Howard Alan Treesong, le dernier survivant des Princes-Démons, était déjà entré dans la légende par la monstruosité des crimes qu'on lui prêtait. Et l'on savait qu'avec lui, le plus grand criminel de tous les temps était en passe de devenir le Coordinateur suprême de la Police Galactique. C'est dire que s'il parvenait à ses fins, l'Empire redeviendrait une jungle sans lois. La vengeance de Kirth Gersen n'était plus une affaire privée. Mais Treesong menait lui aussi sa guerre sainte, une lutte sans merci qui s'inspirait de son LIVRE DES RÊVES, une chasse à l'homme sans règles et sans répit, tout au long d'une route sans refuges, et qui pour Gersen ou Treesong ne pouvait mener qu'à l'apothéose ou à l'apocalypse.
Jack Vance est né en 1916. Après le succès de son premier roman The Dying Earth, publié en 1950, il aborde avec une égale maîtrise l'heroic fantasy et le space opera, où son imagination baroque, son sens du dépaysement et de l'épopée se donnent libre cours. Au premier de ces deux genres appartiennent les Maîtres des dragons (1962), et le cycle de Cugel l'Astucieux (1965-1966). Le second est illustré notamment par la Planète Géante (1957), le cycle de Kirth Gersen (le Prince des étoiles, la Machine à tuer, le Palais de l'amour, le Visage du Démon) et celui de Tschaï.
Voilà, c'est fini. Le Livre des rêves marque l'ultime face-à-face entre Kirth Gersen et le dernier des abjects Princes-Démons, ces cinq pirates galactiques qui semèrent la désolation sur Mount Pleasant, le village de son enfance. Et le dernier n'est pas le moindre : Howard Alan Treesong, surnommé le « Seigneur des Surhommes », est l'un des plus puissants criminels en activité, et aussi l'un des plus ambitieux. N'a-t-il pas récemment échoué de justesse dans sa tentative de prise du contrôle de la Compagnie de Coordination de la Police Intermondiale ? Comme ses quatre anciens complices, Treesong est d'autant plus redoutable que son apparence est inconnue : nul ne sait donc où et quand il va frapper. Mais Kirth Gersen, qui s'est rendu propriétaire d'un magazine à fort tirage (cf. le volume 3, Le palais de l'amour), a la main heureuse : il découvre dans les archives de la rédaction la photographie des dix convives d'un banquet, récemment envoyée par un correspondant de presse, et où ce dernier a inscrit : H. A. Treesongest ici. Mais duquel des dix s'agit-il ? Gersen, qui ne fait décidément jamais les choses à moitié, décide donc d'organiser un concours bidon, dont le but inavoué est de servir ses propres intérêts. Il fait ainsi diffuser massivement la photo dans tout l'Œcumène, promettant une prime rondelette au lecteur qui pourra identifier formellement les personnages représentés sur la photo... Mais il espère surtout que ce prétexte fumeux intriguera Treesong en personne, et que le criminel se dévoilera de lui-même en cherchant à en savoir plus...
Comme lorsqu'on termine un puzzle en y insérant l'unique pièce manquante, on ne ressent pas de grande surprise à lire ce dernier volume de la Geste des princes-démons : la forme et la couleur du dernier morceau peuvent être déduits avec une relative précision du reste du paysage. Tous les éléments formels habituels sont ici au rendez-vous : le schéma vindicatif localisation/identification/exécution, les ouvertures de chapitres citant les textes imaginaires les plus divers, les nombreuses notes infrapaginales... bref, on se retrouve en terrain connu, et si ce n'était pas le cas, on en serait presque un peu déçu ! Notons tout de même que le méchant de l'histoire, Howard Alan Treesong, est peut-être le plus intéressant du « club des cinq » sur le plan psychologique : complètement mégalomane (il tente de devenir, coup sur coup, chef de la police mondiale, de l'Institut et empereur de l'Œcumène), schizophrène délirant (le Livre des Rêves, c'est le cahier sur lequel il rédigeait dans sa jeunesse des récits de fantasy un peu ridicules qu'il pensait réellement vivre), et d'un sadisme croquignolet (je vous conseille notamment la scène où il assiste à une soirée d'anciens camarades de classe).
La saga de Gersen se termine donc avec la mort de son dernier ennemi, et si l'on en ressent bien un petit sentiment d'achèvement, quelques questions restent obscures et auraient peut-être mérité d'être traitées plus longuement dans l'un ou l'autre volume : pourquoi ces bandits si différents opéraient-ils ensemble ? Pourquoi se sont-ils séparés ? Mais en définitive, il était surtout patent que Gersen souhaitait voir ses adversaires avaler leur bulletin de naissance, et non pas raconter leur vie...
Dans le domaine de la science-fiction, je suis de ceux qui préfèrent presque toujours le one-shot à la saga, dans la mesure où cette dernière s'avère souvent un stratagème pour diluer, voire recycler une idée d'intrigue (pas toujours très bonne, de surcroît). Et pourtant, je dois avouer avoir eu un plaisir assez constant à lire le cycle de Jack Vance, qui réussit à être divertissant dans sa totalité, l'aspect un peu répétitif de certains schémas narratifs étant racheté par l'inventivité des décors, des personnages secondaires et des concepts sociaux cocasses ou surprenants. Bien entendu, un sixième volume aurait peut-être fâcheusement déséquilibré la balance. Avec Le livre des rêves, c'est un cycle fort distrayant qui s'achève, et le chroniqueur, qui ne regrette pas sa lecture et s'avoue vaguement triste que l'histoire s'achève, comprend la réponse de Kirth Gersen, au dernier chapitre de l'histoire, lorsqu'on lui demande comment il se sent : « Très bien. Déprimé, peut-être. [...] L'affaire est terminée. Tout est fini pour moi. »