Parij n'avait pas convaincu les fans de SF. Mais Eric Paye a d'autres livres à son actif, une thèse où, sans se limiter au genre, il n'écrit pas de bêtises sur lui (Dans les laboratoires du pire, totalitarisme et fiction littéraire au XXe siècle, José Corti, 1 993), et, à côté d'essais sur Ismaïl Kadaré, ce roman, publié d'abord chez Stock en 1999.
On est sur la Lune, en 2029, dans la base européenne peuplée de savants dont les noms renvoient à Jules Verne. Un télescope géant permet d'observer la Terre, et de voir jusqu'à un enfant dans une cour d'école. Et ce Big Brother prêt à s'armer de lasers inquiète assez pour qu'un réseau secret de savants veuille le saboter. Une allusion à Chomsky et quelques tirades sur une démocratie mondialisée supposée être le comble du totalitarisme semblent renouvelées de la science-fiction politique d'il y a vingt ans, revue par José Bové, mais on a aussi les arguments inverses. Et surtout, le récit préserve l'ambiguïté, d'autant que des masques et des rôles ne peuvent que permuter dans une affaire d'agents doubles. C'est une littérature non pas consolatoire, mais dérangeante. Tant mieux. Et cela n'interdit pas le suspense, même dans la seconde partie du roman, pourtant en flash-back, à partir d'un aboutissement funèbre dont on découvre les causes, sans être à l'abri d'un rebondissement, assez différent il est vrai de la tradition du roman-feuilleton.
S'y ajoutent des considérations sur les effets de la conquête spatiale, et du spectacle de la Terre vue d'en haut. Et puis une intrigue psychologique, avec moins la maîtresse « lunaire » du personnage principal que son ex-épouse et leur fils, vus d'en haut, de cour d'école en vacances, du Sud-Ouest à Cancale, de regrets en jalousie tant il est dur de voir « l'autre » refaire sa vie, et tentant de déléguer à l'enfant la tâche d'éjecter poliment un intrus. Ce n'est pas ce qui intéressera le fan, mais contribue à la richesse d'un livre qui sans marquer une étape dans la SF, relève bien du genre, et est tout aussi acceptable par nous, ses amateurs, que par ceux qui le dénigrent a priori.