edgar Allan Poe qui, vers 1838, renonça à ses somptuosités pour nous léguer les admirables chapitres qui terminent Arthur Gordon Pym.
Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue.
J'écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.
Né à Buenos Aires en 1899, J. L. Borges y réside toujours. Conteur, poète, essayiste, il est reconnu comme le maître incontesté des lettres argentines. Toute son oeuvre est maintenant traduite en langue française et ses recueils de nouvelles : Fictions, L'Aleph et Enquête, passent déjà pour des classiques de la littérature contemporaine.