Site clair (Changer
 
    Fiche livre     Connexion adhérent
American Gods

Neil GAIMAN

Titre original : American Gods, 2001
Première parution : William Morrow, 2001
Cycle : American Gods vol. 1 

Traduction de Michel PAGEL

J'AI LU (Paris, France), coll. Fantasy (2007 - ) n° 7350
Achevé d'imprimer : 14 avril 2014
Réédition
Roman, 608 pages, catégorie / prix : 8,90 €
ISBN : 978-2-290-08839-5
Format : 11,0 x 18,0 cm
Genre : Fantasy

Illustration de couverture : Getty Images / Studio J'ai Lu.



Ressources externes sur cette œuvre : quarante-deux.org
Ressources externes sur cette édition de l'œuvre : quarante-deux.org

Quatrième de couverture

À peine sorti de prison, Ombre rencontre Voyageur, un personnage intrigant. Dieu antique, comme le suggèrent les indices énigmatiques qu’il sème à longueur de temps, fou furieux ou bien simple arnaqueur ? En quoi consiste le travail qu’il propose à Ombre ? En acceptant d'entrer à son service, ce dernier plonge au cœur d'un conflit qui le dépasse, opposant héros mythologiques de l’Ancien Monde et nouvelles idoles profanes de l’Amérique. Mais comment savoir qui tire véritablement les ficelles : ces entités légendaires saxonnes issues de l’aube des temps ou les puissances du consumérisme et de la technologie ? À moins que ce ne soit le mystérieux M. Monde...

NEIL GAIMAN
Neil Gaiman est né en 1960. Scénariste de bandes dessinées (The Sandman), il s’est rapidement imposé comme l’un des meilleurs écrivains de la nouvelle vague du fantastique anglo-saxon. On lui doit les très remarqués Neverwhere, Miroirs et fumées, Stardust, De bons présages et Anansi Boys, qui fait suite au présent roman.

Prix Hugo 2002, meilleur roman
Prix Nebula 2002, meilleur roman
Prix Locus 2002, meilleur roman de fantasy
Prix Bram Stoker 2002, meilleur roman
Prix Bob Morane 2002, meilleur roman étranger

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition J'AI LU, Fantastique (2000 - 2007) (2004)

     Le palmarès de ce roman de Neil Gaiman (un auteur qui, depuis quelque temps, termine rarement une année sans avoir raflé un ou deux prix littéraires) a de quoi retenir l'attention, et son éditeur compte visiblement sur cet état de fait pour attirer l'œil du chaland. En effet, chose assez rare dans le domaine de la SF pour être soulignée, la version poche d'American Gods arbore un large bandeau rouge façon Goncourt (mais non amovible, celui-ci) qui récapitule les principales étapes du grand chelem réalisé par l'auteur britannique : Hugo, Nebula, Bram Stoker et Locus (catégorie fantasy) la même année 2002. Performance notable qui nous laisse présumer, avant même d'entamer sa lecture, que ce texte ne s'embarrasse d'aucune étiquette, et qu'il pourrait bien devenir le premier classique de l'imaginaire du XXIe siècle.
     L'histoire : Ombre sort de prison, pour découvrir que sa femme est morte et le trompait avec son meilleur ami. Dans l'avion qui l'emmène à l'enterrement, il fait la connaissance d'un mystérieux personnage, Voyageur, qui souhaite à tout prix l'engager comme assistant personnel. Très dubitatif au début, Ombre finit par accepter. L'ex-détenu se retrouve bientôt à sillonner l'Amérique profonde avec son nouvel employeur, à la rencontre de personnages hauts en couleur dont Voyageur cherche visiblement à s'attacher la collaboration. Ombre, incrédule d'abord, finit par admettre que sous les traits de tous ceux qu'il rencontre se cachent les dieux des anciens panthéons oubliés, amenés sur le sol américain dans l'imaginaire des vagues de peuplement successives (Egyptiens, Vikings, Africains...). Le dessein de Voyageur semble être de les amener à affronter, dans une ultime lutte d'influence, les nouvelles divinités du monde moderne : médias, télévision, Internet... Quel rôle Ombre est-il destiné à jouer dans l'affaire ?
     A la lecture de ce court résumé, on s'aperçoit sans peine qu'American Gods est un roman particulièrement foisonnant : il fait référence à de multiples religions et mythologies, qui cohabitent et végètent aux quatre coins des Etats-Unis sous des aspects parfois plutôt cocasses (les dieux égyptiens Thot et Anubis, par exemple, sont devenus de paisibles thanatopracteurs). Comme le protagoniste Ombre, le lecteur peut rapidement se retrouver submergé par cette avalanche de références implicites, de personnages, de rivalités politiques complexes. Mais le talent de conteur de Neil Gaiman est tel qu'on admet aisément que l'arrière-plan de l'histoire reste essentiellement du domaine du non-dit, charge à ceux qui le souhaitent de combler les zones d'ombre avec ce qu'ils veulent ou peuvent y ajouter d'érudition ou d'imagination. Signalons au passage quelques petits clins d'œil appuyés de l'auteur à des collègues disparus, comme Zelazny (Seigneur de lumière) ou Brunner (le Chad Mulligan de Gaiman fait forcément référence à celui de Tous à Zanzibar) — et ce ne sont probablement pas les seuls.
     Ajoutons que le roman pourrait presque se lire comme un guide culturel des Etats-Unis, car il en croque plus ou moins schématiquement les visages multiples et contrastés : le pays de la globalité triomphante est aussi celui des petites communautés villageoises traditionnelles qui vivent selon des usages ancestraux. Ce qui s'intègre d'ailleurs parfaitement au propos de l'auteur, puisque ce dernier met avant tout en scène une forme de combat entre tradition et modernité. Et quel territoire est plus paradoxal que celui d'Oncle Sam ? Nation jeune, mais aussi la plus développée industriellement ; farouchement nationaliste, mais fondamentalement multiculturelle ; berceau des nouvelles technologies et de l'économie libérale, mais engluée dans la superstition et les considérations religieuses...
     Pour ma part, malgré les grandes qualités explicitement vantées par le bandeau rouge sus-décrit, je ne rangerais peut-être pas American Gods dans la catégorie “chef-d'œuvre”. Indéniablement, Neil Gaiman a signé un roman riche. Trop riche, peut-être... Cependant l'histoire est solide, documentée, racontée avec une grande habileté, pleine de personnages et de décors originaux — autant d'ingrédients qui feront de ce livre une lecture extrêmement plaisante et profitable.

Julien RAYMOND (lui écrire)
Première parution : 1/11/2004
nooSFere


Edition J'AI LU, Fantastique (2000 - 2007) (2004)

     En émigrant aux États-Unis, les colons ont emporté avec eux leurs dieux et les créatures de leur folklore. Ils sont tous là, ceux des panthéons grecs, Scandinaves, égyptiens, réduits à de tristes conditions au fur et à mesure que les humains les oublient : Anubis devenu Chaquel, entrepreneur de pompes funèbres, Odin, appelé Voyageur, vivant d'arnaques et d'escroqueries. Ils ne s'apprécient pas tous mais certains parviennent à se liguer contre les divinités, engendrées par le Nouveau Monde, qui menacent de les supplanter : elles ont pour nom Ville, Télévision, Argent et Média.

     Ombre, solide gaillard adepte de tours de magie, s'attendait à retrouver sa femme à sa sortie de prison, mais apprend qu'elle est décédée en même temps que l'ami qui lui avait réservé un emploi. Engagé comme garde du corps par Voyageur, il apprend l'existence des anciens dieux, tout en essayant au cours de ses pérégrinations de trouver le moyen de ramener sa femme à la vie. Il arrive d'ailleurs que celle-ci lui rende visite et le tire de situations périlleuses. Progressivement, Ombre comprend que la guerre sans merci entre les mythologies ancienne et moderne est orchestré par un manipulateur qui cherche à en tirer avantage. Mais il ignore qui se cache derrière l'énigmatique M. Monde.

     Les États-Unis dans leur entier sont racontés dans ce roman fleuve, qui mélange diverses formes narratives, raconte des fables, expose des faits divers, enquête sur un serial killer. Cette concaténation en apparence brouillonne modèle le caractère d'une nation qui succombe aux vices du matérialisme pour avoir empilé, superposé, brouillé, sans souci de cohérence, les divers héritages qui la constituent. À travers cette lutte de divinités, Gaiman oppose la traditionnelle organisation rurale au consumérisme des centres urbains, le respect des valeurs et de la parole donnée à l'appât du gain. L'hétérogénéité du roman lui permet d'échapper à toute classification. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit d'un grand livre, fort justement couronné de cinq prix, dont le Hugo et le Nebula.

Claude ECKEN (lui écrire)
Première parution : 1/12/2004
dans Galaxies 35
Mise en ligne le : 9/1/2009


Edition AU DIABLE VAUVERT, (2002)

     Avec ce fort volume (700 pages bien serrées), Neil Gaiman nous convie à une déambulation ludique au cur de l'Amérique. Au centre du jeu : savoir si le lecteur réussira à déchiffrer les multiples énigmes que l'auteur a semées au fil des chapitres. Ces énigmes sont simples dans leur exposé – il s'agit de reconnaître les personnages que rencontre le principal protagoniste – et compliquées dans leur résolution. Car il y a fort à parier que même le plus cultivé des lecteurs laissera passer certaines références. Pourquoi ? Parce que les personnages à découvrir ne sont ni plus ni moins que des dieux. Et qui plus est, des dieux venus de tous les horizons.
     Le postulat de départ de ce roman est simple et génial : et si tous les immigrants, en arrivant en Amérique, avaient amené, avec leurs croyances, des entités divines qui se seraient incarnées dans des personnages banals, d'un bout à l'autre de la société ?
     Ombre sort de prison, après trois ans passés derrière les barreaux. Il se réjouit depuis de longs mois de retrouver sa femme. Malheureusement, celle-ci décède quelques jours avant sa sortie, dans des circonstances qui ne peuvent que le laisser amer. A la dérive, il est « recueilli » par un vieil homme mystérieux qui répond au sobriquet de « Voyageur ». Celui-ci lui propose à Ombre de devenir son assistant dans des occupations qui de prime abord paraissent extrêmement mystérieuses à Ombre. Mais il va être progressivement affranchi par son employeur et il fait ainsi la connaissance des dieux incarnés, russes, indiens ou vaudous. Voyageur, le plus important d'entre eux, a décidé de convoquer ses pairs pour les avertir  : une guerre se prépare, qui peut fort bien déboucher sur le crépuscule des dieux...
     Toute la finesse de Gaiman est dans son parti-pris de ne jamais trop en dire : bien que certains dieux soient expressément nommés (il faut bien que le lecteur sache de quoi il retourne), certains autres font partie des énigmes citées plus haut. De sorte que si votre connaissance de la mythologie est bonne sans être complète, vous risquez de manquer certaines allusions. Qu'importe, car cela ne nuit nullement au plaisir de la lecture. Un roman de Gaiman, c'est avant tout une aventure haute en couleurs, pleine de mystères qui se dévoilent au fil des pages. De plus, le choix de l'implicite dans le développement de l'intrigue – pas de longue scène explicative – permet au lecteur de s'identifier sans problème au personnage d'Ombre, et de découvrir les choses en même temps que lui. Cette identification est pour beaucoup dans l'attrait quasi irrésistible qu'exerce ce livre, comme le sont les personnages finement ciselés, tous intéressants, et beaucoup plus nuancés que le sujet du roman – une bataille de dieux – ne l'exigerait a priori. Ici, les méchants sont presque aussi gentils que les bons. D'ailleurs, peut-on vraiment dire, une fois le livre refermé, qui a raison et qui a tort ?
     Enfin – et peut-être même avant tout – American Gods est un témoignage d'amour pour les Etats-Unis, comme Neverwhere l'était pour Londres. En effet, la passion de l'auteur pour ce pays construit de bric et de broc – à cause des multiples origines de ses habitants – est visible tout au long de ce roman. On sent que Gaiman a dû longuement arpenter les routes et les chemins des Etats-Unis, et qu'il y revient souvent. Du reste, il est intéressant de noter que l'essentiel de l'histoire se déroule au coeur de l'Amérique, certainement beaucoup plus authentique, et non dans les vastes mégalopoles. Il ressort de cette longue déambulation aux allures de road movie une impression de calme et de tranquillité, en contraste complet avec l'importance des enjeux qui se heurtent par ailleurs.
     En bref, Neil Gaiman signe une nouvelle fois une réussite admirable, en combinant certains symboles de l'Amérique – les super-héros – avec les croyances des « vieux » continents (Europe, Afrique et Asie). A lire absolument.

Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 6/8/2002
nooSFere


Edition AU DIABLE VAUVERT, (2002)

     Ombre a payé sa dette à la société. Condamné à six ans, libéré au bout de trois, il sort de prison avec de solides projets de réinsertion. Aussi, c'est en pensant tourner définitivement cette page sombre de son existence qu'il prend l'avion pour rejoindre son épouse. Il ne sait pas encore à quel point sa vie et sa conception du monde vont bientôt être irrémédiablement bouleversées. Plus que le décès et la résurrection de sa femme — événement déjà peu banal s'il en est — , c'est cette rencontre, pas tout à fait fortuite, avec un borgne très mystérieux qui, telle Alice, le fait basculer de l'autre côté du miroir. Bientôt, il comprend que l'Amérique est en réalité bien plus étrange qu'il ne le pensait. Mais après tout, quel mortel pourrait soupçonner ce dont est faite la vie des dieux ?

     De Lakeside, Wisconsin, à Las Vegas, Nevada, Neil Gaiman navigue sans cesse entre l'Amérique profonde et celle des guides touristiques. D'autres, beaucoup d'autres, l'ont précédé en ces territoires, cette forme particulière de régionalisme étant même devenue, depuis le succès de Stephen King, un poncif du fantastique à l'anglo-saxonne. Gaiman, pourtant, s'en tire haut la main, s'appuyant plus que jamais sur cet humanisme, ou plutôt cette humanité, dans laquelle il a toujours su tremper sa plume. Ses personnages ont en partage cette qualité rare, subtile et indéfinissable, qui transcende l'encre et le papier pour toucher le lecteur directement au cœur. Même lorsqu'il revisite — avec beaucoup de finesse, d'ailleurs — des archétypes fantastiques aussi usés que le dieu oublié marchant parmi les mortels ou la morte-vivante transie d'amour, Gaiman parvient, souvent en à peine quelques paragraphes, à produire de la vie, de la réalité. Sans doute cette impression provient-elle également — paradoxe intéressant — de cette distance bienveillante et doucement ironique dont il pétrit sa narration. Un humour à l'anglaise, qui opère un décalage contrôlé — et diablement efficace — avec les thèmes, les personnages et les décors de son roman : l'Amérique, les Américains, leur histoire et leurs légendes.

     Les lecteurs qui connaissent et apprécient le travail de Gaiman en bande dessinée retrouveront dans American Gods, plus encore que dans ses précédents romans, tout ce qui fait le charme de sa magistrale série Sandman. Il puise en effet de nouveau très largement à ce vivier inépuisable que sont la religion, la mythologie et le folklore. Force est d'ailleurs de constater que depuis Sandman, il a beaucoup progressé dans la maîtrise de ce périlleux exercice. Là où la bande dessinée renvoyait parfois l'image d'une mosaïque quelque peu anarchique, American Gods, qui troque le royaume onirique de Morpheus contre une Amérique peuplée de divinités oubliées, séduit par l'exploitation beaucoup plus raisonnée de ces personnages mythologiques. Sans doute est-ce parce qu'il a aujourd'hui bien plus de métier qu'à l'époque où il écrivait les scénarios de Sandman, mais on peut également penser que la bande dessinée lui a permis de raffiner son approche syncrétique du folklore mondial.

     Un sens aigu du dialogue, une attention particulière portée au quotidien de ses personnages, à ces petits détails qui le rendent si vivant, une maîtrise rare de l'enchevêtrement harmonieux du naturel, du surnaturel et du merveilleux, un humour tout en finesse et en nuances, marquent la maturité d'un auteur dont on ne peut qu'espérer qu'il porte encore en lui plusieurs romans du calibre de ce très enthousiasmant American Gods.

Johan SCIPION
Première parution : 1/7/2002
dans Bifrost 27
Mise en ligne le : 23/10/2003


Edition AU DIABLE VAUVERT, (2002)

     Ombre termine sa peine de prison lorsqu'il apprend, incrédule, que sa femme est morte dans un accident de la route, qui plus est dans les bras de son meilleur ami. Une fois relâché, Ombre (ombre de lui-même avant tout), désœuvré et sans attache, ne semble plus rien attendre de la vie. Il se laisse dériver et accompagne les événements tels qu'ils se présentent. En l'occurrence, ils se présentent sous le nom de Voyageur, escroc énigmatique et paternaliste qui l'engage comme garde du corps. Voyageur et son Ombre sillonnent les États-Unis au gré de rencontres toutes plus insolites les unes que les autres. Selon le mystérieux voleur, un orage se prépare : une guerre dévastatrice et sans merci entre les anciens dieux, importés en Amérique par les premiers immigrés (Indiens, Normands, Saxons, Africains...) — et dont le déclin semble irrémédiable — , et les dieux modernes, sans foi ni loi, dieux de la technologie et des médias dont la puissance ne cesse de grandir. Entre rêve et réalité, le conflit va conduire Ombre à retrouver ses racines — inattendues — et, tout simplement, la vie, au prix de nombreuses épreuves.

     Où s'arrêtera donc Neil Gaiman ? Son œuvre ressemble à un parcours sans faute : de Neverwhere à Stardust, il n'a cessé d'explorer l'inconscient collectif, hier celui de l'Angleterre, aujourd'hui celui de l'Amérique, avec un talent de conteur exceptionnel. Cette fois, il s'empare de l'histoire des États-Unis, sans complaisance mais sans hostilité, et part à la recherche de leur âme. En ce sens, American Gods constitue une somme, l'aboutissement des romans précédents de l'auteur. Les héros du Londres fantasmagorique dans Neverwhere, les anges et les démons dans De bons présages, avaient ouvert la voie par leur valeur métaphorique. Neil Gaiman est sans conteste l'un des plus grands créateurs de personnages à ce jour ; ceux d'American Gods sont inoubliables. Dieux, héros, leprechauns et simples mortels sont tour à tour attachants, effrayants, pathétiques, ambigus... Nul n'échappe au pilori bienveillant de Gaiman dont l'idée directrice est que toute chose, tout individu, recèlent leurs zones de mystère, leur part de beauté : ce qu'il appelait, dans De bons présages, « l'ineffable », autrement dit l'ordre cosmique. Avec Gaiman, comme à l'accoutumée — et ici plus encore — , le regard du lecteur sur les protagonistes évolue à mesure qu'ils se dévoilent et se complexifient. Ombre, d'abord monolithique, acquiert ainsi une nouvelle épaisseur au cours de son parcours quasi-christique. Cela vaut aussi pour la construction, toile savamment tissée : les personnages de Gaiman sont les marionnettes d'une logique complexe, inaliénable ; on n'échappe pas à son destin. Récit initiatique fabuleux, American Gods porte enfin sur le monde — et sur les États-Unis en particulier — un regard emprunt d'une grande sagesse et d'une vraie sympathie. Jamais il ne se résume à une opposition manichéenne entre d'anciennes valeurs qu'il faudrait préserver, et de nouvelles valeurs inhumaines à éradiquer : les anciens dieux sont souvent violents voire sanguinaires, et si Gaiman laisse libre cours à une certaine nostalgie, il décrit surtout l'effondrement d'un monde agonisant et déraciné, la libération d'un pays moderne entravé par des survivances d'un âge révolu, de civilisations disparues. L'Amérique, lieu hautement symbolique des contradictions de cet occident contemporain, doit engendrer ses propres mythes. La métaphore est belle, simple, immense.

     American Gods a reçu outre-Atlantique les prix Hugo, Locus et Bram Stoker. Dire que c'est largement mérité serait un euphémisme ! Une question se pose néanmoins : que va faire Neil Gaiman à présent ? Trouvera-t-il les ressources pour surpasser ce chef d'œuvre ? En attendant, les 700 pages d'American Gods se boivent comme du petit-lait et réaffirment avec force, sous leur apparente simplicité, que la valeur d'un homme, ou celle d'un livre, se trouve parfois ailleurs que dans l'esbroufe.

Olivier NOËL
Première parution : 1/12/2002
dans Galaxies 27
Mise en ligne le : 2/9/2004


Edition AU DIABLE VAUVERT, (2003)

     Fantasy ? Finaliste du World Fantasy Award.
     Horreur ? Lauréat du Bram Stoker Award.
     Science-fiction ? Finaliste du BSFA Award. Lauréat du Hugo Award.
     Cette petite liste nous renseigne sur deux faits marquants : d'une part, American Gods pratique à l'envi le mélange des genres ; d'autre part, ce livre a d'ores et déjà marqué les esprits, et les tablettes. Voyons un peu pourquoi.
     La première pensée qui m'est venue à l'esprit quand j'ai refermé à regret ce gros, cet énorme roman, c'est qu'il tient les promesses du chapitre d'ouverture le plus scotchant que j'aie lu depuis longtemps (en fait depuis Mary Terreur, de Robert McCammon). Je n'en dirai pas davantage et, à ceux qui ne savent rien du livre et décideraient de s'y intéresser, je conseillerai même d'éviter la quatrième de couverture de cette édition, trop explicite.
     La deuxième idée, c'est qu'il fallait peut-être un Anglais, un étranger, pour donner de l'Amérique du Nord, en tout cas de sa vaste portion comprise entre Mexique et Canada, une image aussi complète quoique kaléidoscopique, et aussi critique quoique affectueuse. (Neil Gaiman vit aux États-Unis depuis quelques années.)
     Résumons l'intrigue brièvement : à sa sortie de prison où il a purgé trois ans, Ombre, un homme calme et robuste qui a fait une bêtise, rencontre dans l'avion un mystérieux individu, apparemment doté d'étranges pouvoirs, qui lui propose un travail, devenir son chauffeur. Il accepte, et ne va pas tarder à se découvrir acteur d'une intrigue complexe, d'un écheveau d'événements qui l'entraînera vers un dénouement tenant tant de l'Apocalypse que de Ragnarok. Entre-temps, il aura parcouru une Amérique « invisible » de salons funéraires, de musées bizarres, de petites villes lourdes de secrets, peuplée de personnages et de fantômes dont les plus vivants ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Et il aura grandi.
     American Gods est, au fond, l'histoire d'une guerre, autrement dit d'un ensemble de conflits. Au niveau collectif, il décrit rien moins que l'affrontement des Anciens et des Modernes, des dieux (nordiques, saxons, amérindiens) venus avec les migrants ou déjà présents sur le sol américain, et des puissances actuelles que sont l'Argent, la Consommation et la Corruption. Au niveau individuel, il met en scène la lutte d'un homme décidé à trouver la rédemption par l'éthique et la culture, face aux avatars quotidiens des mêmes puissances actuelles. C'est un livre paradoxalement réactionnaire et révolutionnaire, car il propose de bouleverser l'ordre établi par un retour vers des valeurs passées plus saines, car plus humaines. Et si ce n'est pas très original, c'est tout de même diantrement efficace.
     Le mot « chef-d'œuvre », dans son acception présente, est sans doute galvaudé de nos jours, mais si on l'emploie au sens initial, celui du travail effectué par un apprenti dans le but d'obtenir son statut de compagnon, alors Neil Gaiman, avec ce roman jubilatoire, virulent, charmeur et roublard, excellemment traduit par Michel Pagel, vient de signer son chef-d'œuvre. Il faut lire American Gods pour ce qu'il est, mais aussi pour ce qu'il annonce : l'entrée en pleine possession de ses moyens d'un acteur majeur de l'imaginaire sur la scène littéraire mondiale.

Pierre-Paul DURASTANTI (lui écrire)
Première parution : 1/2/2003
dans Asphodale 2
Mise en ligne le : 1/10/2004

Prix obtenus
Bram Stoker, Roman, 2002
Hugo, Roman, 2002
Locus, Roman de fantasy, 2002
Nebula, Roman, 2002
Bob Morane, Roman étranger, 2003


retour en haut de page

Dans la nooSFere : 79751 livres, 92803 photos de couvertures, 75777 quatrièmes.
9093 critiques, 43299 intervenant·e·s, 1660 photographies, 3783 adaptations.
 
Vie privée et cookies/RGPD
A propos de l'association. Nous contacter.
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes.
Trouver une librairie !
© nooSFere, 1999-2023. Tous droits réservés.