Vernor VINGE Titre original : The Cookie Monster, 2003 Première parution : Analog Science Fiction and Fact, Octobre 2003 Traduction de Jean-Daniel BRÈQUE Illustration de Aurélien POLICE
BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France), coll. Une Heure-Lumière n° 3 Dépôt légal : février 2016 Première édition Novella, 112 pages, catégorie / prix : 8,90 € ISBN : 978-2-84344-143-1 Format : 12,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Non, vraiment, la vie de Dixie Mae n’a pas toujours été rose... Mais grâce à LotsaTech, et au boulot qu’elle vient de décrocher au service clients de ce géant high-tech, les choses vont changer. Telle était du moins sa conviction jusqu’à ce que lui parvienne l’email d’un mystérieux expéditeur, message qui contient quantité de détails intimes liés à son enfance et connus d’elle seule... Dixie Mae, telle Alice, devra passer de l’autre côté du miroir et payer le prix de la vérité — exorbitant : celui de la nature ultime de la réalité au sein de la Silicon Valley...
« Vernor Vinge est l’un des romanciers les plus accomplis du genre
et l’un des plus grands raconteurs d’histoires. »
Library Journal
Cookie Monster est lauréat des prix Locus et Hugo 2004
Critiques
Dixie Mae, qui a un passé difficile, se réjouit d'avoir décroché un poste prometteur dans un service client novateur de la Silicon Valley, mais un courriel inquiétant va gâcher la fin de sa première semaine de travail. Voilà ce que dit une quatrième de couverture fidèle aux six premières pages d'un récit qui en comprend quatre-vingt douze. Les événements vont ensuite s'enchaîner rapidement et entraîner une poignée de protagonistes vers des considérations technologiques vertigineuses quant à leur environnement et à leur vie même.
Le lecteur amateur de ces vertiges, de mises en abîmes cruelles ou insondables, de paradoxes implacables mais jouissifs, connaisseur sans doute de Greg Egan, pourra esquisser un sourire devant les enchaînements faciles, la linéarité du chemin qui mène nos héros de leur situation initiale à leur dernière étape, ou la paranoïa rapidement galopante digne de certains épisodes particulièrement hors-sol de X-Files. Les héros convergent ainsi vers la vérité en imaginant les hypothèses les plus improbables à la succession de problèmes qu'ils rencontrent, s'affranchissant allègrement du rasoir d'Ockham du début à la fin.
Mais ce serait prendre le récit pour ce qu'il n'est pas ; Vernor Vinge ne s'arrête jamais ici sur l'observation profonde ou esthétique d'un phénomène ou d'un concept ; il mène une histoire directe et non dénuée d'humour, qui va vite, très vite, et qui ne figure pas pour rien dans une collection comme Une Heure-Lumière. Au passage, il se permet de citer abondamment, à travers ses protagonistes, la littérature qui relève des mêmes ressorts... Y compris une référence pointue à son propre roman Un feu sur l'abîme. Comme le dit l'un des personnages : « l'idée a presque un siècle d'existence » (p. 55). Cookie Monster propose une nouvelle version de cette idée ; une version peut-être pas inoubliable mais efficace, qui se lit vite et amène tout de même à se creuser la tête, et qui offre au lecteur un catalogue de titres pour continuer à explorer la même veine.
Dixie Mae travaille au service client de Lotsa Tech, « le gros lot du high-tech », une firme qui garantit le meilleur, aussi bien à ses usagers qu’au personnel employé. Tout paraît se dérouler au mieux sous la houlette de Mr Johnson, dans une ambiance qui mêle super-efficience et aimables vannes de bureau, jusqu’au jour où Dixie reçoit sur son poste un message troublant. L’envoyeur anonyme sait tout de la jeune femme, y compris des détails remontant au plus loin de sa vie privée, qu’elle est littéralement seule à connaître. Très vite, il ne fait aucun doute que « quelque part au sein de ces élégants immeubles était tapie une véritable ordure. Une ordure qui jouait aux devinettes avec elle. » Dixie Mae sonde ses collègues qui se retrouvent partagés entre désir sincère de lui venir en aide et frilosité. Après tout, travailler pour Lotsa Tech est une véritable aubaine, et nul n’est irremplaçable. Mais est-ce vraiment le cas ?
Disons le tout de suite, l’intrigue déroulée par Vinge, et le format de la novella qui ne se perd pas dans l’accessoire, garantissent au lecteur un formidable moment. Ce qui n’était pas gagné d’emblée car l’auteur prend un risque à traiter un thème maintes fois rebattu. Or non seulement Vinge en a évidemment conscience, mais il joue avec les références, en dressant la liste au lieu de les taire. La page 56 est un modèle de roublardise, à la fois bibliographie idéale et moyen d’assumer l’héritage science-fiction. Vinge va même jusqu’à citer deux fois Darwinia de Robert Charles Wilson. Or cette surexposition du thème abordé, loin d’en désamorcer l’impact, permet à l’auteur de tenter radicalement autre chose, et d’y parvenir. Vernor Vinge utilise le principe de décohérence. Si le réel macroscopique est parfaitement imité, ne va-t-il pas réduire les interférences des simulacres quantiques ? Au fur et à mesure de l’enquête menée par Dixie Mae et ses compagnons, des bribes d’informations s’échappent dans leur environnement qui, en retour, agit sur eux comme un observateur.
N’en disons pas plus au risque de trop révéler, ce qui est dommageable pour un roman et s’avèrerait fatal pour un format court. Si toute la nouvelle collection du Bélial’ garantit le même shoot de SF, à la fois bref en lecture et intense de plaisir, vous tenez avec « Une heure-lumière » votre nouveau dealer.