Isaac ASIMOV Titre original : I. Asimov: A Memoir, 1994 Première parution : New York, USA : Doubleday, avril 1994 Traduction de Hélène COLLON Illustration de Éric SCALA
GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 159 Dépôt légal : juillet 2004 Biographie, 626 pages, catégorie / prix : F11 ISBN : 2-07-031302-6 Genre : Science-Fiction
À sa disparition en 1992, à l'âge de soixante-douze ans, Isaac Asimov laissait en héritage à la foule de ses admirateurs le compte rendu détaillé d'une existence bien remplie : la présente autobiographie.
L'auteur qui aura sans doute le plus marqué la science-fiction moderne, jusqu'à se confondre pratiquement avec elle, y retrace son enfance de jeune émigré russe à Brooklyn, les innombrables lectures qui devaient faire de lui une encyclopédie vivante, sa carrière orageuse de professeur de biochimie et, bien sûr, son itinéraire d'écrivain.
Un ouvrage indispensable pour comprendre cinquante ans d'évolution d'un genre littéraire dont Asimov, par ses rencontres et son implication, fut un témoin privilégié.
Figure emblématique et tutélaire de la science-fiction, Isaac Asimov (1920-1992) s'est imposé comme l'un des plus grands écrivains du genre par l'ampleur intellectuelle de ses créations littéraires. Il se rendit mondialement célèbre grâce aux séries Fondation et Les Robots.
Critiques
Allez, petite introduction taquine en forme d'hommage au « bon docteur ». Moi, Asimov, 626 pages, près de 1 200 000 signes, 166 chapitres, 23 portraits, 4 remarques égocentriques par page soit plus de 2400 au total et 1'illustration de Garfield en toute fin ! Arrogant, immodeste, vaniteux, orgueilleux, Asimov aimait compter ses efforts : « En l'espace de quarante années j'ai publié un texte tous les dix jours en moyenne. Pendant la seconde moitié de ces quarante ans, j'ai publié un article tous les six jours en moyenne. En l'espace de quarante années, j'ai publié en moyenne mille mots par jour. Pendant la seconde moitié de ces quarante ans, j'ai publié en moyenne mille sept cents mots par jours » ! Un brin obsédé, le garçon ! Jeu de mot asimovien, une machine à écrire ! A la question : comment devient-on un auteur très prolifique, il répondait : « La condition nécessaire est d'avoir la passion de l'écriture »en devenir« [...] j'entends qu'on doit se passionner pour tout ce qui entre dans le processus, de la conception au point final. On doit aimer profondément l'action même d'écrire, le grattement du stylo sur la feuille blanche, le martèlement des touches de la machine à écrire ou le spectacle des mots s'étalant progressivement sur un écran d'ordinateur. » Et c'est cette passion qu'il nous invite à partager dans cet ultime livre qui ne sera publié qu'après sa mort survenue en 1992. Organisé en chapitres courts, plus thématiques que chronologiques, ce livre balaye les soixante-dix années de la vie d'Asimov, de son enfance de juif russe immigré aux Etats-Unis, en passant par ses débuts d'écrivain dans les magazines pulps, jusqu'à la consécration du Grand Master Award. Cette autobiographie est essentielle à plus d'un titre. D'abord parce qu'elle nous donne à voir l'évolution du travail d'écriture d'Asimov, des premiers essais dans les comics jusqu'à l'aboutissement d'œuvres majeures comme « Fondation » et le cycle des « Robots ». Ensuite parce qu'elle couvre une période assez vaste pour nous donner une photographie intéressante de l'évolution du genre, en tout cas aux Etats-Unis. Enfin parce qu'elle nous permet de découvrir des facettes méconnues de l'auteur, sa carrière universitaire plutôt tumultueuse, son goût pour les limericks (petits poèmes humoristiques), sa relation au monde de l'édition (idéalisée, sans doute), ses productions d'ouvrages de vulgarisation scientifique, son goût pour un humour « cruel » notamment présent dans Azazel, ses convictions politiques, libérales et humanistes, etc. Classique pour ce type d'ouvrage, on retrouve également des éléments plus personnels : mariages, vieillesse, maladie... chacun jugera de son propre intérêt à la lecture de ces chapitres. En tout cas, l'épilogue écrit par Janet Asimov après la mort de son mari est assez bouleversant. Seul petit bémol, mais c'est finalement révélateur de l'œuvre d'Asimov, on retrouve dans cet ouvrage la confusion entre quantité et qualité. On est d'abord transporté par tant de fluidité, de facilité de lecture, de jubilation dans la découverte d'une vie exceptionnelle. On aurait presque l'impression d'être devant un bon feu de cheminée, assis à côté du patriarche nous comptant ses anecdotes croustillantes. Mais cette lecture ludique et familière s'avère assez rapidement un peu sèche et on retrouve les défauts d'écriture souvent opposés à Asimov. Ses personnages sont froids, sans beaucoup d'âme, et ne parlons même pas des émotions. Il en est de même pour ses portraits d'écrivains (Williamson, Simak, Silverberg...) ou d'éditeurs (Campbell, Del Rey...). Quant à sa famille, les passages concernant ses enfants sont effroyables de distance (en particulier en ce qui concerne son fils). Pour autant, Moi, Asimov est une contribution essentielle : que l'on aime ou pas l'œuvre romanesque d'Isaac Asimov, nous avons entre les mains un témoignage certes orienté, mais riche d'une bonne partie de l'histoire du genre. Un éclairage précieux pour tout fan de SF. Moi, Asimov fait partie de ces livres dans lesquels on pioche avec jubilation pour en relire quelques passages. Un incontournable dans toute bibliothèque de l'Imaginaire qui se respecte, une manière de must, en somme.
Tant qu'à ce qu'un monument soit érigé à un auteur qui est lui-même un monument, autant que ce soit par l'intéressé. D'où cette autobiographie. Écrite avec une immodestie dont l'auteur joue fort bien, lui qui annonce au premier chapitre que, selon d'aucuns, il a « un ego de la taille de l'Empire State Building » — phénomène courant mais le plus souvent moins justifié. Cela donne un livre qui exaspérera ceux qui ne voient pas les failles à peine cachées sous la fausse auto-complaisance, et réjouira les autres, pour qui les nombreuses pages sur les œuvres de l'auteur seront autant de petites madeleines. Pour ceux qui ne sont pas inconditionnels, même s'ils ont tort, on signalera une vingtaine de chapitres en forme de portraits, de Frederik Pohl à Robert Silverberg et de Robert Heinlein à Harlan Ellison. Et en prime, parce qu'il n'y a pas tout à fait que la SF dans la vie, l'histoire d'un immigrant arrivé enfant, en 1924, aux États-Unis, et une vision d'une université où le discours du mérite peut camoufler l'éternel autoritarisme des médiocres. Et surtout l'autoportrait d'un libéral — sans rapport avec le raffarino-seilliérisme : on peut se réjouir de phrases comme « Il est facile de croire que l'individu ne doit pas être assisté par la société quand on n'a pas besoin d'assistance soi-même », et de la capacité à regarder de loin les nations en s'inquiétant du « désir irrépressible de s'éradiquer mutuellement » qu'elles engendrent, comme à rappeler les « problèmes écologiques majeurs qui font planer sur la civilisation une menace d'anéantissement imminent » tout en égratignant « les écologistes intarissables sur la pureté de l'atmosphère qu'ils contribuent pourtant à polluer en fumant du tabac »...
Seul vrai reproche, dans cette réédition de réédition, une note aurait pu rectifier la version donnée de la maladie qui emporta l'auteur, puisqu'on sait aujourd'hui (cf. Galaxies n°25, p. 146) qu'il s'agissait du sida, contracté lors d'un triple pontage, détecté en 1989 et tenu secret, soit que les médecins aient fait pression, soit que, comme le dit son épouse Janet, « à cette époque j'ai entendu même des gens instruits dire qu'ils auraient peur de toucher un malade »...
Avec un minimum de mauvaise foi, on considérera comme un essai, ou une annexe de l'autobiographie, Flûte, flûte et flûtes !1 Après tout, une trentaine de pages de commentaires accompagnent dix nouvelles, sans doute mineures, semblant parfois n'avoir été écrites que pour justifier un calembour, mais justement légères, agréables, voire euphorisantes, alors même qu'il peut y être question du néant, d'une fin du monde, de la capacité de l'être pensant à s'auto-détruire à coup de bombes atomiques ou par tout autre moyen. La couverture annonce la couleur, et nul ne se sentira volé. Sauf ceux pour qui « distraction » est un gros mot, ou les descendants directs de lézards chasseurs armés — ce sont peut-être d'ailleurs les mêmes.
Notes :
1. Réédité au même moment dans la même collection [note de nooSFere].
« En
l'espace de quarante années, j'ai publié en moyenne
mille mots par jour
Pendant la
seconde moitié de ces quarante ans, j'ai publié mille
sept cents mots par jour. «
C'est quasiment sur ces
mots, retrouvés après sa mort par son épouse
Janet et relatés par elle dans l'épilogue, que se
termine cette autobiographie du « bon
docteur » Asimov.
Et ils constituent un bon
résumé de l'impression qu'elle me laisse. Isaac Asimov
était-il humain ? Ou n'était-il qu'une
machine logique, un robot à écrire ? On peut
se le demander, puisque sa seule ambition, son seul plaisir
était apparemment d'écrire, d'écrire et encore
d'écrire. Il plaçait principalement son orgueil dans sa
prolificité (rappelons au lecteur français qui ne
connaît guère que ses ouvrages de SF qu'Asimov a
également produit d'innombrables ouvrages de vulgarisation),
sans trop se poser de questions sur la qualité de sa
production, comme s'il la confondait avec la quantité.
Ce livre est en tout
cas typique de l'auteur, puisqu'on y retrouve les défauts et
les qualités de nombre de ses fictions. Le style est
plaisant, familier, l'auteur se livre sans fausse modestie ni fausse
pudeur et met facilement le lecteur « dans sa
poche » en lui parlant comme à un vieil ami. Ceux
qui lisent les chapeaux de présentation dont Asimov est
coutumier dans ses recueils de nouvelles se retrouvent ici en terrain
connu.
Il nous
raconte son enfance de pauvre immigré russe, sa certitude
précoce d'être plus doué que la moyenne (le titre
du premier chapitre est d'ailleurs
Surdoué ?), son désir initial de
devenir historien, ses études, ses débuts dans la SF, sa
réussite, ses mariages, ses livres, ses échecs... avec
force anecdotes et dans un ordre vaguement chronologique qui peut
d'ailleurs se révéler parfois déroutant (on a
beau être prévenu dans l'introduction qu'on a entre les
mains une narration rétrospective et impressionniste plus que
chronologique, on peut se laisser surprendre par la
« réapparition » d'une personne
dont il a déjà narré les derniers jours quelques
chapitres auparavant).
Mais si, comme dans ses
fictions, Asimov parvient à nous impressionner avec sa palette
d'humour, d'ironie, de cruauté, de tendresse, son cocktail de
sincérité et d'immodestie, il ne parvient pas à
nous émouvoir réellement. Ce qui est quelque peu
gênant dans une autobiographie où tous les personnages
sont des êtres humains de chair et de sang, qui ont
réellement existé,. Ainsi, ses nombreux portraits de
personnalités de la SF américaine - écrivains
(Silverberg, Kornbluth, Pohl, Heinlein, Sturgeon...) ou
éditeurs (Del Rey, Campbell, Boucher...) - restent
superficiels, anecdotiques. Pas assez fouillés. De même,
Asimov se réfère souvent aux valeurs inculquées
par son père, un immigré russe juif orthodoxe qui a
travaillé très dur et tout sacrifié pour ses
fils, s'accomplissant ainsi à travers eux... et ce père,
qui a sans nul doute été un élément
capital dans la formation de la personnalité d'Asimov, nous
reste un étranger.
Asimov lui-même,
d'ailleurs, nous reste un étranger. Ce n'est pas
l'évocation rapide de deux ou trois facettes de sa conception
de la vie qui parvient à nous faire connaître
l'homme.
Dommage ! Car
la frustration en est d'autant plus grande. Nous avons là un
être humain qui sort manifestement de l'ordinaire, qui a
vécu le mythique âge d'or de la SF et y a
participé activement... et cet être humain, nous aurions
aimé le connaître vraiment.
Reste que, comme je le
disais, on tourne page après page sans se lasser, ce qui n'est
déjà pas si courant ! Et puis, il faut bien
que je le confesse : je n'ai jamais vraiment
apprécié Asimov ni compris son succès. Ce qui
m'induit à penser que les amateurs d'Asimov prendront à
son autobiographie un bien plus grand plaisir que moi.
Le bon docteur Asimov nous a quittés en 1992 à l'âge de soixante-douze ans. Il laissait en héritage aux anciennes et futures générations de lecteurs près de quatre cent cinquante ouvrages de science-fiction, de vulgarisation scientifique, d'analyse littéraire et de guides en tous genres. Asimov, l'auteur le plus important et le plus prolifique de la SF américaine, jouissait d'une réputation de génie de la vulgarisation et d'immodeste patenté. À titre d'anecdote, un écrivain américain (Mea culpa, je ne sais plus lequel. Réaction des lecteurs de Galaxies : « Hooouuu ! ») racontait récemment : « Une nuit, j'ai rêvé que j'étais Isaac Asimov. Ma femme a lutté toute une journée pour me convaincre de ne pas me présenter au poste de Président des États-Unis. »
Auteur d'une première autobiographie en deux volumes (inédite en France), In Memory Yet Green (1979) et In Joy Still Felt (1980), Asimov avait décidé de récidiver au crépuscule de sa vie — sur les conseils de sa femme Janet — avec ce jouissif Moi, Asimov, un titre expéditif et fort bien adapté au personnage. En 166 courts chapitres, Asimov dévoile les moments importants de sa vie de jeune immigré russe dans l'Amérique des années 20, de professeur de biochimie atypique et d'écrivain talentueux et boulimique. Mieux, il réécrit l'histoire de la science-fiction américaine (des Futurians aux pulps, de l'Âge d'or aux années 80), brosse des portraits savoureux de nombreux grands noms (Kornbluth, Campbell, Heinlein, Sturgeon, Clarke, Ellison, Silverberg...), idéalise certes beaucoup les relations auteurs-éditeurs, égratigne volontiers le fandom US et certains de ses membres. Avec beaucoup de sincérité, de tendresse ou d'ironie, de cruauté ou de gentillesse, de sérieux ou d'humour, le bon docteur nous captive dès les premières pages et nous ouvre grandes les portes des coulisses du milieu éditorial et du métier d'auteur, sans concession et avec talent.
Moi, Asimov, plus qu'une autobiographie réussie, est le témoignage d'une époque, de l'Histoire d'un genre, d'un voyage au cœur de l'intimité d'un créateur. Accro, le lecteur se laisse vampiriser par ces tranches de vie diablement émouvantes et ressort secoué, après la lecture de l'épilogue signé par Janet Asimov. Il se prend à regretter de ne pas avoir connu ce grand homme, à vouloir redécouvrir l'œuvre de ce monstre sacré et à replonger dans les grands classiques des écrivains de l'Âge d'or. Ce formidable ouvrage fera les délices des enragés de la SF, mais se lira aussi avec le même plaisir et la même fascination par tous ceux qui n'ont jamais goûté la prose d'Asimov.
Véritable thérapie du bonheur contre la morosité ambiante, formidable cure de vitamines pour les défaitistes, cette autobiographie possède des vertus médicinales pour tous ceux qui enterrent la science-fiction ; elle se lit sans modération et provoque des bouffées d'espoir. À dévorer d'urgence, donc.