« Sur des mers plus ignorées mêle la terreur et l'émerveillement. Vous adorerez les personnages, vous resterez éveillé toute la nuit pour finir ce roman, et quand vous vous endormirez enfin, l'histoire continuera dans vos rêves. »
Orson Scott Card *****
C'est en 1718 que Jack devint un pirate des Caraïbes... Il voguait vers le Nouveau Monde quand son navire fut attaqué par des pirates. Le capitaine lui proposa de mourir tout de suite... ou de devenir l'un d'entre eux. Le choix fut vite fait ! Il dut rapidement apprendre à manier aussi bien la grand-voile que le sabre d'abordage.
Mais c'est pour sauver une belle jeune fille que Jack allait devoir affronter les plus sinistres dangers : magie vaudoue, zombies, puissances maléfiques et par-dessus tout le terrible Barbe-Noire, à la recherche de la fabuleuse fontaine de Jouvence...
Tim Powers est né en 1952 aux États-Unis. Ami intime de Philip K Dick, inventeur du steampunk, génie de l'histoire occulte, son art du suspense, sa fougue picaresque et son humour ont conquis un vaste public. Il a obtenu le prix Apollo pour Les Voies d'Anubis, ainsi que plusieurs World Fantasy Awards et Locus Awards. Il vit en Californie.
« Powers écrit des aventures dont Indiana Jones peut seulement rêver. »
C'est en ces termes que la publicité américaine nous présenta ce livre lors de sa parution en 1987. Cette présentation, cela va sans dire, me mit particulièrement l'eau à la bouche, d'autant que le premier roman traduit chez nous de l'auteur (Les voies d'Anubis, J'ai Lu SF n°201) venait de remporter le prix Apollo 87, après avoir reçu le prix Philip K. Dick. Et même si son roman suivant (Le palais du Déviant, éditions La Découverte en attendant une réédition probablement chez J'ai Lu dans quelques mois) était assez décevant, la publication du nouveau Powers constituait un événement pour le lecteur français au fait des nouveautés américaines.
Que dire de cet ouvrage ?
Tout d'abord, si comme l'écrivait Daniel Walther dans son éditorial de janvier 87 (Fiction n°382), vous pensez que nous ne devons plus nous laisser divertir, que la Science-fiction doit rejouer son rôle essentiel, qui est d'avertir, alors ce livre n'est absolument pas fait pour vous ! Car Powers n'a visiblement eu qu'un seul but en écrivant ces aventures de John Chandagnac : distraire son lectorat. Un but tout ce qu'il y a d'honorable et de plus parfaitement atteint ! Mais si vous croyez, comme moi, que la littérature de SF peut aussi jouer un rôle pour se changer les idées ou pour se dépayser, alors laissez moi vous donner un avant-goût de ce qui vous attend dans ce livre.
Nous sommes au début du XVIIIème siècle. Chandagnac, marionnettiste et orphelin, se rend à la Jamaïque pour demander des comptes à son oncle, lequel l'a spolié d'un héritage conséquent. Mais Benjamin Hurwood, un « savant fou » qui ne peut supporter la mort de sa femme, livre au cours du voyage le vaisseau à des pirates (Barbe Noire entre autres) en échange d'une herbe magique. Notre pauvre héros, par ailleurs amoureux de la fille d'Hurwood, devra choisir entre la mort et le fait de devenir à son tour pirate. Le jeune homme, sain de corps et d'esprit n'hésitera guère...
Tim Powers a écrit là un récit de piraterie et d'horreur vaudou. Avouez qu'il fallait oser ! Car c'est le genre d'ouvrage qui sera, à la moindre imperfection, au plus petit signe de faiblesse de la part de l'auteur, descendu en flamme par l'ensemble de la critique. D'autant que ce roman n'appartient pas vraiment à la SF, mais plutôt à l'Historic Fantasy (si vous me permettez ce jeu de mots)... Fort heureusement Powers sait nous tenir en haleine du début à la fin et surtout il n'hésite jamais à utiliser, pour notre plus grand plaisir les effets les plus énormes pour faire avancer son intrigue : c'est une succession de rebondissements, de traîtrises et de surprises en tout genre que nous réserve l'auteur. Les morts ressuscitent, chacun fait semblant de suivre le plan des autres mais poursuit ses propres buts, et la magie permet à l'auteur bien des fantaisies (ah ! le combat des magiciens volants, l'abordage du navire des « morts-debouts » ou encore le voyage vers la Fontaine de Jouvence !). De plus, les nombreux personnages sont suffisamment bien campés pour qu'on ne les confondent pas, même une fois qu'ils ont changés de noms (voire d'apparence) ce qui permet au lecteur de ne pas « décrocher » pendant les 350 pages que dure ce roman.
Le résultat obtenu, sans être un cocktail explosif (les pirates et le vaudou sont loin d'être des thèmes neufs même si je n'ai pas souvenir d'un autre texte les intégrant tous les deux à l'intrigue), est plus qu'honorable. Alors quand bien même certaines « ficelles » sont un peu trop grosses (le suicide de l'oncle en particulier), je ne peux que vous conseiller de vous laisser emporter par l'action (trépidante) de ce roman et d'oublier (momentanément) « les espaces inhabitables » que la société nous réserve pour demain (voir même avant !).
Début du XVIIIe siècle dans les Caraïbes. John Chandagnac, un saltimbanque marionnettiste fauché, fait voile à bord du Vociferous Carmichael en direction de Kingston. Ce port n'est cependant qu'une escale dans le voyage qui doit le mener à Haïti, où il se fait fort de dénoncer son oncle planteur aux autorités, afin de récupérer l'héritage que celui-ci a détourné. Sur le point d'arriver à destination, le Carmichael est abordé par une goélette de pirates qui s'emparent du navire, quasiment sans coup férir, grâce à la complicité de quelques sorciers cachés parmi ses passagers. Après un bref duel à l'épée, John blesse le capitaine pirate d'une botte inattendue. Il est alors obligé de choisir — telle est la loi des frères de la côte — entre la mort immédiate ou l'enrôlement dans l'équipage des forbans sous une nouvelle identité : Jack Shandy Ainsi débutent les tribulations d'un candide — sacrement débrouillard quand même — au pays des créoles, de la piraterie, du vaudou et d'un autre mythe rajeunissant.
Après l'intermède post-apocalyptique de son roman Le Palais du déviant, Sur des mers plus ignorées... marque le retour de Tim Powers à la fantaisie historique — improprement qualifiée de steampunk — à laquelle il s'est déjà adonné avec ses deux compères, K. W Jeter et surtout James Blaylock. On Stranger Tides [sur des marées plus étranges] — reprenons le titre anglais, plus approprié — , rythmé et facétieux, fait la démonstration, s'il en est encore besoin, du talent de conteur de l'auteur californien. L'intrigue elle-même ne casse pas trois pattes à un canard. Pourtant, à force de rebondissements farfelus, d'allusions documentées au vaudou et à la piraterie, Powers arrive à capter l'attention, voire l'adhésion du lecteur, tout en évitant soigneusement le risque d'écrire une histoire totalement grotesque.
On Stranger Tides délaisse donc le contexte edwardien, les légendes urbaines londoniennes et les dieux de l'Egypte, pour aborder l'univers tumultueux de la mer des Caraïbes, tout aussi riche en légendes et magie qu'animé historiquement. Il invoque — ce verbe convient idéalement au propos — un beau ramassis de canailles dont il ressuscite, avec un souci de vraisemblance, la fraternité rugueuse, la camaraderie chamailleuse et versatile. Au passage, signalons la participation — que l'on aurait souhaité plus franche — de la figure la plus emblématique de cette coterie de malfaiteurs : Edward Barbe noire Teach (nommé Thatch dans le livre, ce qui correspond à une orthographe possible de son patronyme).
Néanmoins, cantonner ce roman à une banale reconstitution historique, c'est se mettre le crochet dans l'œil jusqu'au moignon. Dans On Stranger Tides, la connaissance historique joue un rôle tout aussi important que les stéréotypes et la magie. Pour la seconde, Tim Powers use du folklore vaudou pour lui donner corps. Il fait des lwas, bocors, vévé, poisons, sortilèges et amulettes, des éléments narratifs qui participent aussi naturellement à l'atmosphère et au déroulement du récit, que les personnalités et événements issus de notre Histoire. On pense à plusieurs reprises à l'imagerie de l'attraction disneyenne Pirates des Caraïbes, voire même à celle du jeu Monkey Island's. Ce n'est évidemment pas du tout un hasard puisque Powers puise avec gourmandise aux mêmes sources ; celles de l'Histoire et de sa représentation mythifiée dans l'imaginaire collectif. Et puis, il y a peut-être aussi la volonté de déshabiller l'Histoire afin de la vêtir différemment, voire de l'embellir avec des artifices empruntés au fantastique et avec un humour délicieusement macabre. De toute manière, Tim Powers n'est pas avare lorsqu'il s'agit de dépenser son énergie pour amuser et s'amuser, comme en témoignent les citations en référence à sa propre œuvre qu'il insère au début de chaque partie : William Ashbless — dont un vers donne d'ailleurs son titre à la traduction française du roman — et Jack Shandy. Nulle cuistrerie dans cette démarche. Juste la volonté de brouiller davantage les frontières entre la réalité et la fiction. Juste la poursuite du jeu entamé, il y a longtemps, avec James Blaylock.
Bref, On Stranger Tides se révèle un récit fantaisiste joliment troussé ; un melting-pot à la gouaille réjouissante, sans doute pas un texte incontournable, mais au final nullement honteux non plus.