Frère en écriture de Philip K. Dick, Michel Jeury explore dans ses nouvelles (tout comme dans son roman culte Le Temps incertain, couronné par le Grand Prix de la SF française et traduit dans le monde entier) les réalités subjectives, atteintes notamment au moyen des drogues chronolytiques menant aux plages infinies de la Perte en Ruaba. Visites de ces univers, voyages aux confins de la vie et de la mort, ainsi que dans les méandres du temps, ce tempe qui hoquette et se dérègle : Jeury écrit une science-fiction métaphysique mais incroyablement terrienne et sensuelle, puisant aux sources du monde paysan. Il explore constamment l'envers, ou plutôt, les « au-delà » du décor, et lance en outre à l'encontre de nos systèmes oppressants un cri de révolte constituant un appel à l'utopie.
Michel Jeury figure majeure de la science fiction en France dans les décennies 1970 à 90, fut l'un des auteurs les plus innovants de la « spéculative fiction ». Si nombre de ses romans demeurent bien connus et réédités, les nouvelles de Jeury, qui constituent le plus bel exemple de son art, n'avaient fait l'objet que d'un seul recueil depuis longtemps épuisé. Richard Comballot a choisi le meilleur de Jeury en 27 nouvelles — dont deux inédites, spécialement écrites pour ce volume, et une méconnue — et 4 articles.
1 - Richard COMBALLOT, Avant-propos, pages 5 à 6, introduction 2 - Serge LEHMAN, Un Paysage du temps, pages 7 à 16, préface 3 - Katia ALEXANDRE & Michel JEURY, L'Adieu aux lucioles, pages 17 à 49, nouvelle 4 - Vers la Haute Tour, pages 51 à 60, nouvelle 5 - Simulateur ! Simulateur !, pages 61 à 88, nouvelle 6 - La Guerre et mon amour, pages 89 à 110, nouvelle 7 - Le Temps des masques, pages 111 à 124, nouvelle 8 - La Fête du changement, pages 125 à 185, nouvelle 9 - L'Usine et le château, pages 187 à 207, nouvelle 10 - Elle elle elle, pages 209 à 228, nouvelle 11 - Escale, pages 229 à 246, nouvelle 12 - La Source rouge, pages 247 à 262, nouvelle 13 - Allons voir si la rose, pages 263 à 284, nouvelle 14 - Mission fractale, pages 285 à 296, nouvelle 15 - Ève, à tout jamais, pages 297 à 312, nouvelle 16 - Les Négateurs, pages 313 à 337, nouvelle 17 - Le Cimetière des éléphants de la planète Cinéma, pages 339 à 345, nouvelle 18 - OPA mon amour, pages 347 à 352, nouvelle 19 - Je t'offrirai la guerre, pages 353 à 370, nouvelle 20 - Phénix Copernic, pages 371 à 384, nouvelle 21 - Vivre le temps, pages 385 à 393, nouvelle 22 - Une Fenêtre sur la guerre, pages 395 à 399, nouvelle 23 - La Disparition du conseiller Wordy, pages 401 à 409, nouvelle 24 - Le Voyage de la morille, pages 411 à 420, nouvelle 25 - La Bonne étoile, pages 421 à 431, nouvelle 26 - Le Vol de l'hydre, pages 433 à 438, nouvelle 27 - Maxima la Kickaha, pages 439 à 444, nouvelle 28 - Le Compagnon du paysan, pages 445 à 449, nouvelle 29 - La Vallée du temps profond, pages 451 à 455, nouvelle 30 - Quelques mots, pages 457 à 464, article 31 - André-François RUAUD, Soleil chaud ! Soleil chaud !, pages 465 à 470, biographie 32 - Science fiction phase 4, pages 470 à 480, article 33 - Theodore STURGEON, Introduction à « Chronolysis » (1980), pages 481 à 483, préface, trad. André-François RUAUD 34 - Richard COMBALLOT, Bibliographie : parutions originales, pages 484 à 485, bibliographie
Critiques
Magnifique pavé qui comblera les fans de Michel Jeury, La Vallée du temps profond fait assurément partie des livres qui durent. Format carré, épaisseur de bon aloi, maquette impeccable et illustration soignée font de ce recueil de nouvelles un objet aussi superbe qu'alléchant, d'autant que les Moutons électriques inaugurent avec lui une toute nouvelle collection, « La Bibliothèque voltaïque », qui démarre clairement sous les meilleurs auspices (avec un Colin en approche, notamment, ce dont personne ne se plaindra). Dire que de nombreux lecteurs attendaient avec impatience le retour de Michel Jeury est un doux euphémisme. Parti depuis vingt ans sous d'autres latitudes littéraires (le roman paysan), Jeury nous revient en grande forme et choisit le moment où (hasard ou perversité ?) Alain Robbe-Grillet décide, lui, de partir définitivement. Le rapprochement entre Jeury et le Nouveau Roman n'est pas aussi saugrenu qu'il y paraît, tant les techniques littéraires de certains textes (Le Temps incertain, pour ne pas le nommer) ressemblent aux exigences esthétiques de ce courant intellectuel qui mérite le détour. Jeury nous revient, certes, mais les textes rassemblés ici n'ont rien de récents (quasiment tous ont déjà été publiés ici ou là), et si deux sont inédits, le lecteur curieux cherchera plutôt ici une sorte de recueil raisonné couvrant l'essentiel d'une œuvre en quelques textes essentiels. Des textes qui, on s'en doute, abordent le décidément très joli concept de la Chronolyse, trouvaille narrative qui rejoint l'esthétique dans la répétition déviante d'une boucle temporelle se dégradant peu à peu. Ailleurs, c'est le sexe qui prédomine, les relations hommes/femmes et d'autres thèmes profondément ancrés dans l'imaginaire des années soixante-dix. Cette datation ne manque certes pas de charme, mais les lecteurs modernes (entendre « nouveaux ») de Jeury risquent d'être déroutés par une plume de haute tenue, bien sûr, mais passablement vieillotte. Si la prose de Jeury ne manque pas de charme, elle risque de lasser ceux qui ont « commencé à lire » un peu plus tard et qui ont totalement intégré les nouveaux codes narratifs (en S-F ou ailleurs). D'où la tentation de réserver La Vallée du temps profond aux inconditionnels, même si on a tout de même tendance à le recommander à tout le monde, notamment pour son aspect historique, son intelligence, sa profonde humanité et son indéniable beauté. Car Jeury cisèle ses phrases et peaufine ses scénarios. Ici, pas de roue libre, mais l'œuvre habile d'un artisan du verbe qui sait pertinemment où il va et — surtout — où il emmène son lecteur... Quant au voyage, il est déroutant par endroits, mais il vaut largement le détour. Pour accompagner le novice comme l'habitué, les Moutons électriques ne font pas les choses à moitié : préface de Serge Lehman, analyse d'André-François Ruaud, préface à l'édition américaine du Temps incertain par Theodore Sturgeon himself, sans oublier la cerise sur le gâteau, une courte (ou moins courte, d'ailleurs) notice de Jeury en fin de volume expliquant le contexte (créatif, biographique, éditorial etc) de chaque nouvelle. Une véritable mine.
Au final, La Vallée du temps profond est un recueil important, dont l'ampleur et la densité permettent au lecteur d'y revenir régulièrement, tout heureux d'y trouver à chaque fois de nouveaux niveaux de lecture. Un recueil qui fait date, un recueil qui dure, c'est exactement la définition de « La Bibliothèque voltaïque ». Longue vie.