Et si Moïse avait dû comprimer le récit de la création du monde de quinze milliards d'années à six jours à cause du prix, bien évidemment exorbitant, du papyrus ? Quant à la mémoire totale, est-ce bien une bonne idée ? Et l'immortalité, récompense réelle ou cadeau empoisonné ? Sans oublier le problème de la lévitation et celui plus délicat de la rotondité de la Lune...
1 - Introduction (Introduction, 1983), pages 7 à 7, introduction, trad. Monique LEBAILLY 2 - Au prix du papyrus (How It Happened, 1979), pages 9 à 12, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 3 - Bon goût (Good Taste, 1976), pages 13 à 40, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 4 - Certitude (Sure Thing, 1977), pages 41 à 44, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 5 - Crédible (Belief, 1953), pages 45 à 90, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 6 - De peur de se souvenir (Lest We Remember, 1982), pages 91 à 131, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 7 - La Dernière navette (The Last Shuttle, 1981), pages 133 à 139, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 8 - La Dernière réponse (The Last Answer, 1980), pages 141 à 152, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 9 - D'un coup d'œil (To Tell at a Glance, 1983), pages 153 à 184, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY 10 - Les Idées ont la vie dure (Ideas Die Hard, 1957), pages 185 à 211, nouvelle, trad. Monique LEBAILLY
Textes de commande, textes ultracourts, textes oublié pendant des années ou écrit en 1957, rendu obsolète dès 1968 par le premier vol circumlunaire... Cela ressemble à des fonds de tiroir. C'en est. Mais on en redemanderait. Parce que c'est Asimov : logique imperturbable, mauvaise foi et décalages souriants.
L'ultra-court peut ne faire qu'amener un calembour si nul que Dunyach, Brèque ou votre serviteur rougiraient (de ne pas l'avoir commis — même s'il faudrait le garder pour la fin). Il peut aussi ravager l'histoire et les religions en montrant la révélation reçue par Moïse, tout à fait scientifique mais devenue la Genèse pour d'incontournables raisons. Les textes de commande peuvent valoir pour leur chute justifiant un titre imposé — de quoi réjouir Andrevon, chantre d'une Terre débarrassée des humains. Ils peuvent aussi recycler des enquêtes des Histoires mystérieuses en les liant au tri/bicentenaire des États-Unis. La commande peut aussi avoir laissé toute liberté à l'auteur, avec des pirouettes sur une résurrection très sélective et le caractère insupportable de l'éternité, ou avec un projet ensablé à Hollywood, à base de drogue conférant la mémoire absolue et de conséquences sur le cobaye humain, les structures de son entreprise, son couple, ses collègues limogeables, etc. Ajoutons pour le principe, sinon pour la bonne bouche, des sociétés développées dans des stations orbitales et envisagées sous le seul angle des tabous gastronomiques. Restent les textes un temps placardisés, le vol circumlunaire susmentionné, document de son époque mais après coup plus ou moins intégrable à des productions récentes où l'univers est tel que le croyaient les Anciens. Plus, sur fond de bonne connaissance des petitesses universitaires, les difficultés d'un physicien s'évertuant à faire admettre à ses collègues et à quelques bureaucrates son inexplicable capacité de lévitation...
On l'a compris, on s'amuse. Et la légèreté ne saurait être un défaut, contrairement à la lourdeur (même celle du critique) : passer de bons moments n'est pas un objectif négligeable !
Tiraillé entre sa profession de biochimiste et celle d'écrivain de SF, Isaac Asimov n'en continue pas moins à produire régulièrement des recueils de nouvelles d'égale qualité. En dehors de quelques romans importants qui ont contribué à sa célébrité, son terrain de prédilection reste la nouvelle. Il en a écrit plusieurs centaines et n'est pas près de s'arrêter : ce recueil en témoigne. Les neuf récits qui le composent sont des textes récents qui s'échelonnent de 1976 à 1982 à l'exception de deux récits qui datent des années 50 mais qui n'avaient jamais fait l'objet d'une publication en volume.
Tous les thèmes familiers d'Asimov se retrouvent dans ces pages qu'on a plaisir à lire. L'humour est omniprésent ; aucun des neuf récits n'y échappe. Que ce soit « Au prix du papyrus », « Certitude », « Les idées ont la vie dure », ou encore ce texte succulent à déguster avec ses papilles gustatives et qui s'intitule « Bon goût ». Le ton de ces récits rappelle parfois celui des univers sheckleyiens. Mais Asimov sait aussi faire preuve d'une réflexion philosophique. Dans « La dernière réponse », se dégagent des préoccupations métaphysiques puisque le texte pose le problème de l'immortalité, de la vie éternelle. L'éternité conçue dans l'optique anthropocentrique ne débouche-t-elle pas en fin de compte sur l'enfer ? Dans « Crédible », Asimov s'en prend au rationalisme, à la méthode scientifique. Quoi de plus normal de la part du Docteur Isaac Asimov ? « De peur de se souvenir » est une mise en garde contre les dangers d'une mémoire trop infaillible et du risque de déshumanisation qui peut en découler. Enfin, autre facette du talent d'Asimov : l'intrigue policière qu'illustre « D'un coup d'œil ».
Malgré ses 65 ans, Isaac Asimov n'a rien perdu de ses qualités littéraires et narratives. Ces neuf récits démontrent qu'Isaac Asimov reste encore une grande valeur de la science-fiction d'outre-Atlantique, contrairement à d'autres de son âge qui n'en finissent plus de sombrer dans la sénilité littéraire. Souhaitons seulement que les éditions Denoël nous redonnent d'autres recueils dans la même veine. Pour notre plus grand plaisir.