Jour de fête au pays de Lancre : Vérence (ex-membre de la Guilde des Fous) et Magrat (ex-sorcière), le couple royal, vont baptiser leur petite fille. Vérence a invité bon nombre de familles nobles du coin mais il a commis une erreur de taille en conviant les Margopyr, vieille famille de vampyres du royaume voisin. Lassés de leur vieux château, ces vampyres amateurs de vin rouge ont bien l'intention de s'installer à demeure à Lancre. Les sorcières Mémé, Nounou et Agnès sont décidées à leur faire la peau. Mais comment combattre des vampyres qui mangent des petits fours à l'ail et se baignent dans l'eau bénite ?
Il y a bien longtemps que nous n'avions pas critiqué un opus du « Disque-Monde », la dernière fois c'était dans le numéro 8 avec un papier sur l'excellent Le Faucheur (« Annales du Disque-Monde » T.11), ce qui ne nous rajeunit pas... Profitons donc de la sortie récente de Carpe Jugulum chez l'Atalante pour revenir sur l'un des meilleurs « Disque-Monde » traduit ces dernières années, Les Tribulations d'un mage en aurient — opus qui sera réédité en février prochain chez Pocket, à pas cher, donc.
En Chine, sur notre chère bonne vieille planète Terre, on entend parfois la malédiction suivante : « Puisses-tu vivre des moments passionnants ». Dans l'empire agatéen du Disque-Monde, cette même malédiction existe elle aussi, mais il y a plus : une grande muraille, des samouraïs, un empereur à l'article de la mort, cinq familles qui se préparent à prendre la place du vieux souverain, des complots (avec ou sans poison), des légendes au sujet d'un grand mage et d'une armée rouge... Parmi les cinq familles comploteuses et citées infra se trouve le seigneur Hong, qui fait tout à la perfection jusqu'à ce que l'idée lui vienne d'inviter Rincevent à participer à sa conspiration d'une fort grande originalité : « je veux être empereur à la place de l'empereur ». Erreur fatale ; là où Rincevent passe, le Bagage suit, les ennuis arrivent en avance et les catastrophes tombent du ciel, dans la soupe et les culottes, comme des abeilles traitées au Gaucho !
Pour ce 17e opus des « Annales du Disque-Monde », tous les héros ou presque de la trilogie fondatrice (La Huitième couleur, Le Huitième sortilège et la Huitième fille) sont de retour : Rincevent et Deuxfleurs (le maje et le touriste), le Bagage mangeur de requins, Cohen le barbare (le seul barbare connu faisant moins d'un mètre cinquante), LA MORT (certifiée chromosomes XY, attention à ce que vous dites...) et les autres archétypes incarnés. Tout ça est fort réjouissant, souvent drôle, parfois hilarant. On regrettera, comme toujours chez Pratchett, des scènes un peu confuses, des ellipses assez mal maîtrisées, mais ne boudons pas notre plaisir, ce « Disque-Monde » est un grand cru, surtout pour ceux que l'Extrême-Orient passionne.
Avec Carpe Jugulum (ce qui doit vouloir dire « cueille la gorge » si mon latin ne me trahit pas !), 24e volume des « Annales du Disque-Monde » et dernier opus de la série paru par chez nous 1, Terry Pratchett s'intéresse aux vampires, les confrontant à ses récurrentes sorcières post-shakespeariennes : Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et Agnès Créttine. Si le récit situé dans le pays de Lancre met plus de cinquante pages à démarrer (début fastidieux qui rappelle celui, tout aussi fastidieux, des Zinzins d'Olive-Oued), après c'est du tout bon, ou presque : les vampires et surtout leur serviteur Igor sont à mourir de rire, l'hommage au Bal des Vampires de Polanski (lui aussi fasciné par Shakespeare, il n'y a qu'à voir son sanglant Macbeth) est permanent, et la lutte vampires progressistes (qui s'essayent au vin rouge) contre sorcières irascibles sur fond de monarchie miteuse se révèle délicieuse.
Outre le début fastidieux de Carpe Jugulum, une autre ombre vient noircir le tableau de cette lecture qui devrait être totalement réjouissante : celle de la traduction, qui visiblement aurait mérité d'être travaillée avec un peu plus d'énergie. Si elle est dans l'ensemble excellente sur Les Tribulations d'un mage en aurient (juste quelques pétouilles ça et là), elle est en revanche particulièrement peu inspirée sur Carpe Jugulum où nombre de phrases sont écrites dans un français approximatif ou lourdingue (surtout quand intervient Nounou Ogg). Ça fait des années que l'on m'explique que Terry Pratchett est très mal traduit selon les uns, très bien selon les autres ; n'ayant jamais eu les bouquins anglais sous la main, je ne peux vérifier de telles assertions, mais une chose est sûre, si Carpe Jugulum est très bien traduit, alors c'est que monsieur Pratchett l'a écrit avec un balai (de sorcière, cela va sans dire).
Notes :
1. Avant-dernier en fait, puisque Le Cinquième éléphant paraît au moment où nous mettons sous presse. [NDRC]
Trolls et golems, elfes et nains, djinns et lutins, zombies et loups-garous, mages et sorcières, tout ce qui vit en terres de fantasy finit un jour ou l'autre par tomber sous la moulinette ravageuse de Terry Pratchett. Il fallait bien s'attendre à ce que les vampires y passent aussi. C'est chose faite avec ce vingt-quatrième volume des « Annales du Disque-Monde », qui nous replonge au cœur du petit royaume de Lancre, paisible contrée montagnarde qui continue son chemin à travers le siècle de la Roussette aussi normalement que faire se peut sur ce monde aussi déjanté que rond et plat...
Il était une fois... un petit roi et une jeune reine qui s'aimaient d'amour tendre. Résolument moderne, diplomate et optimiste, bref, naïf, le roi fit organiser une grande fête pour le baptême de leur premier enfant, en prenant garde de n'oublier personne : prêtre, sujets, amis, voisins, bonnes fées, sorcières... Personne. Pas même l'élégant Comte Margopyr et sa famille de vampires (pardon, de vampyres, restons modernes) venus tout droit de l'Überwald voisin et invités à titre diplomatique par le roi Vérence. Il n'est pourtant pas besoin d'être coiffé d'un chapeau noir et pointu pour savoir qu'il peut être légèrement risqué d'inviter un vampire chez soi. A plus forte raison quand le « chez soi », dans le cas d'un roi, s'avère être le royaume tout entier.
En quelques heures, l'affaire est entendue : avec tous les occupants du château, famille royale incluse, soumis à leur irrésistible volonté, les Margopyr n'ont plus besoin que d'un peu de temps, d'organisation et d'une bonne gestion des ressources humaines pour faire main basse sur le royaume de Lancre. Seules les sorcières pourraient peut-être y changer quelque chose... Mais allez donc réunir un convent quand son membre le plus éminent manque à l'appel : Mémé Ciredutemps, terriblement vexée de ne pas avoir trouvé son invitation pour le baptême, s'en est exilée de rage. Ce qui ne risque pas de donner confiance en soi à Agnès Créttine, jeune sorcière affligée d'un léger défaut de personnalité ; ni d'améliorer l'humeur d'une Nounou Ogg déjà plus qu'agacée par la présence à Lancre d'un prêtre Omnien — ces gens-là sont-ils bons à autre chose qu'à brûler des sorcières ?
Comment, dans ces conditions, espérer bouter les vampyres hors de Lancre, des vampyres qui, fruit d'un long entraînement, font fi de leur conditionnement ? L'ail est doux à leur palais, ils collectionnent les symboles religieux et s'essaient au vin. Même dépareiller leurs paires de chaussettes ne leur cause qu'un désagrément passager. Il reste bien l'eau bénite. Ça les mouille...
Tout semble donc perdu. A moins que Magrat n'échange pour un temps ses atours de reine pour sa robe de sorcière. A moins que ce ridicule petit prêtre d'Om ne s'avère utile à quelque chose. A moins que cette horde de schtroumpfs Nac mac Feegle surarmés qui au même moment déferle sur Lancre ne puisse être de quelque secours. A moins... A moins qu'on ne parvienne à retrouver Mémé. Et vite.
Les vampires du Disque-monde évoquent davantage les elfes des mêmes contrées, mauvais, manipulateurs et mesquins, que les créatures édulcorées à la mode, fruits de l'union de Danielle Steele et Lestat. Ils n'ont pas plus de morale que l'homme politique moyen et, sûrs de leur supériorité, n'en perdent pas moins tout vernis de civilisation dès lors qu'ils se mêlent de s'y mêler. Pour le reste, pas besoin de forcer le trait : l'image du vampire est trop enlisée dans de mauvaises séries B et autres bons nanars pour qu'il soit besoin d'en rajouter. Et de fait, ce Carpe jugulum lorgne plus du côté du Bal des Vampires que d'Anne Rice ou Bram Stoker — ce qui n'empêche pas Pratchett d'égratigner ces deux derniers, et bien d'autres, au passage.
Mais sous la parodie affleure la veine satirique et pamphlétaire des « Annales du Disque-monde », trop saillante pour la refuser à des vampires. Terry Pratchett, pas plus que Mémé Ciredutemps, ne saurait oublier qu'excès de pouvoir et foi aveugle et bornée font toujours bon ménage : à travers la domination mentale que Margopyr et les siens exercent sur leur entourage, il s'attaque surtout cette fois-ci à tout ce qui, dogme ou système, dieu ou humain, n'a de cesse d'aliéner, de soumettre, d'exploiter... de « transformer les gens en objets ».
Carpe jugulum semble aujourd'hui clore le cycle des sorcières, qu'on ne retrouvera plus qu'au détour des romans « jeunesse » du « Disque-monde ». Les vampires, quant à eux, réapparaîtront au fil des tomes suivants pour s'installer définitivement, tout aussi savoureux et hilarants que les autres créatures du Disque.
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesJean-Pierre Fontana : Sondage Fontana - Fantasy (liste parue en 2002) pour la série : Disque-Monde (les annales du)