Appelez-les des « pièces de rechange ». Ils (ou elles) avaient fait un choix : la prison pour leurs crimes ou la semi-liberté comme serviteurs volontairement attachés à une personne particulière. Mais pour prix de ce singulier servage, leur contrat incluait l’obligation de faire don à leur maître de tout organe ou membre corporel dont la greffe s’avérerait nécessaire en cas de maladie ou d’accident. Tel était le risque. Joe Sagar employait des serviteurs de ce type dans la ferme où il élevait des animaux extra-terrestres. Sans se poser de questions. Mais quand Carioca Jones, célèbre star de la télévision, lui rendit visite, le fragile équilibre commença à se fissurer, dans cette société vivant sur une Péninsule post-cataclysmique.
Du post-apo punchy, ironique, captivant et paradoxalement « feel good ».
Disparu en 2005, Michael G. Coney, Canadien d'origine anglaise, fut l'un des grands noms du mouvement dit de "spéculative fiction", la SF engagée et littéraire des années 1970. Conçu avec l'auteur avant sa mort d'un cancer, ce volume n'a pas d'équivalent en langue anglaise : il réunit l'intégrale du cycle de la Péninsule, à savoir le roman Les Crocs et les griffes et quatre nouvelles dans le même monde. Avec une préface de Pierre Pelot, un article introductif de Jean-Pierre Andrevon et un entretien avec l’auteur.
1 - Pierre PELOT, Préface, pages 5 à 6, préface 2 - Les Crocs et les griffes (The Girl With a Symphony in Her Fingers / The Jaws That Bite, The Claws That Catch, 1975), pages 7 à 205, roman, trad. Jean-Pierre PUGI 3 - Au bon vieux temps du carburant liquide (Those Good Old Days of Liquid Fuel, 1976), pages 207 à 228, nouvelle, trad. Marc FÉVRIER 4 - La Machine de Cendrillon (The Cinderella Machine, 1976), pages 229 à 248, nouvelle, trad. Marc FÉVRIER 5 - La Catapulte et Les étoiles (Catapult to the Stars, 1977), pages 249 à 270, nouvelle, trad. Marc FÉVRIER 6 - Les Insectes de Feu, Holly et l'amour (Sparklebugs, Holly and Love, 1977), pages 271 à 289, nouvelle, trad. Marc FÉVRIER 7 - Jean-Pierre ANDREVON, Introduction à Michael G. Coney, pages 291 à 292, Introduction (lire ce texte en ligne) 8 - (non mentionné), Les Romans de Michael G. Coney, pages 292 à 292, bibliographie 9 - Eileen KERNAGHAN, Rencontre avec Michael G. Coney, pages 293 à 297, entretien avec Michael G. CONEY, trad. André-François RUAUD
Il est des livres qui enchantent le lecteur, au point que l'on se demande encore comment ils ont pu disparaître des librairies. Péninsule de Michael Coney est assurément de ceux-là. Ce très bel objet regroupe un roman (Les Crocs et les griffes — longtemps disponible chez Pocket) et quatre nouvelles situées dans le même univers. Ajoutez à cela une préface inédite de Pierre Pelot, une présentation de l'auteur par Jean-Pierre Andrevon lui-même ainsi qu'une interview de Michael G. Coney et vous avez là l'un des livres incontournables de ce début 2008. Avec, cerise sur le gâteau, la très belle couverture de Sébastien Hayez.
Joe Sagar habite la Péninsule, riche enclave située au milieu de nulle part. Il y élève des slictes. La peau de ces reptiles sert à faire des bracelets et des habits. Elle a en effet l'étrange capacité de changer de couleur selon les émotions de celui qui la porte. Cette propriété intéresse beaucoup sa voisine Carioca Jones, une ex-star de cinéma. Elle lui commande une robe. Joe ne sera pas pour autant débordé. Il bosse en dilettante, l'essentiel du travail étant effectué par sa PDC.
PDC, comme pièce détachée corporelle. Ce sigle sinistre désigne un prisonnier qui a choisi de voir réduite sa peine d'un tiers. Pour se faire, il est confié à un homme libre dont il devient le serviteur. A ceci prêt qu'en cas d'accident, toute greffe d'organe, de membre ou autre sera prise sur la PDC. Pour les citoyens libres ne disposant pas d'une PDC, il y a la Banque d'organes. Elle fonctionne par les prélèvements faits sur des prisonniers, selon les besoins. Strictement encadrée par l'Etat, cette politique évite aux contribuables de payer pour que les prisonniers soient entretenus dans l'oisiveté. Pourquoi dès lors les honnêtes gens ne se risqueraient-ils pas aux sports extrêmes ? Les risques sont couverts par les PDC, alors peu importent les mutilations, les fractures ou les amputations. Il n'y a guère qu'une poignée de pétroleuses pour dénoncer ces pratiques que presque tout le monde accepte. Car nous ne sommes pas sur Shayol, qu'on se le dise. Il n'y a pas d'échappatoire ou de bons démiurges. Les hommes sont livrés à eux-mêmes, à leur sagesse comme à leur horreur.
Au-delà de l'anticipation, la S-F apparaît en background. La Péninsule est une oasis née d'un cataclysme, l'humanité a colonisé d'autres planètes (dont celle d'où viennent les slictes). Mais tout cela est simplement évoqué. La substantifique moelle, ce sont les relations entre Joe, Carioca et leurs PDC.
Cela vaut d'ailleurs aussi bien pour le roman que pour les quatre nouvelles. L'éditeur nous signale d'ailleurs que l'auteur n'a pas eu le temps de retravailler ces nouvelles, qui entrent parfois en contradiction avec le roman. Mais cela ne gâche absolument rien, bien au contraire. Les nouvelles apparaissent plutôt comme des fins alternatives façon DVD, ou des « alternate takes » façon CD.
On y découvre même une autre facette de Michael G. Coney (écrivain disparu, rappelons-le, en 2005). Il utilise en effet de façon redoutable l'ellipse et le laconisme. La chute de la deuxième nouvelle, « La Machine de cendrillon », en est la parfaite, remarquable et redoutable illustration.
Nouvelles comme roman, la noirceur y est totale, mais jamais grandiloquente. Bien au contraire. Elle est d'autant plus banale qu'elle en devient terriblement crédible. Le récent démantèlement par Interpol d'un trafic d'organes en Inde est là pour nous le rappeler.
Il est bien connu que nous aimons toujours chercher la petite bête. S'il faut vraiment en trouver une, on dira qu'il reste encore quelques coquilles. Mais rien de bien méchant : on sent que les Moutons sont sur la bonne voie en la matière.
En à peine quelques titres, cette « Bibliothèque voltaïque » s'annonce déjà incontournable. Car outre le bon goût littéraire, elle n'a pas peur de nous offrir des couvertures qui ont vraiment de la gueule. Ce qui nous change singulièrement des étrons chatoyants d'une Paternoster1.