Silène EDGAR Première parution : Paris, France : J'ai Lu, collection Nouveaux Millénaires, 8 mai 2019
J'AI LU
(Paris, France), coll. Nouveaux Millénaires Date de parution : 8 mai 2019 Dépôt légal : mai 2019, Achevé d'imprimer : 8 avril 2019 Première édition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 18 € ISBN : 978-2-290-16399-3 Format : 13,0 x 20,0 cm✅ Genre : Fantastique
Couverture : création Studio J'ai Lu d'après (c) Shutterstock.com : Elenabo, Komkrit Preechachanwate, Autsawin Uttisin et Omphoto.
Auteur à succès, Charles noie son ennui dans l’alcool, le tabac, la bonne chère et les conquêtes faciles. Un style de vie proscrit depuis que les Lois de la Santé ont mis le pays au régime sec : travail et nourriture saine pour tous, sport obligatoire et interdiction formelle de nuire à sa santé. Mais Charles est adulé par les foules, alors on le laisse faire... jusqu’au jour où un politicien aux dents longues décide de censurer la production littéraire. Commence alors pour l’écrivain une descente aux enfers qui lui donnera à voir l’envers du décor de cette société prétendument idéale.
« Au-delà de la petite musique morose et grinçante du livre de Silène Edgar, au-delà du contraste saisissant entre le monde politiquement correct et authentiquement infect des Affamés se dévoile une guerre de possession vieille comme le monde : le mot, le texte, l’idée... » Extrait de la préface de Pierre Bordage
Née en 1978, Silène Edgar a enseigné pendant quinze ans et écrit de nombreux romans pour la jeunesse et pour les adultes. 14-14, cosigné par Paul Béorn, a remporté une kyrielle de prix littéraires et séduit de très nombreux lecteurs. Elle vit aujourd’hui à Bordeaux avec son conjoint et leurs deux espiègles petites fées.
Critiques
Futur proche. Les années 2040… La France et le monde n’ont guère changé. À en croire nos deux romancières, c’est pareil… en pire. Comme chacun sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions : la santé, l’écologie… Un monde voulu meilleur.
Dans Les Affamés, le roman de Silène Edgar, un brin uchronique, les luttes pour défendre la ZAD de Notre Dame des Landes ont débouché sur une révolution plus ou moins communiste où nul n’est plus censé être pauvre ni dans le besoin – un modèle qui n’a pas tardé à être dévoyé par des lois iniques, dites de Santé, notamment. La so-ciété est désormais divisée en cinq niveaux d’utilité qui sont autant de castes : prolétaires, techniciens, cadres subalternes (dits moyens), cadres sup’ et cadres directeurs, pour faire simple. Il y a aussi des inutiles et des es-claves immigrés qui n’existent officiellement pas. Les utiles de classe 1 vivent chiche-ment et n’ont accès qu’à un minimum de soins. Ceux de classe 5 vivent comme des nababs, peuvent boire et fumer, manger gras et jouir de tout sans restriction, assurés des meilleurs soins possibles… Charles est un écrivain à succès, utile de classe 5, qui peut tout se permettre et ne s’en prive pas. Il boit comme un trou, fume comme un pompier. Tout irait bien s’il n’y avait Lebraz, un député qui envisage de réduire drastiquement la production littéraire et le nombre d’auteurs. Charles, dont les romans mettent en scène des personnages à son image – peu concernés par les lois de Santé, en somme –, se retrouve sur la sellette, étant considéré comme subversif par un système qui entend que les auteurs fassent sa propagande. Ainsi le voilà pris entre les feux croisés de Lebraz, qui lui demande de retourner sa veste, ses confrères auteurs, qui le veulent comme porte-parole, et ses parents qui voudraient le voir écrire à la mémoire de son frère, zadiste tué lors d’émeutes des années plus tôt… Sans parler de Salomé, dont il est amoureux, une activiste du groupe de Milo pour qui elle va se glisser dans son lit afin qu’il écrive pour eux.
Du côté de Chantal Pelletier et de son Nos derniers festins, nous sommes en juin 2044. La température ne descend pas sous 40° à l’ombre, et les gens ont des « permis de table » à points, en fonction desquels ils peuvent manger ce qu’ils veulent ou non. La « Bouf-fe » est devenue sa-crée, l’objet d’un véri-table culte, mais tous n’y ont pas accès, évidemment. Il y a comme une sorte de prohibition. Et – corollaire – du marché noir, des clandés, des trafics en tous genres avec toute une pègre proliférant autour. Anna Janvier et Ferdi-nand Pierraud sont des contrôleurs alimentaires chargés de verbaliser les contrevenants, restaurateurs ou convives. Les chapitres les mettant en scène alternent avec ceux où l’on suit Lou Madec, restauratrice lesbienne, veuve, ancienne des forces spéciales et ex-taularde qui n’a pas forcément eu la vie facile. Et tout commence par un cuisinier ébouillanté dans son faitout… La France de Pelletier est au bord de la guerre civile, entre partisans de la bonne bouffe et vegans antispécistes. Attaques de boucherie, de restaurants, manifestations violentes et attentats sont le lot quotidien de tout un chacun…
Bref, voilà deux exemples d’une anticipation sociale à la française. Deux romans aux intrigues qui font leur office sans s’avérer d’un intérêt spécialement remarquable, mais qui invitent le lecteur à s’interroger sur l’avenir de la société dans laquelle nous vi-vons. Silène Edgar questionne le rôle social de l’écrivain et, plus largement, celui de l’artiste. Chantal Pelletier, elle, demande comment préserver une certaine qualité de vie compatible avec les impératifs écologiques. Politiques sociales et de santé, agriculture bio, antispécisme, rôle de l’artiste, autant d’enjeux centraux auxquels se frottent nos autrices. Ces deux livres actualisent, dans une approche finalement assez politiquement correcte, des questions soulevées naguère par Carton blêmede Pierre Siniac, même s’ils restent très en retrait d’un roman comme Corpus Delicti : un Procès, de l’Allemande Juli Zeh. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient inintéressants.